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de l’humidité & de l’écoulement ; il se plaît sur-tout dans les gorges sombres des collines exposées au nord : on le voit pourtant réussir quelquefois dans la glaise, dans la marne, si le sol a de la pente ; & dans les terres caillouteuses & graveleuses, même dans les joints des rochers, si dans tous ces cas il y a de l’humidité. Cet arbre se contente de peu de profondeur, parce que ses racines cherchent à s’étendre à fleur-de-terre ; mais il craint les terres fortes & la glaise dure & seche : il se refuse absolument aux terreins secs, legers, sablonneux, superficiels, & trop pauvres, sur-tout dans les côteaux exposés au midi. J’en ai vû planter une grande quantité de tout âge dans ces différens sols, sans qu’aucun y ait réussi.

Il n’est pas aisé de multiplier cet arbre pour de grandes plantations, quoiqu’il y ait deux moyens d’y parvenir ; l’un en semant ses graines, qui ne levent que la seconde année ; l’autre, en se servant de jeunes plants que l’on peut trouver dans les forêts. Dans ces deux cas, la propagation en grand n’est nullement facile, parce qu’il faut employer la transplantation ; expédient très-coûteux & peu sûr pour peupler de grands cantons. La nécessité de transplanter, même le plants que l’on aura fait venir de semence dans les pepinieres, vient de ce qu’il est très-rare que l’on puisse semer les graines sur la place que l’on destine à mettre en bois, par la raison que les terreins qui conviennent au frêne sont ordinairement pierreux, aquatiques, inégaux, & presque toûjours impraticables aux instrumens de la culture.

Pour faire venir le frêne de semence, il faut en cueillir la graine lorsqu’elle commence à tomber, sur la fin d’Octobre, ou dans le mois suivant : on peut même en trouver encore pendant tout l’hyver sur quelques arbres qui conservent leurs graines jusqu’aux premieres chaleurs du printems. Si on les seme de très-bonne heure en automne, il en pourra lever quelque peu dès le printems suivant ; mais il ne faut s’attendre à les voir lever complettement, qu’au printems de l’autre année. Si l’on vouloit s’épargner d’occuper inutilement son terrein pendant cette premiere année, on trouvera l’équivalent, en conservant dans des manequins les graines mêlées de terre, ou de sable pour le mieux, pendant un an dans un lieu frais, abrité & point trop renfermé : cette précaution disposera les graines à germer, comme si elles avoient été mises en pleine terre ; & en les semant un an après au printems, elles leveront au bout d’un mois ou six semaines : il faut pour cela une terre meuble, préparée comme celle d’un potager, & arrangée en planches. On peut se contenter de semer la graine sur la surface de la terre, & y passer le rateau ; mais le mieux sera de les mettre dans des rayons d’un pouce ou un pouce & demi de profondeur, pour faciliter la sarclure, qui leur sera très-nécessaire la premiere année, durant laquelle les semis ne s’éleveront guere qu’à 5 ou 6 pouces.

Les jeunes plants âgés de deux ans seront propres à être transplantés, soit en pepiniere, soit dans les places que l’on se proposera de mettre en bois de cette nature ; c’est même à cet âge qu’ils conviennent le mieux pour cet objet. Il faudra peu de travail pour les planter ; & ils réussiront sans aucun soin, si le terrein leur est favorable : au lieu que s’ils étoient plus âgés, & par conséquent plus grands & plus enracinés, il faudroit plus de travail ; & leur reprise ne seroit pas si assûrée. Si au contraire le terrein leur étoit peu convenable, ils ne s’y soûtiendront qu’à l’aide d’une culture fort assidue, trop dispendieuse, & dont le succès sera encore très-incertain. Soit que les plants que l’on mettra en pepiniere proviennent d’un semis de ceux ans, ou qu’ils ayent été tirés des bois, ils profiteront également, & ils s’éleveront en quatre ans à huit ou dix piés ; ils seront alors en état d’être

transplantés à leur destination, qui est ordinairement d’en border les ruisseaux, d’en garnir les haies, & d’en faire des lisieres autour des héritages, dans les terreins aquatiques, ou même dans les terreins qui ont seulement de la fraîcheur : cet arbre s’y soûtiendra, si on le tond tous les trois ou quatre ans, comme cela se pratique pour la nourriture du bétail. Encore une observation qui est importante sur la transplantation de cet arbre, c’est de ne le point étêter : il se redresse rarement, lorsqu’on retranche la maitresse tige ; & il perce difficilement de nouveaux rejettons quand on a supprimé les boutons de la cime. Il faut seulement se contenter d’ôter les branches latérales.

Le frêne est sur-tout estimé par rapport à son bois, qui sert à beaucoup d’usages : quoique blanc, il est assez dur, fort uni, & très-liant, tant qu’il conserve un peu de seve : aussi est-il employé par préférence pour les pieces de charronage qui doivent avoir du ressort & de la courbure ; les Tourneurs & les Armuriers en font également usage. Mais une autre grande partie de service que l’on en tire, c’est qu’il est excellent à faire des cercles pour les cuves, les tonneaux, & autres vaisseaux de cette espece. Le bois des frênes venus dans des terreins de montagnes, ou qui ont été habituellement tondus, sont sujets à être chargés de gros nœuds ou protubérances, qui en dérangeant l’ordre des fibres, occasionnent une plus grande dureté, & une diversité de couleur dans les veines du bois ; ce qui fait que ces sortes d’arbres sont recherchés par les ébénistes. Mais quoiqu’il se trouve des frênes d’assez gros volume pour servir à la charpente, on l’applique rarement à cet usage, parce que ce bois est sujet à être picqué des vers, quand il a perdu toute sa seve. Le bois du frêne a plus de résistance & plie plus aisément que celui de l’orme : on y distingue le cœur & l’aubier, comme dans le chêne ; & lorsqu’il est verd, il brûle mieux qu’aucun autre bois nouvellement coupé.

Quand cet arbre est dans sa force, on peut l’élaguer ou l’étêter, sans que cela lui fasse grand tort, à moins qu’il ne soit trop gros : par ce moyen, on en tirera tous les trois ou quatre ans des perches, des échalas, du cerceau, ou tout au moins du fagotage. Le dégouttement du frêne endommage tous les végétaux qui en sont atteints ; c’est ce qui a fait dire que son ombre étoit dangereuse : il n’en est pas de même à son égard ; il ne craint d’être surmonte par aucune autre espece d’arbre ; leur égout ne lui fait aucun préjudice. Aussi le frêne réussit-il à l’ombre & dans les lieux serrés, où on peut s’en servir pour remplacer les autres arbres qui refusent d’y venir. Son feuillage est excellent pour la nourriture des bœufs, des chevres, & des bêtes à laine : tous ces animaux en sont très-friands pendant l’hyver. Il faut pour cela couper les rameaux de cet arbre, à la fin du mois d’Août ou au commencement de Septembre, & les laisser sécher à l’ombre. On pourroit employer le frêne, à plusieurs égards, pour l’ornement des jardins ; il fait ordinairement une belle tige & une tête réguliere : son feuillage leger, qui est d’un verd brun & luisant, contrasteroit agréablement avec la verdure des autres arbres ; mais il est sujet à un si grand inconvénient, qu’on est obligé de l’écarter de tous les lieux d’agrément : les mouches cantharides qui s’engendrent particulierement sur cet arbre, le dépouillent presque tous les ans de sa verdure dans la plus belle saison, & causent une puanteur insupportable.

On prétend que les feuilles, le bois, & suc du frêne ont quantité de propriétés pour la Medecine. Voy. le P. Schott, jésuite, qui les a rapportées fort en détail dans son livre intitulé, joco-seria naturæ & artis.

Voici les especes de frêne les plus connues jusqu’à présent.