Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/420

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des tambour de basque ; les uns prient Dieu pour l’ame du défunt, les autres disent des vers à sa loüange ; d’autres s’arrachent les cheveux ; & d’autres se déchirent le visage, pour marquer leur douleur : cette folie touchante & ridicule dure jusqu’à ce que les religieux viennent lever le corps. Après avoir chanté quelques pseaumes, & fait les encensemens, ils se mettent en marche, tenant à la main droite une croix de fer, un livre de prieres à la gauche, & psalmodient en chemin : les parens & amis du défunt suivent, & continuent leurs cris avec des tambours de basque. Ils ont tous la tête rasée, qui est la marque du deuil. Quand on passe devant quelque église, le convoi s’y arrête ; on fait quelques prieres, & ensuite on continue sa route jusqu’au lieu de la sépulture. Là on recommence les encensemens ; on chante encore pendant quelques tems des pseaumes d’un ton lugubre, & on met le corps en terre. Les assistans retournent à la maison du défunt, où l’on leur fait un festin : on s’y trouve matin & soir pendant trois jours, & on ne mange point ailleurs. Au bout de trois jours, on se sépare jusqu’au huitieme ; & de huit en huit jours, on se rassemble pendant un certain espace de tems, pour pleurer le défunt, & manger chez lui.

Au surplus, les gens curieux de parcourir les folies des hommes en fait de funérailles, les trouveront semées dans le grand ouvrage des cérémonies religieuses, & rassemblées dans le petit traité de Muret, pere de l’Oratoire, des cérémonies funebres de toutes les nations. Paris 1675. in-12. (D. J.)

Funérailles des Chrétiens, (Hist. mod. ecclésiast. ) « Les Chrétiens de la primitive Eglise, dit M. l’abbé Fleury, pour mieux témoigner la foi de la résurrection, avoient grand soin des sépultures, & y faisoient grande dépense, à proportion de leur maniere de vivre : ils ne brûloient point les corps, comme les Grecs & les Romains ; ils n’approuvoient pas non plus la curiosité superstitieuse des Egyptiens, qui les gardoient embaumés & exposés à la vûe sur des lits dans leurs maisons ; mais ils les enterroient selon la coûtume des Juifs. Après les avoir lavés, ils les embaumoient, & y employoient plus de parfums, dit Tertullien, que les Payens à leurs sacrifices ; ils les enveloppoient de linges très-fins ou d’étoffes de soie ; quelquefois ils les revêtoient d’habits précieux ; ils les exposoient pendant trois jours, ayant grand soin de les garder cependant & de veiller auprès en prieres : ensuite ils les portoient au tombeau, accompagnant le corps avec quantité de cierges & de flambeaux, chantant des pseaumes & des hymnes pour loüer Dieu, & marquer l’espérance de la résurrection. On prioit aussi pour eux ; on offroit le sacrifice ; & l’on donnoit aux pauvres le festin nommé agapes, & d’autres aumônes. On en renouvelloit la mémoire au bout de l’an ; & on continuoit d’année en année, outre la commémoraison qu’on en faisoit tous les jours au saint sacrifice.

» L’Eglise avoit ses officiers destinés pour les enterremens, que l’on appelloit en latin fossores, laborantes, copiatæ, c’est-à-dire fossoyeurs ou travailleurs, & qui se trouvent quelquefois comptés entre le clergé. On enterroit souvent avec les corps différentes choses pour honorer les défunts, ou pour en conserver la mémoire ; comme les marques de leur dignité, les instrumens de leur martyre, des phioles ou des éponges pleines de leur sang, les actes de leur martyre, leur épitaphe, ou du-moins leur nom, des médailles, des feuilles de laurier ou de quelqu’autre arbre toûjours verd, des croix, l’évangile. On observoit de poser le corps sur le dos, le visage tourné vers l’orient. Les Payens, pour garder les cendres des morts, bâtissoient des sépulcres magnifiques le long des grands chemins, & par-tout ailleurs dans

la campagne. Les chrétiens au contraire cachoient les corps, les enterrant simplement ou les rangeant dans des caves, comme étoient auprès de Rome les tombes ou catacombes. Voyez Catacombes.

» Les anciens cimetieres ou lieux où l’on déposoit leurs corps, sont quelquefois appellés conciles des martyrs, parce que leurs corps y étoient assemblés ; ou arenes, à cause du terrein sablonneux. En Afrique, on nommoit aussi les cimetieres des aires.

» On a toûjours eu grande dévotion à se faire enterrer auprès des martyrs ; & c’est ce qui a enfin attiré tant de sépultures dans les églises, quoique l’on ait gardé long-tems la coûtume de n’enterrer que hors des villes. La vénération des reliques & la créance distincte de la résurrection, ont effacé parmi les Chrétiens l’horreur que les anciens, même les Israélites, avoient des corps morts & des sépultures ». Mœurs des chrétiens, art. 31.

Cette coûtume d’enterrer les morts, & de les porter au lieu de leur sépulture en chantant des pseaumes, a toûjours été observée parmi les Chrétiens ; les cérémonies seulement ont varié suivant les tems & les usages. M. Lancelot, dans un mémoire sur une ancienne tapisserie, qui représente les faits & gestes de Guillaume le Conquérant, observe que dans un morceau de cette tapisserie sont figurées les cérémonies des funérailles d’Edoüard le confesseur, qui ont beaucoup d’affinité avec celles qui se pratiquent encore aujourd’hui en pareil cas : « On y voit Edoüard mort & étendu sur une espece de drap mortuaire parsemé de larmes, dans lequel deux hommes, l’un placé à la tête l’autre aux piés, arrangent le corps. A côté est un autre homme debout, tenant deux doigts de la main droite élevés ; cette attitude & son habillement, qui paroît ressembler à une chasuble, désignent un prêtre qui lui donne les dernieres bénédictions… On y voit aussi une église… & un homme par lequel on a voulu désigner les sonneurs de cloches… La bierre est portée par huit hommes ; elle est d’une figure presque quarrée, traversée de plusieurs bandes, & chargée de petites croix & autres ornemens : de ces huit hommes quatre sont en-devant, & les quatre autres derriere ; ils la portent sur leurs épaules par le moyen de longs bâtons excédans la bierre, 2 à chaque bâton : c’étoit alors la maniere de porter les morts… cet usage s’est même conservé jusqu’à nos jours ; & les hanovars ou porteurs de sel, qui avoient le privilége de porter les corps ou les effigies de nos rois, porterent encore le corps ou l’effigie d’Henri IV. de la même maniere sur leurs épaules en 1610. Dans cette même tapisserie, aux deux côtés de la bierre, paroissent deux autres hommes, qui ont une sonnette en chaque main. L’usage d’avoir des porteurs de sonnettes dans les pompes funebres, & qui subsiste encore en la personne des jurés-crieurs, lorsqu’ils vont faire leurs semonces, est très-ancien. Suidas, & un ancien scholiaste de Théocrite, en parlent ; on les appelloit alors codonophori ; ils ont été depuis connus sous le nom de pulsatores & exequiates, & leurs sonnettes, campanæ manuales pro mortuis, ou campana bajulæ… à la suite du cercueil, on voit un grouppe de personnes qui semblent toutes fondre en pleurs & en gémissemens ». Mémoires de l’académie, tome VIII.

La description des funérailles de ce roi, conformes à la simplicité de ces tems-là, montrent que les usages & les cérémonies en étoient toutes semblables à celles qui se pratiquent aujourd’hui dans les funérailles des particuliers : car on sait que parmi les catholiques, dès qu’un homme est mort, les jurés-crieurs, pour les personnes qui ont le moyen de les employer, préparent les tentures, drap mortuaire, croix, chandeliers, luminaire, & autres choses né-