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traiter avec succès d’une fracture sans autres soins, après que les bandages furent assûrés, que celui de la tenir simplement & à l’ordinaire dans une écurie. Je ne sai cependant si je ne préférerois pas la suspension de l’animal dans le travail jusqu’à l’entiere formation du calus, pour prévenir plus sûrement les accidens qui peuvent arriver en le livrant à lui-même, & pour être plus à portée de visiter mon appareil, de l’ôter, de le replacer dans une foule de circonstances qui nous y invitent & qui nous y obligent.

Terminons toutes ces discussions qui n’éclairent encore le maréchal que sur la cure générale des fractures, par l’exposition de la méthode particuliere qu’il doit suivre dans le cas d’une fracture à l’un des membres, & dans celui d’une fracture à l’une des côtes.

Supposons en premier lieu une plaie oblique & contuse de la longueur de quatre travers de doigt, à la partie moyenne supérieure du canon de l’une des extrémités postérieures, avec une fracture en bec de flûte à ce même os.

L’opérateur disposera d’abord son appareil ; il préparera un plumaceau de charpie, une compresse en double d’environ un demi-pié de largeur, sur 8 ou 9 pouces de longueur ; deux bandes de quatre aunes de longueur, & larges d’environ trois travers de doigt ; & des attelles, qu’il enveloppera chacune dans un linge égal, & dont la largeur & la longueur seront proportionnées au volume & à l’étendue de l’os fracturé.

Il procédera ensuite aux extensions. M. de Garsault dans son nouveau parfait Maréchal, propose à cet effet de renverser le cheval, & d’employer les forces opposées de plusieurs hommes. Je doute que ces forces soient toûjours suffisantes ; j’imagine de plus qu’il est assez difficile que les tractions soient en raison égale ; qu’elles soient opérées dans une direction juste & précise ; qu’elles soient exactement insensibles & par degrés ; & d’ailleurs il me semble que l’animal dans l’action de se relever étant nécessairement astraint à faire usage de ses quatre membres, se blesseroit inévitablement en tentant de l’effectuer, & ne pourroit que détruire par cet effort tout ce que le maréchal auroit fait pour replacer les pieces divisées, & pour les maintenir unies. Je conseillerai donc de le suspendre dans un travail ordinaire, mais susceptibles des additions suivantes.

Soient deux rouleaux ou cylindres de trois pouces de diametre au moins, dont la longueur traverse toute la largeur du travail, l’un au tiers supérieur, & l’autre au tiers inférieur, de la hauteur des montans, & qui s’engagent par les deux extrémités par deux collets portés sur la face extérieure de ces mêmes montans. Soit l’une des extrémités de chaque rouleau assemblée quarrément, avec un rochet tel que ceux qui constituent communément les cris des berlines. Soit un fort cliquet attaché par clou rond au montant, & sur la face latérale pour le bec de ce même cliquet, s’engager dans les dents du rochet.

Soient encore deux poulies, dont les chapes terminées en crochet puissent être accrochées, l’une à la traverse supérieure du travail, l’autre à une traverse à fleur de terre. Soient ces mêmes traverses garnies de divers anneaux solidement attachés, & entre lesquels l’opérateur pourra choisir ceux qui répondront le plus exactement à la direction de la partie qu’il est question de réduire. Alors le maréchal placera trois entravons rembourrés ; le premier précisément au-dessus du jarret ; le second directement au-dessous, c’est-à-dire à l’extrémité supérieure de l’os cassé ; & le troisieme à l’extrémité inférieure de ce même os, c’est-à-dire au-dessus du boulet. Ces trois entravons seront serrés, de maniere qu’ils ne

pourront glisser du côté où les tractions seront faites. De l’anneau de fer situé à la partie postérieure de l’entravon qui enveloppe le tibia, partiront deux cordages assez forts, qui seront attachés à une traverse immobile à l’effet de fixer le membre. Des anneaux situés latéralement dans le second entravon, partiront encore des cordes, qui passeront dans la poulie supérieure, chargée de former le retour en contre-bas de ces mêmes cordes, qui s’enrouleront sur le rouleau supérieur, tandis que celle de la traverse inférieure recevra les cordages qui viendront des deux anneaux du dernier entravon, & favorisera leur retour en contre-haut, & leur enroulement sur le cylindre inférieur. Ces cylindres mus ensuite sur leur axe par une manivelle appropriée à cet usage, il est visible que l’extension & la contre-extension pourront avoir lieu selon toutes les conditions requises, & dans le même tems. Le maréchal examinera le chemin que feront les pieces fracturées : dès qu’elles seront parvenues au niveau l’une de l’autre, il fera la coaptation ; & dans la crainte qu’une extension trop longue n’ait de fâcheuses suites, il ordonnera à ses aides de se relâcher legerement, & d’introduire le bec de chaque cliquet dans les dents du rochet qui lui répond. L’un d’eux tiendra l’endroit fracturé, pendant qu’il pansera la plaie ; il y mettra le plumaceau qu’il a préparé, après l’avoir imbibé d’eau-de-vie ; il trempera la compresse dans du vin chaud, il en couvrira circulairement le lieu de la fracture : ensuite il prendra le globe de la bande, qui sera imbue du même vin ; sa main droite en étant saisie, il en déroulera environ un demi-pié. Il commencera le bandage par trois circulaires médiocrement serrés sur ce même lien : de-là il descendra jusqu’à l’extrémité de l’os par des doloires ; il remontera jusqu’à l’endroit par lequel il a débuté ; il y pratiquera encore le même nombre de circulaires, & gagnera enfin la partie supérieure du canon, où la bande se trouvera entierement employée. Cette partie ayant plus de volume que l’inférieure, le maréchal fera à celle-ci quelques circonvolutions de plus, & n’oubliera point les renversés, par le moyen desquels on évite les godets, & l’on fait un bandage plus propre & plus exact.

Ce n’est pas tout ; il se munira d’une seconde bande qu’il trempera dans du vin chaud, ainsi qu’il y a trempé la premiere ; il l’arrêtera par deux circulaires à la portion supérieure, où le trajet de cette premiere bande s’est terminé. Après quoi il posera deux ou trois attelles qu’un aide assujettira, tandis qu’il les fixera par un premier tour de bande ; il les couvrira en descendant par des doloires jusqu’au boulet, & remontera en couvrant ces premiers tours jusqu’au-dessous du jarret.

Cette opération finie, il laissera le cheval suspendu ; il le saignera deux heures après, & il le tiendra à une diete humectante & rafraichissante. Dans les commencemens on arrosera l’endroit fracturé avec du vin chaud ; & si l’on apperçoit un gonflement inférieur à l’appareil, & que ce gonflement ne soit pas tel qu’il puisse faire présumer que le bandage est trop serré, on se contentera d’y appliquer des compresses trempées dans un vin aromatique. Il ne seroit pas hors de propos de réitérer la saignée le second jour, & de lever l’appareil le huitieme, à l’effet de s’assurer de l’état de la plaie, qu’on sera peut-être oblige de panser d’abord tous les trois jours, & ensuite à des distances plus éloignées. Lorsqu’elle sera dans la voie de se cicatriser, & les pieces d’os de se réunir, on pourra interrompre tout pansement pendant un espace de tems assez long, pour que la nature puisse nous seconder ; & il y a tout lieu d’espérer qu’au bout de quarante jours, & au moyen de ce traitement méthodique, accompagné d’un régime