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diaires ; & de-là vient qu’on appelloit ce genre chromatique ou coloré. Dans l’enharmonique la modulation procédoit par quart de ton, en divisant, selon la doctrine d’Aristoxene, le semi-ton majeur en deux parties égales, & un diton ou tierce majeure, comme mi, mi dièse enharmonique, fa & la ; ou bien, selon les Pythagoriciens, en divisant le semi-ton majeur en deux intervalles inégaux qui formoient, l’un le sémi-ton mineur, c’est-à-dire notre dièse ordinaire, & l’autre le complément de ce même sémi-ton mineur au sémi-ton majeur ; & ensuite le diton comme ci-devant, mi mi dièse ordinaire, fa, la. Dans le premier cas les deux intervalles égaux du mi au fa, étoient tous deux enharmoniques ou d’un quart de ton ; dans le second cas il n’y avoit d’enharmonique que le passage du mi dièse au fa, c’est-à-dire, la différence du sémi-ton mineur au sémi-ton majeur, laquelle est le diése pythagonque dont le rapport est de 125 à 128. Voyez Dièse.

Cette derniere division enharmonique du tétracorde, dont nul auteur moderne n’a fait mention, semble confirmée par Euclide même, quoique Aristoxenien ; car dans son diagramme général des trois genres, il insere bien pour chaque genre un lichanos particulier, mais la parhypate y est la même pour tous les trois ; ce qui ne peut se faire que dans le système des Pythagoriciens : comme donc cette modulation, dit M. Burette, se tenoit d’abord très-serrée, ne parcourant que de petits intervalles, des intervalles presqu’insensibles ; on la nommoit enharmonique, comme qui diroit bien jointe, bien assemblée, probè coagmentata.

Outre ces genres principaux, il y en avoit d’autres qui résultoient tous des divers partages du tétracorde, ou des façons de l’accorder différentes de celles dont on vient de parler. Aristoxene subdivise le genre chromatique en mol, hémiéolien & tonique ; & le genre diatonique en syntonique & diatonique mol, dont il donne toutes les différences. Aristide-Quintilien fait mention de plusieurs autres genres particuliers, & il en compte six qu’il donne pour très-anciens ; savoir, le lydien, le dorien, le phrygien, l’ionien, le mixolydien & le syntonolydien. Ces six genres qu’il ne faut pas confondre avec les tons ou modes de même nom, différoient en étendue ; les uns n’arrivoient pas à l’octave, les autres la remplissoient, les autres excédoient : on en peut voir le détail dans le musicien grec.

Nous avons comme les anciens le genre diatonique, le chromatique & l’enharmonique, mais sans aucunes subdivisions ; & nous considérons ces genres sous des idées fort différentes de celles qu’ils en avoient. C’étoit pour eux autant de manieres particulieres de conduire le chant sur certaines cordes prescrites ; pour nous ce sont autant de manieres de conduire le corps entier de l’harmonie, qui forcent les parties à marcher par les intervalles prescrits par ces genres ; de sorte que le genre appartient encore plus à l’harmonie qui l’engendre, qu’à la mélodie qui le fait sentir.

Il faut encore remarquer que dans notre musique les genres sont presque toûjours mixtes ; c. à. d. que le diatonique entre pour beaucoup dans le chromatique, & que l’un & l’autre sont nécessairement mêlés à l’enharmonique. Tout cela vient encore des regles de l’harmonie, qui ne pourroient souffrir une continuelle succession enharmonique ou chromatique, & aussi de celles de la mélodie qui n’en sauroit tirer de beaux chants ; il n’en étoit pas de même des genres des anciens. Comme les tétracordes étoient également complets, quoique divisés différemment dans chacun des trois systèmes, si un genre eût pû emprunter de l’autre d’autres sons que ceux qui se trouvoient nécessairement communs entr’eux, le

tétracorde auroit eu plus de quatre cordes, & toutes les regles de leur musique auroient été confondues. Voyez Diatonique, Chromatique, Enharmonique. (S)

Il est donc aisé de voir qu’il y avoit dans le système de musique des Grecs des cordes communes à tous les genres, & d’autres qui changeoient d’un genre à l’autre ; par exemple, dans le premier tétracorde si, ut, re, mi, les cordes si & mi se trouvoient dans tous les genres, & les cordes ut & re changeoient.

Les communes à tous les systèmes s’appelloient cordes stables & immobiles, les autres se nommoient cordes mobiles : de sorte que si l’on traitoit séparément les trois genres sur des instrumens à cordes, il n’y avoit autre chose à faire que de changer le degré de tension de chaque corde mobile ; au lieu que quand on exécutoit sur le même instrument un air composé dans deux de ces genres à la fois ou dans tous les trois, il falloit multiplier les cordes selon le besoin qu’on en avoit pour chaque genre. Voyez les mém. de M. Burette dans le recueil de l’académie des Belles-Lettres.

Il est possible de trouver la basse fondamentale dans le genre chromatique des Grecs ; ainsi mi, fa, fa ♯, la, a ou peut avoir pour basse ut, fa, ré, la. Mais il n’en est pas de même dans le genre enharmonique ; car ce chant, mi, mi dièse enharmonique, fa, n’a point de basse fondamentale naturelle, comme M. Rameau l’a remarqué. Voyez Enharmonique. Aussi ce grand musicien paroît rejetter le système enharmonique des Grecs, comme le croyant contraire à ses principes. Pour nous, nous nous contenterons d’observer, 1°. que ce genre n’étoit vraissemblablement employé qu’à une expression extraordinaire & détournée, & que cette singularité d’expression lui venoit sans doute de ce qu’il n’avoit point de basse fondamentale naturelle ; ce qui paroît appuyer le système de M. Rameau, bien loin de l’infirmer. 2°. Qu’il n’est guere permis de douter, d’après les livres anciens qui nous restent, que les Grecs n’eussent en effet ce genre ; peut-être n’étoit-il pratiqué que par les instrumens, sur lesquels il est évidemment pratiquable, quoique très difficile : aussi étoit-il abandonné dès le tems de Plutarque. Ce genre pouvoit produire sur les Grecs, eu égard à la sensibilité de leur oreille, plus d’effet qu’il n’en produiroit sur nous, qui tenons de notre climat ces organes moins délicats. M. Rameau, il est vrai, 2 prétendu depuis peu qu’une nation n’est pas plus favorisée qu’une autre du côté de l’oreille ; mais l’expérience ne prouve-t-elle pas le contraire ? & sans sortir de notre pays, n’y a-t-il pas une différence marquée à cet égard entre les françois des provinces méridionales, & ceux qui sont plus vers le Nord ?

On a vû au mot Enharmonique, en quoi consiste ou peut consister ce genre dans notre musique moderne. Il y en a proprement ou il peut y en avoir de trois sortes ; l’enharmonique simple, qui est produit par le seul renversement de l’accord de septieme diminuée dans les modes mineurs, & dans lequel, sans entendre le quart de ton, on sent son effet. Ce genre est évidemment possible, soit pour les instrumens, soit même pour les voix, puisqu’il existe sans qu’on soit obligé de faire les quarts de ton ; c’est à l’oreille à juger si son effet est agréable, ou du-moins assez supportable pour n’être pas tout-à-fait rejetté, quoiqu’il doive d’ailleurs être employé rarement & sobrement. Le second genre est le diatonique enharmonique, dans lequel le quart de ton a lieu réellement, puisque tous les semi-tons y sont majeurs ; & le troisieme est le chromatique-enharmonique, dans lequel le quart de ton a également lieu, puisque les semi-tons y sont tous mineurs. Ce dernier genre, possible ou non, n’a jamais été exécuté : M. Rameau assûre