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sont par cette raison celles qui ont plus prêté à cette demangeaison de discourir.

Outre cette expérience des mauvais succès qu’ont eu les réflexions précipitées, nous avons d’autres motifs de nous en abstenir. Comme l’inspection attentive & réfléchie de notre globe nous promet une multitude infinie de lumieres & de connoissances absolument neuves, un observateur qui commence à donner un ensemble systématique à la petite portion de faits qu’il a recueillis, semble regarder comme inutiles toutes les découvertes qu’on a lieu de se promettre de ceux qui partageront son travail, ou se flater d’avoir assez de pénétration pour se passer des éclaircissemens qu’ils pourroient lui offrir.

Nous croyons aussi que l’observateur doit être en garde contre toute prévention, toutes vûes fixes & dépendantes d’un système déjà concerté : car dans ce cas, on interprete les faits suivant ce plan ; on glisse sur les circonstances qui sont peu compatibles avec les principes favoris, & l’on étend au contraire celles qui paroissent y convenir.

Nous ne prétendons pas cependant qu’on observe sans dessein & sans vûes : il n’est pas possible que le spectacle de la nature ne fasse naître une infinité de réflexions très-solides à un observateur qui a de la sagacité, & qui s’est instruit avec exactitude des découvertes de ceux qui l’ont précédé, même de leurs idées les plus bizarres : nous convenons que l’on peut avoir un objet déterminé dans ses recherches, mais avec une sincere disposition de l’abandonner dès que la nature se déclarera contre le parti que l’on avoit embrassé provisionnellement. Ainsi on ne se bornera pas à un phénomene isolé, mais on en recherchera toutes les circonstances ; on les détaillera avec ce zele de discussion qu’inspire le desir de trouver la correspondance que ce phénomene peut avoir avec d’autres. Quoique nous condamnions cette indiscrete précipitation de bâtir en observant, nous ne voulons pas qu’on oublie que les matériaux qu’on rassemble doivent naturellement entrer dans un édifice.

Telles sont les vûes par lesquelles on peut se guider dans l’examen réfléchi des faits. mais que doit-on voir dans les dehors de notre globe ? à quoi doit-on s’attacher d’abord ? Je répons qu’il faut s’attacher aux configurations extérieures, aux formes apparentes : ainsi l’on saisira d’abord la forme des continens, des mers, des montagnes, des couches, des fossiles ; & à-mesure qu’on parcourra un plus grand nombre de ces objets, ces formes venant à s’offrir plus ou moins fréquemment à nos regards, elles produiront dans notre esprit des impressions durables, des caracteres reconnoissables qui ne nous échapperont plus, & qui nous donneront les premieres idées de la régularité de toutes ces choses. Nous tiendrons un compte exact des circonstances & des lieux où elles s’annonceront ; & enfin nous serons, par une suite de la même attention, en état de remarquer les variétés & toutes leurs dépendances.

L’examen de ces variétés réitéré & porté sur une multitude d’objets qu’on trouve sous ses pas lorsqu’on fait voir, nous fera distinguer aisément le caractere propre d’une configuration d’avec les circonstances accessoires. On discute avec bien plus d’avantage l’étendue des effets & même la combinaison des causes, lorsque l’on peut décider ce qu’elles admettent constamment, ce qu’elles négligent quelquefois, & ce qu’elles excluent toûjours.

Les irrégularités sont des sources de lumiere, parce qu’elles nous dévoilent des effets qu’une uniformité trop constante nous cachoit ou nous rendoit imperceptibles. La nature se décele souvent par un écart qui montre son secret au grand jour : mais on ne tire avantage de ces irrégularités, qu’autant qu’on est au

fait de ce qui, dans telle ou telle circonstance est la marche uniforme de la nature, & qu’on peut démêler si ces écarts affectent ou l’essentiel ou l’accessoire.

Pour avoir des idées nettes sur les objets qu’on observe, on s’attache aussi à renfermer dans des limites plus ou moins précises, les mêmes effets soit réguliers soit irréguliers. On apprétie par des mesures exactes jusqu’où s’étend tel contour, telle avance angulaire dans une montagne, telle profondeur dans les vallons : soit que ceux-ci soient formés par des couches qui s’y courbent & s’y continuent en bon ordre, soit qu’ils ne soient que la suite d’un éboulement subit ; on prend les dimensions des fentes perpendiculaires, l’épaisseur des couches, &c.

Dans l’appréciation des limites assignées aux effets, il est très-utile de passer de la considération d’une extrémité à la considération de l’autre extrémité opposée ; comme de la hauteur des montagnes aux plus profonds abysmes, ou des continens ou des mers ; de la plus belle conservation d’un fossile au dernier degré de sa calcination.

Un observateur intelligent ne se bornera pas tellement dans ses savantes discussions, aux formes extérieures & à la structure d’un objet, qu’il ne prenne aussi une connoissance exacte des matieres elles-mêmes qui par leurs divers assemblages ont concouru à le produire ; il liera même exactement une idée avec l’autre. Telle matiere, dira-t-il, affecte telle forme ; il conclura l’une de l’autre, & réciproquement. Il se formera des distinctions générales des substances terrestres ; il les partagera en matieres vitrescibles & calcaires ; il les reconnoîtra à l’eau-forte ou par des réductions chimiques. Il aura lieu de remarquer que les grès sont par blocs & par masses dans leurs carrieres ; que les pierres calcaires sont par lits & par couches ; que les schistes affectent la forme trapézoïdale ; que certaines crystallisations sont assujetties à la figure pyramidale ou parallelepipede ; que dans d’autres les lames crystallisées s’assemblent & s’adaptent sur une base vers laquelle elles ont une direction, comme vers un centre commun, &c. Toutes ces dépendances jettent dans des détails qui en multipliant les attentions de l’observateur, lui présentent les objets sous un nouveau jour, & donnent du poids à ses découvertes.

Il portera la plus scrupuleuse attention sur les circonstances uniformes & régulieres qui accompagnent certains effets ; elles ne peuvent lui échapper, lorsqu’il sera prévenu quelle influence leur examen peut avoir par rapport à l’appréciation des phénomenes ; cette considération entre même plus directement que toute autre dans l’objet de la Géographie physique. Ainsi, suivant ces vûes, il contemplera les ouvrages de la nature, tantôt dans l’ensemble de leur structure, tantôt dans le rapport des pieces. Un coup-d’œil général & rapide n’apprend rien que de vague ; un mince détail épuise souvent sans présenter rien de suivi ; il faut donc soûtenir une observation par l’autre ; & c’est en les faisant succéder alternativement, que les vûes s’affermissent, même en s’étendant. « Cette étude suppose, dit M. de Buffon, les grandes vûes d’un génie ardent qui embrasse tout d’un coup-d’œil, & les petites attentions d’un instinct laborieux qui ne s’attache qu’à un seul point ». Hist. nat. I. vol. La place qu’occupe un tel corps ou un tel assemblage de corps dans l’économie générale ; sera déterminée relativement à la nature de ces corps. On subordonnera, en un mot, les détails qui concernent les substances & leurs formes à ceux qui tiennent à la disposition relative ; on remarquera exactement que certaines couches de pierres calcaires ou autres, sont d’une égale épaisseur dans toute leur longueur ; mais que celles de gravier amassées dans des vallons n’annoncent pas la même régularité ;