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toutes les autres sont subordonnées. Le baptême est le seul moyen que Dieu ait établi pour acquérir la justification, & pour effacer la tache originelle : c’est par-là que le baptême est nécessaire d’une nécessité de moyen ; on doit dire la même chose de la foi. Ce n’est que parce que sans la persuasion explicite de certains dogmes Dieu n’accorde point la justification aux adultes, que cette foi est nécessaire. La foi infuse, selon les Théologiens, accompagne toûjours la justification ; & réciproquement.

Pour déterminer avec précision comment la foi est nécessaire au salut, faisons une hypothèse. Supposons qu’un enfant baptisé, & par conséquent justifié, est élevé parmi des payens ou des sauvages ; & que cet enfant parvenu à l’âge de raison & adulte, vît quelques jours en observant fidelement la loi naturelle, & meurt sans s’être rendu coupable d’aucun péché mortel : il n’y a aucun théologien qui osât dire que cet enfant justifié en J. C. dans lequel il n’y a plus de damnation selon la parole de l’apôtre, nihil damnationis est in iis qui sunt in Christo Jesu, & qui n’a point perdu la grace de la justification, n’obtient pas le salut éternel : cependant il est adulte ; il n’a pas la foi explicite : la foi explicite n’est donc nécessaire qu’à cause de la justification avec laquelle elle est toûjours liée. En effet, si l’adulte étoit encore coupable du péché originel, il n’obtiendroit pas le salut éternel : mais ce ne seroit pas précisement & uniquement à cause du défaut de foi explicite, mais parce qu’il ne seroit pas justifié. On ne s’explique donc pas avec assez de netteté, lorsqu’on dit que la foi explicite est nécessaire aux adultes d’une nécessité de moyen. Voici comment cela doit s’entendre. L’enfant baptisé & manquant de la foi explicite, parvenant à l’usage de raison, & péchant mortellement, perd la justice habituelle. Or, pour être justifié de nouveau, la foi explicite lui est nécessaire ; parce que la foi explicite est nécessaire & préalable à la réception de la grace de la justification dans les adultes.

On doit dire la même chose, à plus forte raison, de l’enfant coupable du péché originel, parvenant à l’usage de raison, & mourant après avoir péché mortellement.

Quant à celui qui meurt adulte & encore coupable du péché originel, même sans avoir péché mortellement : comme selon la doctrine chrétienne, la justification qui renferme la foi infuse ne peut lui être accordée, qu’au préalable il n’ait la foi explicite ; cette foi est aussi pour lui nécessaire d’une nécessité de moyen, mais toûjours à raison de la justification.

Quelques dogmes dans la doctrine chrétienne semblent augmenter la dureté apparente de celui-là ; & d’autres la temperent : voici les premiers. La foi est une grace que Dieu ne doit à personne, même à celui qui fait tout ce qui est en lui pour l’obtenir. Hors de l’Eglise point de salut. Les seconds sont que Dieu ne peut pas commander l’impossible ; que la foi n’est pas la premiere grace ; que Dieu donne à tous les hommes des moyens suffisans pour le salut.

On peut remarquer qu’on regarde comme de foi en Théologie les dogmes rigoureux de la nécessité absolue de la foi ; au lieu qu’on traite de sentimens pieux les principes qui peuvent lui servir de correctif. C’est ainsi qu’on dit modestement que la volonté de Dieu de sauver tous les hommes, & la concession des moyens suffisans pour le salut, sont des sentimens pieux & qui approchent de la foi. J’avoue que cette différence m’a toûjours fait quelque peine. Il est au moins aussi certain que Dieu donne à tous les hommes des moyens suffisans pour arriver à la foi, qu’il est certain qu’il exige qu’ils ayent la foi. L’un & l’autre dogme me semblent entrer essentiellement dans l’économie de la religion.

Encore quelques réflexions. J’ai déjà averti que je ne m’asservissois à aucun ordre.

Celui qui en supposant la nécessité de la foi en J. C. pour le salut, diroit que des payens & des sauvages, sont élevés à cette connoissance par un secours extraordinaire de Dieu, & par la grace, & qu’ils ont reçû le don de la foi, diroit une chose peu vraissemblable, mais n’avanceroit rien de contraire à la doctrine chrétienne : car la doctrine chrétienne n’est pas que hors ceux qui sont visiblement de l’Eglise, & qui ont entendu & reçû la parole de l’Evangile, tous les autres périssent éternellement ; c’est seulement que celui qui ne croit point sera condamné ; que celui qui ne sera point de l’Eglise par la foi n’entrera point dans le royaume des Cieux : mais elle ne décide pas que hors ceux qui sont visiblement de l’Eglise, & qui ont reçû par les moyens ordinaires la prédication de l’Evangile, aucun n’ait la foi : en un mot cette proposition, hors de l’Eglise & sans la foi point de salut, n’est pas la même que celle-ci, hors de l’Eglise visible point de foi. Le dogme de la nécessité de la foi ne reçoit donc aucune atteinte de l’opinion de ceux qui disent que des payens & des sauvages se sont sauvés par la foi.

Mais, dit-on, ces gens-là ne peuvent pas croire, selon ce passage de S.Paul : quomodo credent, si non audierunt ; quomodo audient, sine predicante ? ils sont donc sauvés sans la foi ?

Ces théologiens répondent, que les payens & les sauvages en question ne peuvent pas croire par les voies ordinaires ; mais que rien n’empêche que Dieu n’éclaire leur esprit extraordinairement ; que personne ne peut borner la puissance & la bonté de Dieu jusqu’à décider qu’il n’accorde jamais ces secours extraordinaires, & qu’il est bien plus raisonnable de le penser, que de s’obstiner à croire que tous ceux à qui l’Evangile n’a pas été préché, & qui font la plus grande partie du genre humain, périssent éternellement, sans qu’un seul arrive au salut que Dieu veut pourtant accorder à tous.

Cependant on voit que l’hypothese de ce secours extraordinaire est absolument gratuite.

On éprouve quelque difficulté à concilier ensemble la nécessité & la gratuité de la foi.

Si la foi est nécessaire ; & si tous les hommes ont des moyens suffisans pour arriver au salut, il est clair que Dieu donne à tous les hommes des moyens suffisans pour arriver à la foi.

Des moyens suffisans pour arriver à la foi, sont ceux dont le bon usage amene certainement & infailliblement le don de la foi, autrement ces moyens ne seroient pas suffisans ; de sorte que celui qui use de ces moyens, autant qu’il est en lui, reçoit toûjours la grace de la foi, selon cet axiome : facienti quod in se est cum ipso gratiæ auxilio, Deus non denegat gratiam. Les infideles ont donc des moyens dont le bon usage les conduiroit infailliblement à la grace de la foi. Qu’on prenne garde que je ne dis pas que ces moyens soient purement naturels.

Mais, dira-t-on, s’il y a des moyens dont le bon usage conduiroit infailliblement à la foi, il peut y avoir des circonstances dans lesquelles Dieu ne peut pas se dispenser, à raison même de sa justice ou au moins à raison de sa bonté, d’accorder le don de la foi ; & cela posé, comment est-il vrai que la foi est une grace, qu’elle est purement gratuite, & que Dieu ne la doit à personne ?

Je réponds, 1°. si par impossible les deux dogmes de la gratuité de la grace & de la suffisance des moyens que Dieu donne aux hommes pour le salut, étoient incompatibles, il faudroit conserver ce dernier, & abandonner l’autre.

2°. Notre doctrine est une suite manifeste du principe que nous avons cité, & qui paroît bien raison-