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tous les êtres qui ont vie, dont on a pû étudier la structure (quelque différence qu’il y ait d’ailleurs dans leur organisation), n’annonce-t-elle pas cette universalité d’usages, cette nécessité qui s’étend à tout le corps animé ? & la propriété dissolvante qui vient d’être attribuée à la production du foie, portée dans toute la masse des humeurs, ne paroît-elle pas prouvée par la considération que ce viscere est d’un volume d’autant plus grand dans les animaux, qu’ils ont leurs humeurs plus disposées à perdre leur fluidité, ainsi qu’on l’observe, sur tout dans les poissons, où elles sont extrèmement visqueuses, glutineuses ; que cette humeur manque dans quelques animaux, quant à la partie qui ne coule que dans le tems de la digestion, dans ceux qui ont une vésicule du fiel, mais qu’elle se trouve dans tous, quant à la partie dont le flux est continuel & qui ne cesse d’être portée dans la masse des humeurs ? On ne peut donc pas se refuser raisonnablement à ces conséquences. Le foie doit donc être rangé parmi les visceres principaux, parmi ceux dont les usages sont généraux. Le cerveau, les poumons & le foie, sont les seuls qui reglent toute l’économie animale ; les autres visceres ont des usages bornés, particuliers : ce seroit ranger le foie parmi ceux-ci, & n’admettre dans le bas-ventre aucun organe principal, de n’attribuer à ce viscere que des fonctions limitées, relatives à la seule digestion, & de ne pas porter plus loin ses vûes à l’égard d’une partie aussi importante. La considération de la maniere dont influent sur toutes les humeurs les vices qui peuvent affecter cette partie, doit achever de convaincre que le récrément qu’elle fournit est d’une utilité & d’une nécessité générale : effectivement la secrétion de la bile vient-elle à être diminuée, ou sa qualité dissolvante vient-elle à être altérée, affoiblie ; il s’ensuit des obstructions, des engorgemens dans les autres organes secrétoires, des embarras dans toute la circulation dans le cours des humeurs ; & si au contraire la bile vient à être séparée, à être portée dans la masse des humeurs, à y refluer en trop grande quantité, il en résulte trop de fluidité, de division dans tous les fluides qui causent la décomposition des globules du sang, leur dissolution en globules séreux, jaunes ; d’où s’ensuivent les hémorrhagies, la jaunisse ; d’où se forment les hydropisies ; d’où tirent leur cause les sueurs hectiques, les diarrhées colliquatives, les diabetes, ou toutes autres évacuations excessives qui ont rapport à celles-là, c’est à-dire qui proviennent du défaut de consistance des fluides, à raison de laquelle ils ne peuvent pas être retenus dans les vaisseaux qui leur sont propres ; ils s’échappent par erreur de lieu, par anastomose, &c. & sont versés dans quelques cavités sans issue, ou portés tout-de-suite hors du corps. Voyez Foie (maladies du), Jaunisse, Obstruction, Hémorrhagie, Hydropisie, &c.

13°. Il suit de tout ce qui vient d’être dit pour établir que les effets de la bile portent sur toute la masse des humeurs, & que c’est-là son usage principal, & non pas de servir seulement dans les premieres voies en qualité de suc digestif, que ce dernier usage n’est que comme accessoire à celui pour lequel elle est essentiellement destinée : que dans le tems de la digestion, en tant qu’elle se mêle avec les sucs alimentaires, cet usage secondaire n’est que le commencement de son exercice, & concourt à leur élaboration ; exercice qui hors le tems de la digestion ne commence que par son mélange avec la lymphe des veines lactées, dont la bile tient les orifices toûjours ouverts en y pénétrant continuellement. Or puisqu’il est convenu que la bile a un flux continuel dans les intestins, qu’elle est continuellement portée dans la masse des humeurs par les voies du chyle ; pourquoi les Physiologistes insistent-ils à ne regarder ce

récrément que comme un suc digestif, principalement destine à la chylification ? N’est-il donc, selon eux, d’aucun usage, quand il n’est pas employé pour celui-là, c’est-à-dire quand il n’y a pas des alimens dans les intestins ? Concluons qu’ils ont été tout-au-moins inconséquens à cet égard, s’ils ont entrevû un usage plus général de la bile, sans le désigner expressément ; ce qui a pû être une cause de bien des erreurs dans la théorie & la pratique médicinale, dans lesquelles les vraies connoissances des qualités de la bile & de ses effets doivent joüer un si grand rôle.

14°. Le cours de la bile, en tant qu’elle passe du foie par les premieres voies dans les secondes, & se mêle à toute la masse des humeurs, n’est pas la seule route qu’elle tienne. Il est très-vraissemblable que comme une portion du chyle pénetre dans les veines mesaraïques, pour se mêler avec le sang de la veine-porte (ce qui n’est guere contesté), sans doute pour en corriger la rancescence dominante ; de même il passe avec le chyle une portion de bile, qui retourne ainsi dans le foie avec les qualités qu’elle y a acquises, & qu’elle n’a eu completement qu’à la sortie de ce viscere, c’est-à-dire lors de son excrétion : ensorte que cette portion du récrément hépatique va opérer immédiatement sur le sang veineux & concrescible de la veine-porte, ses effets dissolvans qui paroissent y être plus nécessaires que dans aucune autre partie du corps. Cette assertion semble pouvoir être mise hors de doute par l’observation de Vanhelmont (Sextu. digest.), & de plusieurs autres, qui ont trouvé que le sang des veines mésentériques est d’une qualité différente de celui des autres veines, qu’il n’est pas aussi susceptible de se coaguler, & qu’il est d’un rouge moins foncé ; ce qu’il faut moins attribuer au mélange du chyle, qu’à celui de la bile, qui par sa qualité pénétrante est plus propre à produire cet effet que le suc des alimens, qui par lui-même seroit au contraire disposé à diminuer la fluidité des humeurs aux quelles il se mêle. Il suit donc de cette seconde destination de la bile, que l’on peut concevoir une espece de circulation d’une partie de ce récrément, qui étant sortie du foie pour être versée dans le canal intestinal, retourne au foie, étant absorbée, reprise par les veines du mesentere, & renouvelle continuellement ce cours pour l’usage qui vient d’être assigné ; usage d’une aussi grande conséquence pour conserver la fluidité des humeurs dans les ramifications de la veine porte, que le mélange de la même bile à la masse des humeurs en général, est nécessaire pour les disposer à couler librement dans tous les vaisseaux du corps. Voyez sur cette propriété absorbante des veines mésentériques, les articles Veine & Mésentérique.

15°. Il reste encore à observer sur l’usage du récrément fourni par le foie, que son efficacité ne se borne pas à entretenir les qualités nécessaires dans les fluides animaux ; qu’elle opere aussi sur les solides, non-seulement dans les premieres voies, en excitant, ainsi qu’il a été dit ci devant, le mouvement, l’action du canal intestinal, mais encore dans tout le système des vaisseaux sanguins & autres. Les humeurs imprégnées de la bile, portée dans les secondes voies avec le chyle qui en renouvelle la masse, sont pour ainsi dire armées d’une qualité stimulante dont l’effet, par leur seule application aux parois des vaisseaux, est d’en exciter l’irritabilité, d’en ranimer continuellement l’action systaltique ; ce qui concourt à entretenir l’agitation, & conséquemment la fluidité des humeurs, ensorte que la bile sert de deux manieres à cette fin, en tant que mêlée avec elles, sa qualité physique dissolvante opere immédiatement, & que par le moyen de la propriété stimulante, elle fait agir les puissances méchaniques