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autre chose que la partie excrémentitielle, qui est séparée tout de-suite du nouveau sang, pour sa députation, pour sa plus grande perfection.

Le rapport bien aisé à observer entre le foie & les boyaux, par le moyen des veines mésentériques, leur fit penser que ces veines servent à attirer le chyle, comme les racines des plantes attirent le suc de la terre. Ils avoient recours à cette sorte de suction, puce qu’ils n’appercevoient dans les intestins aucune force impulsive, qui pût faire entrer & porter en-avant le chyle dans ces veines. Ils étoient confirmés dans l’idée d’attribuer au foie l’ouvrage de la sanguification, αἱματοποίησις, parce qu’ils ne trouvoient point de chyle dans les racines de la veine cave qui portent le sang du foie au cœur, & que le sang de ces veines leur paroissoit d’autant plus parfait, qu’il étoit d’un rouge plus foncé ; ils le croyoient dès-lors doüé de toutes les qualités requises pour le bien de l’économie animale ; puisque selon leur sentiment, il est de-là distribué dans toutes les parties du corps pour leur fournir la nourriture. Ils regardoient conséquemment le foie comme le principe de toutes les veines, (Hipp. de alimento.) c’est-à-dire de tous les vaisseaux que l’on trouve pleins de sang après la mort : ils appelloient sa substance parenchyme, de χύειν, fundere, répandre ; parce qu’ils le regardoient comme une masse composée de cellules appliquées à l’orifice des veines, dans lesquelles cellules le sang épanché auquel se mêle le chyle, convertit celui-ci en sa propre nature. Voyez Sang, Sanguification, Parenchyme.

Telles sont les premieres idées que l’on avoit prises du principal usage du foie dans l’économie animale ; c’est ce qui est établi à ce sujet dans les œuvres d’Hippocrate, mais d’une maniere plus détaillée dans celles de Galien, de Hipp. & plat. decr. lib. VI. cap. jv. Ces deux auteurs attribuoient aussi avec Aristote à ce viscere la fonction secondaire de contribuer par son voisinage de l’estomac & par sa position sur ce principal organe de la digestion, à y entretenir la chaleur nécessaire pour la coction des alimens. Démocrite dans une lettre au pere de la Medecine, établissoit encore dans le foie le siége de la concupiscence. Voyez cette lettre dans le recueil des œuvres d’Hippocrate.

Le sentiment sur la sanguification opérée dans le foie a été constamment adopté par tous les Medecins, jusqu’à la découverte des veines lactées, par laquelle il a été démontré que le chyle n’est pas porté dans ce viscere, & que c’est ailleurs par conséquent qu’il est changé en sang ; Glisson fut le premier qui entreprit de le prouver & de réfuter l’ancienne opinion : ensuite Bartholin la détruisit entierement ; ce qui donna lieu dans ce tems-là à plusieurs écrits qui parurent sous des titres relatifs à cet évenement, tels que hepatis causa desperata (à l’égard de la sanguification attribuée à ce viscere), hepatis exequiæ, epitaphium, &c.

Bilsius dans ces circonstances voulut soûtenir encore pendant quelque tems le système des anciens, qui eut aussi pour défenseur Swammerdam ; mais ils ne retarderent pas sa chûte. Il fut bien-tôt abandonné presque dans toute l’Europe, dès qu’on se fut convaincu de la véritable route que prend le chyle au sortir des intestins.

D’ailleurs on comprit que l’organisation du foie n’étoit point propre à produire le changement qui lui étoit attribué, par la considération du peu d’action dont sont capables les parties solides, eu égard sur-tout à une opération qui semble devoir être presque totalement l’effet de puissances méchaniques (voyez Sanguification) ; par les conséquences qui se présentent à tirer de la lenteur du cours du sang dans les vaisseaux de ce viscere ; par l’attention

à ce que la plus grande partie du sang qui y est apportée est un sang veineux qui n’a pas besoin d’éprouver de nouveaux effets tendans à changer en sang les humeurs mêlées qui en sont susceptibles ; parce qu’enfin l’observation a prouve souvent que la sanguification continue à s’opérer également pendant assez long-tems, quoique le foie soit presque détruit par la suppuration ou toute autre cause, quoiqu’il soit tout rempli d’obstructions, ainsi qu’il arrive dans bien des, maladies chroniques.

Il reste donc que le foie n’est regardé à-présent que comme n’étant principalement destiné qu’à séparer du sang l’humeur qu’on appelle bile, & cette fonction paroît si importante pour l’économie animale, que ce n’est pas la rendre trop bornée, nonobstant le grand volume de ce viscere ; si on a égard à ce que la secrétion qui s’y fait est d’une abondance excessive selon le calcul de Borelli, mais proportionnée selon les expériences de Muckius, de Berenhorst, (qui portent que par comparaison de ce qu’il coule de bile dans les boyaux d’un chien avec ce qu’îl doit couler, tout étant égal, dans l’homme, la quantité de ce récrément doit aller dans l’espace de vingt-quatre heures, à une livre environ) ; que l’humeur qui en résulte n’est pas seulement destinée à servir à la digestion, à la préparation du chyle, qu’elle est d’un usage aussi continuel que son flux, au-moins par rapport à sa plus grande partie, c’est-à-dire celle qui est versée sans interruption dans les intestins, ensuite repompée par les mêmes vaisseaux qui reçoivent & portent le chyle, & qu’elle est ainsi reprise & mêlée dans la masse des humeurs, sans doute pour y agir par sa propriété dissolvante contre la tendance qu’elles ont à prendre trop de consistance à s’épaissir, à perdre la fluidité qu’elles n’ont pour la plûpart que par accident.

Cette idée générale qui vient d’être donnée de l’office du foie, de sa production, & des effets de celle-ci, est le résultat de l’exposition des causes méchaniques & physiques dans les solides & dans les fluides qui concourent à la secrétion qui se fait dans ce viscere de la nature de l’humeur séparée, & de ce qu’elle devient après son écoulement dans les intestins Cette exposition a été faite dans l’article Bile ; il en sera encore fait mention dans celui de Secrétions en général : ainsi voyez Bile, Secrétions. On ne peut placer ici que ce qu’il y a d’essentiel à observer concernant le foie, ce qui est propre à ce viscere dont il n’a pas été traité dans le premier de ces articles, & qui n’est pas du ressort de l’autre.

1°. Pour bien juger de l’importance des fonctions du foie, il est à-propos de remarquer qu’il n’est aucune secrétion qui soit préparée avec autant d’appareil que celle qui se fait dans ce viscere ; que le sang qui y est porté pour en fournir la matiere, se rend de presque tous les visceres du bas-ventre dans la veine-porte, & qu’ainsi ces visceres dans lesquels le sang a éprouvé différentes altérations, concourent tous chacun à sa maniere, à établir la disposition avec laquelle le sang entre dans la substance du foie ; qu’il est par conséquent nécessaire que les différentes especes de sang fournies par les veines de la rate, de l’épiploon, de l’estomac, du pancréas, des boyaux, & du mésentere, soient réunies dans un seul vaisseau, tel que le sinus de la veine-porte, pour que la distribution qui se fait ensuite de ce mélange puisse fournir à chaque partie du foie un fluide composé de la combinaison des mêmes principes d’où résultent les mêmes matériaux pour la formation de la bile ; autrement chaque veine d’un différent viscere du bas-ventre implantée dans une partie du foie qui lui fût propre, n’auroit fourni à cette partie qu’un sang par exemple huileux, comme celui de l’épiploon, ou aqueux comme celui de la rate. Il