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blessée par l’attaque d’un de ses membres ; nous ignorons par qui & comment la confiance de M. du Marsais fut trompée ; mais elle le fut. On travailla efficacement a empêcher l’impression & même l’examen de l’Ouvrage ; on accusa faussement l’auteur d’avoir voulu le faire paroître sans approbation ni privilége, quoique son Adversaire eût pris la même liberté. Il représenta en vain que ce livre avoit été approuvé par plusieurs personnes savantes & pieuses, & qu’il demandoit à le mettre au jour, non par vanité d’Auteur, mais pour prouver son innocence : il offrit inutilement de le soumettre a la censure de la Sorbonne, de le faire même approuver par l’Inquisition, & imprimer avec la permission des Supérieurs dans les terres du Pape ; on étoit resolu de ne rien écouter, & M. du Marsais eut une défense expresse de faire paroître son Livre, soit en France, soit ailleurs. Cet évenement de sa vie fut la premiere époque, & peut être la source des injustices qu’il essuya ; on n’avoit point eu de peine à prévenir contre lui un Monarque respectable alors dans sa vieillesse, & d’une délicatesse louable sur tout ce qu’il croyoit blesser la Religion ; on lui avoit inspiré quelques soupçons sur la maniere de penser de l’Antagoniste du P. Baltus ; espece d’armes dont on n’abuse que trop souvent auprès des Princes, pour perdre le mérite sans appui, sans hypocrisie, & sans intrigue. L’Auteur abandonna donc entierement son Ouvrage ; & le P. Baltus libre de la guerre dont il étoit menacé, entra dans une carriere plus convenable à son etat ; il avoit trop légerement sacrifié les prémices de sa plume à défendre sans le vouloir les Oracles des Payens ; il l’employa plus heureusement dans la suite à un objet sur lequel il n’avoit point de contradictions à craindre, à la défense des Prophéties de la Religion chrétienne.

Comme l’Ouvrage de M. du Marsais sur les Oracles n’a point paru, nous tâcherons d’en donner quelqu’idée a nos Lecteurs d’après les fragmens qui nous ont été remis. La Préface contient quelques réflexions générales sur l’abus qu’on peut faire de la Religion en l’étendant a des objets qui ne sont pas de son ressort ; on y expose ensuite le dessein & le plan de l’Ouvrage, dans lequel il paroît qu’on s’est proposé trois objets ; de prouver que les Démons n’étoient point les auteurs des oracles ; de repondre aux objections du P. Baltus ; d’examiner enfin le tems auquel les oracles ont cessé, & de faire voir qu’ils ont cessé d’une maniere naturelle.

Le desir si vif & si inutile de connoître l’avenir, donna naissance aux Oracles des Payens. Quelques hommes adroits & entreprenans mirent à profit la curiosité du peuple pour le tromper : il n’y eut point en cela d’autre magie ; l’imposture avoit commencé l’ouvrage, le fanatisme l’acheva : car un moyen infaillible de faire des fanatiques, c’est de persuader avant que d’instruire ; quelquefois même certains prêtres ont pû être la dupe des oracles qu’ils rendoient ou qu’ils faisoient rendre, semblables à ces Empyriques dont les uns participent à l’erreur publique qu’ils entretiennent, les autres en profitent sans la partager.

C’est par la foi seule que nous savons qu’il y a des Démons, c’est donc par la foi seule que nous pouvons apprendre ce qu’ils sont capables de faire dans l’ordre surnaturel ; & puisque la révélation ne leur attribue pas les oracles, elle nous permet de croire que ces oracles n’étoient pas leur ouvrage. Lorsqu’Isaîe défia les dieux des Payens de prédire l’avenir, il ne mit point de restrictions à ce désir, qui n’eût plus été qu’imprudent, si en effet les Démons avoient eu le pouvoir de prophétiser. Daniel ne crut pas que le serpent des Babyloniens fût un démon ; il rit en Philosophe, dit l’Ecriture, de la crédulité du Prince & de la fourberie des Prêtres, & empoisonna le serpent. D’ailleurs les Partisans même des oracles conviennent qu’il y en a eu de faux, & par-la ils nous mettent en droit (s’il n’y a pas de preuve évidente du contraire) de les regarder sans exception comme supposés : tout se réduisoit à cacher plus ou moins adroitement l’imposture. Enfin les Payens même n’ont pas crû généralement que les oracles fussent surnaturels. De grandes sectes de Philosophes, entr’autres les Epicuriens, se vantoient, comme les Chrétiens, de faire taire les Oracles & de démasquer les Prêtres. Valere-Maxime & d’autres disent, il est vrai, que des statues ont parlé ; mais l’Ecriture dément ce témoignage, en nous apprenant que les statues sont muettes. Les Historiens prophanes, lorsqu’ils racontent sur un simple oui-dire des faits extraordinaires, sont moins croyables que les Historiens de la Chine sur l’antiquité qu’ils donnent au Monde. Casaubon se mocque avec raison d’Hérodote, qui rapporte sérieusement plusieurs de ces oracles ridicules de l’antiquité, & d’autres prodiges de la même force.

Si les oracles n’eussent pas été une fourberie, l’idolatrie n’eût plus été qu’un malheur excusable, parce que les Payens n’auroient eu aucun moyen de découvrir leur erreur par la raison, le seul guide qu’ils eussent alors. Quand une fausse Religion, ou quelque Secte que ce puisse être, vante les prodiges opérés en sa faveur, & qu’on ne peut expliquer ces prodiges d’une maniere naturelle, il n’y a qu’un parti à prendre, celui de nier les faits. Rien n’est donc plus conforme aux principes & aux intérêts du Christianisme, que de regarder