Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/360

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Consultons l’expérience ; elle nous apprendra que la sensation de froid est relative à l’état actuel de l’organe du toucher, de sorte qu’un corps est jugé froid, quand il est moins chaud que les parties de notre corps auxquelles il est appliqué, quoiqu’à d’autres égards le degré de sa chaleur soit considérable. C’est par cette raison que des caves d’une certaine profondeur, qui réellement sont plus chaudes en été qu’en hyver, nous paroissent si froides dans la premiere de ces deux saisons, & si chaudes dans la derniere. Voyez Caves. Il arrive souvent en été, qu’un orage succede à des chaleurs excessives & suffocantes. A peine cet orage est-il passé, que l’air semble se rafraîchir, & que cette grande chaleur est suivie d’un froid très-incommode. Nos corps sont vivement affectés de ce prompt changement ; ils frissonnent, & l’on diroit presque qu’on est au milieu de l’hyver. Cependant le thermometre prouve que cet air, qui paroît si froid, est réellement si chaud, que s’il l’étoit à ce point en hyver, nous ne serions pas en état d’en supporter la chaleur. En effet, si dans le tems de la plus forte gelée, on excitoit dans une chambre un degré de chaleur, qui, au rapport du thermometre, seroit le même absolument que celui qu’a l’atmosphere au mois d’Août, après quelqu’un de ces orages, dont on vient de parler, il n’y auroit aucun homme, qui sortant d’un lieu découvert, où il auroit été exposé pendant quelque tems à un air froid, pût soûtenir la chaleur de cette chambre sans tomber en défaillance. Boerhaave, Chim. tom. I. tract. de igne. Les voyageurs nous disent que les nuits de certains pays situés sur la zone torride, sont quelquefois si froides, qu’elles causent des engelures aux Européens même établis depuis quelque tems dans ces pays. Ces mêmes nuits seroient jugées fort tempérées dans d’autres climats. Voyez observ. physiq. & mathém. faites aux Indes & à la Chine, dans les anciens mémoires de l’académie, tome VII. part. XI. Il seroit facile de multiplier ces sortes d’exemples, mais ceux-ci sont plus que suffisans pour prouver que la sensation de froid peut être facilement conçûe comme une perception confuse de l’impression que fait sur nous une moindre chaleur.

Tous les autres effets du froid s’expliquent avec la même facilité par la simple notion d’une chaleur affoiblie. Cette idée se soûtient toûjours parfaitement dans l’application qu’on en fait au détail des phénomenes. Elle est d’ailleurs d’une grande simplicité. Par ces deux raisons elle doit être préférée. Imaginer d’autres systèmes, ce seroit s’écarter de la premiere regle de Newton, suivant laquelle on ne doit admettre pour l’explication des effets naturels, que des causes réellement existantes, propres à rendre raison de ces mêmes effets.

C’est en vain qu’on auroit recours à des parties frigorifiques, dont l’existence, pour ne rien dire de plus, n’est nullement prouvée. On ne nie pas que certaines particules subtiles s’introduisant dans les pores d’un corps ne puissent en chasser le feu, au moins en partie, & on conviendra de même qu’elles pourront diminuer le mouvement intestin des parties du corps, si, comme le prétendent quelques philosophes, un certain mouvement déterminé constitue la chaleur. C’est en agissant de la sorte que les sels communiquent en se fondant un nouveau degré de froid à la neige ou à la glace pilée. Mais outre qu’il n’est pas prouvé que les corpuscules salins ou d’autres particules de cette espece se trouvent toûjours par-tout où il y a diminution de chaleur ; il est certain d’ailleurs que ces sortes de particules ne sont point frigorifiques dans le sens qu’on attache communément à ce terme. Les Gassendistes & ceux qui pensent comme eux à cet égard, désignent par-là des parties, qui non-seulement chassent le feu des

corps, mais qui de plus exercent une action particuliere sur les organes de nos sens, en se repliant autour des filamens de la peau, en les serrant & les tiraillant ; ce qui cause ce sentiment vif & piquant que nous appellons froid. Or l’existence de ces sortes de parties n’est constatée, comme je l’ai déjà dit, par aucun phénomene. Voyez ce qu’on dira ci-après du froid artificiel.

Le froid n’étant qu’une chaleur affoiblie, le plus grand degré de refroidissement d’un corps est la privation de toute chaleur. Un corps refroidi à ce degré seroit froid absolument & à tous égards ; ainsi on a raison de donner à cette extinction totale de chaleur le nom de froid absolu. Il y a apparence qu’un tel froid n’existe point dans la nature. La chaleur tend toûjours à se répandre par-tout uniformément. Ainsi nul corps n’est probablement exempt de toute chaleur.

En voilà assez sur la nature du froid. Il est tems de parler des causes qui peuvent opérer le refroidissement des corps, ou ce qui est le même, diminuer leur chaleur. Ces causes sont en grand nombre ; les unes purement naturelles, agissent d’elles mêmes en certaines circonstances ; les autres, pour produire leur effet, attendent que l’art ou l’industrie humaine les mette en action ; de-là la division du froid en naturel & artificiel.

Du froid naturel. Le froid naturel, comme nous venons de le dire, doit sa naissance à des causes purement naturelles, à des agens que l’art des hommes n’a point excités, mais qui obéissent simplement aux lois générales de l’univers. Tel est le froid qui se fait sentir en hyver dans nos climats ; tel est celui qu’éprouvent les habitans des zones glaciales pendant la plus grande partie de l’année.

C’est dans l’air de notre atmosphere que le froid dont il est ici question s’excite le plus promptement ; les autres corps placés sur la superficie de notre globe reçoivent les mêmes impressions ; ce froid penetre enfin dans l’intérieur de la terre, jusqu’à une profondeur qui excede rarement 90 ou 100 piés.

Tout ceci ne suppose qu’une chaleur simplement diminuée. Or une grande partie de la chaleur des corps terrestres venant de l’action que le soleil exerce sur eux, il est évident que tout ce qui affoiblit cette action doit par-là même contribuer au froid.

On a vû au mot Chaleur quelles sont les causes générales du chaud en été, & du froid en hyver, c’est pourquoi nous y renvoyons.

Les causes particulieres & accidentelles du froid en se mêlant avec la cause générale, empêchent qu’on ne puisse reconnoitre ce qui appartient précisément à celle-ci. Ces causes accidentelles sont de plusieurs sortes. Celles qu’on a raison de regarder comme les principales, sont la situation particuliere des lieux, la nature du terrein, l’élévation ou la suppression de certaines vapeurs ou exhalaisons, les vents.

Plusieurs pays sont par leur situation particuliere beaucoup plus froids que leur latitude ne semble le comporter. En général plus le terrein d’un pays est élevé, plus le froid qu’on y éprouve est considérable. C’est une chose constante qu’à toutes les latitudes & sous l’équateur même la chaleur diminue, & le froid augmente, à mesure qu’on s’éloigne de la surface de la terre ; de-là vient qu’au Pérou, dans le centre même de la zone torride, les sommets de certaines montagnes sont couverts de neiges & de glaces que l’ardeur du soleil ne fond jamais La rareté de l’air toûjours plus grande dans les couches plus élevées de notre atmosphere, paroît être la principale cause de ce phénomene. Un air plus rare & plus subtil étant plus diaphane, doit recevoir moins de chaleur par l’action immédiate du soleil. En effet,