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limites, en suppléant à l’observation par l’expérience. Enfin on fut curieux de parvenir jusqu’aux principes généraux, constans & réguliers. A mesure que les idées se développerent, le géographe dessinateur prit pour base de ses descriptions topographiques, l’histoire de la surface du globe, & distribua par pays & par contrées, ce que le naturaliste décrivit & rangea par classes & par ordre de collection.

Tel est le précis des progrès de la Géographie physique ; elle les doit à la réunion combinée des secours que plusieurs connoissances ont concouru à lui fournir. On ne peut effectivement trop rassembler de ressources, lorsqu’on embrasse dans ses discussions des objets aussi vastes & aussi étendus ; lorsqu’on se propose d’examiner la constitution extérieure & intérieure de la terre, de saisir les résultats généraux des observations que l’on a faites & recueillies sur les éminences, les profondeurs, les inégalités du bassin de la mer ; sur les mouvemens & les balancemens de cette masse d’eau immense qui couvre la plus grande partie du globe ; sur les substances terrestres qui composent les premieres couches des continens qu’on a pû sonder ; sur leur disposition par lits ; sur la direction des montagnes, &c. enfin sur l’organisation du globe : lorsqu’on aspire à l’intelligence des principales opérations de la nature, qu’on discute leur influence sur les phénomenes particuliers & subalternes, & que par un enchaînement de faits & de raisonnemens suivis, on se forme un plan d’explication, où l’on se borne sagement à établir des analogies & des principes.

D’après ces considérations qui nous donnent une idée de l’objet de la Géographie physique, nous croyons devoir dans cet article nous attacher à deux points importans : 1°. à développer les principes de cette science, capables de guider les observateurs qui s’occupent à en étendre de plus en plus les limites, & ceux qui voudront apprécier leurs découvertes : 2°. à présenter succinctement les résultats généraux & avérés qui forment le corps de cette science, afin d’en constater l’état actuel.

I. On peut réduire à trois classes générales les principes de la Géographie physique ; la premiere comprend ceux qui concernent l’observation des faits ; la seconde ceux qui ont pour objet leur combinaison ; la troisieme enfin ceux qui ont rapport à la généralisation des résultats & à l’établissement de ces principes féconds, qui deviennent entre les mains d’un observateur des instrumens qu’il applique avec avantage à la découverte de nouveaux faits.

Principes qui concernent l’observation des faits. Il n’est pas aussi important de montrer la nécessité de l’observation pour augmenter nos véritables connoissances en Géographie physique, que d’en développer l’usage & la bonne méthode. On est assez convaincu maintenant des inconvéniens qu’entraîne après elle cette présomption oisive qui nous porte à vouloir deviner la nature sans la consulter ; bien loin que la sagacité & la méditation puissent suppléer aux réponses solides & lumineuses que nous rend la nature lorsque nous l’interrogeons, elles les supposent au contraire comme un objet préalable vers lequel se porte leur principal effort : ne nous dissimulons jamais ces principes. Héraclite se plaignoit de ce que les philosophes de son tems cherchoient leurs connoissances dans de petits mondes que bâtissoit leur imagination, & non dans le grand. Si nous nous exposions à mériter le même reproche : si nous perdions de vûe ces conseils si sages, nous méconnoîtrions autant nos propres intérêts que ceux de la vérité. Qu’est-il resté de ces belles rêveries des anciens ? Il n’y a que le vrai & le solide qui brave la destruction des tems & les ténebres de l’oubli. Des abstractions générales sur la nature peuvent-elles entrer en compa-

raison d’utilité avec un seul phénomene bien vû &

bien discuté ? Nous voulons donc des faits & des observateurs en état de les saisir & de les recueillir avec succès.

On comprend aisément que la premiere qualité d’un observateur est d’avoir acquis par l’étude & dans un développement suffisant, les notions préliminaires capables de l’éclairer sur le prix de ce qu’il rencontre ; de sorte qu’il ne lui échappe aucune circonstance essentielle dans l’examen des faits, & qu’il réunisse en quelque façon toutes les vûes possibles dans leur discussion ; qu’il ne les apperçoive pas rapidement, imparfaitement, sans choix, sans discernement, & avec cette stupide ignorance qui admet tout & ne distingue rien. On puise dans l’observation habituelle de la nature l’heureux secret d’admirer sans être ébloui ; mais la lecture réfléchie & attentive forme de solides préventions qui dissipent aisément le prestige du premier coup-d’œil.

Il faut avoüer que plusieurs obstacles nous privent de ces avantages. Les personnes en état de mettre à profit leurs connoissances voyagent peu, ou pour des objets étrangers aux progrès de la Géographie physique : ceux qui se trouvent sur les lieux, à portée, par exemple, d’une fontaine singuliere périodique ou minérale, d’un amas de coquillages & de pétrifications, négligent ces objets ou par ignorance ou par distraction, ou enfin parce qu’ils ont perdu à leurs yeux ce piquant de singularité & d’importance. Les étrangers & les voyageurs, même habiles, les rencontrent par hasard, ou les visitent à dessein ; mais ils ne peuvent d’une vûe rapide acquérir une connoissance détaillée & approfondie. Des observations superficielles faites à la hâte, ne présentent les objets que d’une maniere bien imparfaite ; on ne les a pas vûs avec ce sang froid, cette tranquillité de discussion, avec ces détails de correspondance si nécessaires aux combinaisons lumineuses. On supplée par des oui-dire, par des rapports exagérés, à ce que la nature nous montreroit avec précision, si nous la consultions à loisir. Il résulte de cette précipitation, que les observateurs les plus éclairés, frappés naturellement des premiers coups du merveilleux, sont souvent dupes de leur surprise ; ils n’ont pû se placer d’abord au point de vûe favorable ; ils défigurent la vérité parce qu’ils l’ont mal vûe ; & rendant trop fidelement de fausses impressions, ils mêlent à leurs récits des circonstances qui les ont plus séduits qu’éclairés. Si l’on est sujet à l’erreur, même quand on est maître de la nature, & qu’on la force à se déceler par des expériences, à combien plus de méprises & d’inattentions ne sera-t-on pas exposé, lorsqu’on sera obligé de parcourir la vaste étendue des continens & des mers, pour la chercher elle-même où elle se trouve, & où elle ne nous laisse appercevoir qu’une très-petite partie d’elle-même, & souvent sous des aspects capables de faire illusion ?

Un observateur qui s’est consacré à cette étude par goût ou parce qu’il est & s’est mis à portée de voir, doit commencer par voir beaucoup, envisager sous différentes faces, se familiariser avec les objets pour les reconnoître aisément par la suite & les comparer avec avantage ; tenir un compte exact de tout ce qui le frappe & de tout ce qui mérite de le frapper ; recueillir ses observations avec ordre sans trop se hâter de tirer des conséquences prématurées des faits qu’il découvre, ou de raisonner sur les phénomenes qu’il apperçoit. Cette précipitation qui séduit notre amour propre est la source de toutes les fausses combinaisons, de toutes les inductions imparfaites, de toutes les idées vagues dont l’on surcharge des objets que l’on n’a encore envisagés qu’imparfaitement ; en sorte que les parties les moins éclaircies