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contre les autres ; & par l’altération qu’ils causent aux pieces dont les machines sont composées. Avec de la force & une réparation nécessaire aux pieces altérées, l’on satisfait à tous les frottemens dans ces machines.

Il n’en est pas de même en Horlogerie ; les résistances & les altérations des pieces y sont presque pour rien. C’est de la variété connue des frottemens qui agissent en retardant plus ou moins la vîtesse des corps, que provient une si grande irrégularité dans l’Horlogerie, & principalement dans les montres.

Comme il sera nécessaire d’entrer dans quelque détail sur la cause de ces variétés, il est bon de poser quelques principes généraux pour nous servir de guide sur ce qui fait l’objet de nos recherches.

L’Horlogerie peut être considérée comme étant la science des mouvemens : car c’est par elle que le tems, la vîtesse, & l’espace sont exactement mesurés, & à qui toutes les autres sont subordonnées. Donc ce que je dirai sur les frottemens appartenans à l’Horlogerie, pourra être de quelqu’utilité à tous les arts, n’y en ayant point dont les objets ne soient susceptibles de mouvemens, par conséquent de frottemens.

Les frottemens sont cette résistance ou obstacle qu’on éprouve lorsque l’on applique des corps les uns contre les autres pour les faire mouvoir, ou simplement leur donner une tendance au mouvement ; car où il n’y a point de mouvement ni de tendance, il ne sauroit y avoir de résistance, par conséquent point de frottement. Je fais ici abstraction de l’inertie des corps.

Les lois du mouvement étant connues, il paroîtroit qu’on en pourroit déduire celle des frottemens, comme l’on en déduit celle de la vîtesse, de l’espace, & du tems : car dans l’un & l’autre cas il y a de commun l’espace parcouru. Mais malgré la connexion qu’il y a entre ces choses, l’on n’a pû encore déterminer de principe sur lequel l’on puisse établir une théorie des frottemens applicable à l’Horlogerie en petit.

Dans les pendules, sur-tout celles à grande vibration, le régulateur ou la puissance est si grande qu’elle réduit presque à rien les variations causées par les frottemens : de sorte que si l’on prévient l’altération des pieces par la dureté & le poli qu’on peut leur donner, & si l’on n’employe que la force nécessaire pour entretenir le mouvement, il y aura peu d’altération à craindre, par conséquent peu à réparer ; c’est donc tout ce qu’il y a de plus essentiel à observer dans les pendules.

Dans l’Horlogerie en petit, ou dans les montres, les altérations y sont presque pour rien. Il n’est pas rare de voir des montres qui pendant 40 ou 50 ans ont toûjours marché, & auxquelles on n’a fait autre chose que de les nettoyer de-tems-en-tems, sans qu’il y eût des altérations absolument nécessaires de réparer. Avec si peu de changement, il est étonnant que l’on voye aller fort mal tant de montres, qui sont cependant assez bien composées & exécutées. Elles varient donc par la foiblesse du régulateur, qui ne surmonte pas l’irrégularité causée par les frottemens. C’est donc ce qu’il y a de plus essentiel à examiner.

Pour se former une idée des différentes causes qui entrent dans les frottemens, nous exprimerons en peu de mots toutes les choses que nous croyons concourir à les augmenter, & qui nous les présentent sous tant de faces différentes par les variations qu’elles occasionnent.

P le poids ou la force qui presse.

E l’espace parcouru dans un certain tems.

Q la quantité de pénétration réciproque des parties provenant de deux causes ; l’une, du défaut de poli qui n’est jamais parfait ; l’autre, en supposant

même le poli parfait, de ce que ces parties ne laissent pas que de se pénétrer par les pores de leur tissu ou texture.

I l’inclinaison qui résiste le plus dans les parties qui se pénetrent ; c’est celle de 45 degrés que je retrouve même par-tout dans les arts méchaniques. Le ciseau qui taille la lime, doit avoir cette inclinaison pour que dans l’usage que l’on en fait, la taille ne s’égrise ni ne glisse sans user la matiere que l’on travaille. Les dents de scie sont aussi dans le même cas, & doivent avoir la même inclinaison.

Le fer du rabot doit être incliné de même pour couper plus avantageusement.

Le ciseau qui taille la pierre doit aussi avoir la même inclinaison.

Le soc de la charrue de même.

Le burin du graveur, soit en planche ou autrement, est dans le même cas.

Enfin il n’est point d’art méchanique qui ne fournisse quelqu’exemple de l’avantage de cette inclinaison, qui est celle qui résiste le plus.

D les différentes directions que peut prendre le corps frottant ; elles lui seront plus ou moins avantageuses selon qu’il rencontrera les inclinaisons dont nous venons de parler ; car le rabot ne couperoit point s’il étoit poussé dans le sens contraire, quelque force que l’on pût employer. Il en seroit de même de la lime, de la scie, &c.

T les différentes températures, c’est-à-dire le chaud & le froid, le sec & l’humide, qui changent en quelque sorte les parties intégrantes des frottemens.

R la roideur de ces parties qui se pénetrent étant plus ou moins flexibles, dures ou molles, présentent plus ou moins de résistance.

Les métaux & végétaux different sensiblement entr’eux de frottement.

Les gommes résineuses & vitrées résistent le plus au mouvement vif, & presque point au mouvement lent.

Les métaux les plus purs sont ceux qui résistent le plus ; ensorte que dans différentes pratiques d’instrumens d’Horlogerie, comme le cylindre d’un tour à balancier, on est obligé de le faire d’un mélange de cuivre & d’étain ; ce qui permet de le tenir juste, & l’empêche de former une adhérance ou cohésion, ainsi qu’il arrive entre les métaux semblables.

N le nombre de fois que le corps frottant passera sur ses mêmes parties ; car en les échauffant, il y occasionne une adhérance ou cohésion qui en augmente encore la résistance.

D’où il suit que les forces ou poids qui pressent le corps en mouvement, étant constantes, les frottemens ou résistances pourront augmenter de plus en plus si toutes les parties frottantes qui se succedent les unes aux autres sont plus contraires que favorables ; ensorte que la vîtesse du corps sera tellement retardée, qu’elle pourra faire équilibre & suspendre totalement le mouvement.

Et réciproquement si toutes les parties frottantes qui se succedent les unes aux autres sont plus favorables que contraires, on arrivera au terme où la résistance deviendra comme nulle, & la vîtesse du corps peu ou point retardée. Ce dernier cas ne sauroit être complet, au lieu que le premier est très-fréquent.

C’est donc entre ces deux termes que nous avons à traiter des frottemens relatifs à l’Horlogerie, & sur quoi roule la plus grande cause de la variation des montres.

Le poids qui presse & l’espace parcouru dans un certain tems, sont la quantité constante qui fait la base de tous les frottemens, sans lesquels les autres quantités Q, I, D, T, R, N, qui n’en sont que les accidens, n’auroient pas lieu.