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On peut donner en gage toutes les choses mobilaires qui entrent dans le commerce.

Il y a certains gages qui ne sont par eux-mêmes d’aucune valeur, lesquels ne laissent pas néanmoins d’être considérés comme une sûreté pour le créancier. On en peut donner pour exemple Jean de Castro, général portugais dans les Indes, lequel ayant besoin d’argent, se coupa une de ses moustaches, & envoya demander aux habitans de Goa vingt mille pistoles sur ce gage ; elles lui furent aussi-tôt prêtées, & dans la suite il retira sa moustache avec honneur.

Les pierreries de la couronne, quoique réputées immeubles & inaliénables, ont été quelquefois mises en gage dans les besoins pressans de l’état. Charles VI. en 1417, engagea un fleuron de la grande couronne à un chanoine de la grande église de Paris (Notre-Dame), pour la somme de 4600 liv. tournois, & le retira en la même année, en baillant un chappe de velours cramoisi semé de perles.

Les reliques mêmes ont aussi été quelquefois mises en gage : présentement les choses sacrées telles que les calices, ornemens & livres d’église, appartenans a l’église, ne peuvent être mis en gage, sinon en cas d’urgente nécessité.

Les personnes que l’on donne en otage, sont aussi, à proprement parler, des gages, pour l’assûrance de quelque promesse.

Un créancier peut recevoir pour gage ou nantissement, des titres de propriété ou de créance, des titres de famille, &c. il n’est pas obligé de les rendre, qu’on ne lui donne satisfaction ; & si les débiteurs des sommes portées dans ces titres deviennent insolvables, il n’en est pas garant.

Avant que les Juifs eussent été chassés de France, ils y prêtoient beaucoup sur gages : sur quoi il fut fait divers réglemens : Philippe-Auguste, au mois de Février 1218, leur défendit de recevoir en gages des ornemens d’église ni des vêtemens ensanglantés ou mouillés, dans la crainte que cela ne servît à cacher le crime de celui qui auroit assassiné ou noyé quelqu’un ; il leur défendit aussi de prendre en gage des fers de charrue, des bêtes de labour, ou du blé non battu, sans doute afin qu’ils fussent tenus de rendre la même mesure de blé : il leur défendit encore, par une autre ordonnance, de prendre en gage des vases sacrés ou des terres des églises, soit dans le domaine du roi ou du comte de Troyes, ou des autres barons, sans leur permission. L’ordonnance de 1218 fut renouvellée par Louis Hutin le 28 Juillet 1315. Le roi Jean en 1360, comprit dans la défense les reliques, les calices, les livres d’églises, les fers de moulin. S. Louis leur défendit de prendre des gages qu’en présence des témoins ; & Philippe V. dit le Long ordonna en 1317, qu’ils pourroient se défaire des choses qu’ils avoient prises en gage, au bout de l’an, si elles n’étoient pas de garde ; & si elles étoient de garde, au bout de deux ans.

Lorsque plusieurs choses ont été données en gage, on ne peut pas en retirer une sans acquitter toute l’obligation, quand même on payeroit quelque somme à proportion du gage que l’on voudroit retirer.

Le créancier nanti de gages est préféré à tous autres sur le prix des gages qu’il en sa possession, quand même ce seroit un créancier hypothécaire ; il ne perd pas pour cela son privilége sur le gage dont il est nanti.

L’action qui naît du gage est directe ou contraire suivant le droit romain, c’est-à-dire que le gage produit une double action ; savoir, celle qu’on appelle directe, laquelle a lieu au profit de celui qui a donné le gage, à l’effet de le répéter en satisfaisant par lui aux conventions : cette action sert aussi à obliger le possesseur du gage à faire raison des dégradations qu’il peut avoir commises sur le gage.

L’action contraire est celle par laquelle le créancier qui a reçû le gage, demande qu’on lui fasse raison des impenses qu’il a été obligé de faire pour la conservation du gage ; il peut aussi en vertu de cette action, se pourvoir en dommages & intérêts, pour raison des fraudes que l’on a pû commettre par rapport au gage ; comme si on lui a remis des pierreries fausses pour des fines, ou bien s’il a été dépossédé du gage par le véritable propriétaire qui l’a reclamé.

Une des principales regles que l’on suit en matiere de gages, est que ce contrat demande beaucoup de bonne foi.

Il n’est pas permis de prêter à interêt sur gage.

L’ordonnance du Commerce, tit. vj. art. 8. porte qu’aucun prêt ne sera fait sous gage, qu’il n’y en ait un acte pardevant notaire, dont sera retenu minute, qui contiendra la somme prêtée & les gages qui auront été délivrés, à peine de restitution des gages, à laquelle le prêteur sera contraint par corps, sans qu’il puisse prétendre de privilége sur les gages, sauf à exercer ses autres actions.

L’article suivant veut que les gages qui ne pourront être exprimés dans l’obligation, le soient dans une facture ou inventaire, dont il sera fait mention dans l’obligation, & que la facture ou inventaire contienne la quantité, qualité, poids, & mesure des marchandises ou autres effets donnés en gage, sous les peines portées par l’article précédent.

Ces dispositions de l’ordonnance ne s’observent pas seulement entre marchands, mais entre toutes sortes de personnes.

Un fils de famille peut donner en gage un effet mobilier procédant de son pécule, pourvû que ce ne soit pas pour l’obligation d’autrui.

Le tuteur peut aussi, pour les affaires du mineur, mettre en gage la chose du mineur, mais non pas pour ses affaires.

Il en est de même du mandataire ou fondé de procuration à l’égard de son commettant.

Les lois permettent néanmoins au créancier qui a reçu un effet en gage, de le donner lui-même aussi en gage à son créancier ; mais elles veulent que ce dernier n’y soit maintenu qu’autant que le gage du premier subsistera ; & cela paroît peu conforme à nos mœurs, suivant lesquelles on ne peut en général engager la chose d’autrui, à-moins que ce ne soit du consentement exprès ou tacite du propriétaire. Celui qui consent de donner sa chose en gage à quelqu’un, ne consent pas pour cela que celui-ci la donne en gage à un autre ; il peut y avoir du risque pour le propriétaire, que le créancier se dessaisisse du gage.

Les fruits du gage sont censés faire partie du gage.

Le créancier nanti de gage n’est point tenu de le rendre, qu’il ne soit entierement payé de son principal & des intérêts légitimement dûs, & même de ce qui lui est dû d’ailleurs sans gage.

S’il a reçû en gage plusieurs effets, il ne peut être contraint d’en relâcher un en lui payant une partie de la dette. Il peut exiger son payement en entier.

Il n’est pas permis en France au créancier de s’approprier le gage faute de payement ; mais il peut après l’expiration du délai convenu, faire vendre le gage, soit en vertu d’ordonnance de justice, ou même en vertu de la convention, si cela a été expressément convenu, pourvû néanmoins que la vente soit toujours faite par un huissier, en la maniere ordinaire.

Lorsque le gage est vendu, & qu’il se trouve des saisies & oppositions de la part de différens créanciers, celui qui est nanti du gage a un privilége spécial, tellement que sur cet effet il est payé par préférence à tous autres créanciers.

Si le prix du gage excede la dette, le surplus doit