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à déplacer les pieces réduites ; l’impossibilité de les assujettir solidement par un bandage, vu la figure des membres en ces endroits : tout me détermine a croire que dans le cas où il y auroit une fracture, même simple à l’un ou à l’autre de ces os, nos efforts seroient impuissans, & nos tentatives inutiles. Je ne vois dans les os du corps de l’animal, que les côtes ; dans ses extrémités antérieures, que les os du paturon, du canon, & le cubitus, c’est-à-dire l’os de l’avant-bras proprement dit ; & dans ses extrémités postérieures, que ces deux premiers os & le tibia, vulgairement & mal-à-propos nommé par M. de Soleysel l’os de la cuisse, dont la fracture n’offre rien qui doive d’abord nous faire desespérer des succès, encore ne peut-on véritablement s’en flater, relativement au tibia, qu’autant qu’il n’aura point été fracturé dans le lieu de sa tubérosité, ou dans sa partie supérieure. Je dirai plus, les prognostics de ces fractures ne sont pas tous avantageux ; un fragment d’os considérable emporté par une balle, nous met dans la nécessité d’abandonner a jamais l’animal. Il en est de même lorsque les muscles, les nerfs, les vaisseaux se trouvant entre les fragmens très-écartés de l’os, s’opposent au replacement, & lorsqu’un même os est cassé en plusieurs endroits, car alors il demeure semé d’inégalités sans nombre, & la cure est toûjours très-lente & très-incertaine. Elle est infiniment plus difficile quand il s’agit d’une fracture compliquée, d’une fracture avec déplacement total, d’une fracture oblique, d’une fracture ancienne, d’une fracture dans un vieux cheval, &c. que lorsqu’il est question d’une fracture simple, sans déplacement, transversale, récente, & faite à l’os d’un jeune cheval, ou d’un poulain ; & elle est aussi beaucoup plus prompte dans ces derniers cas, selon néanmoins le volume des os fracturés ; le calus étant solidement formé au bout de vingt ou vingt-cinq jours dans la fracture des côtes ; le canon n’étant repris qu’après quarante jours écoulés ; le cubitus, qu’après cinquante, & quelquefois soixante, &c.

Quelque importans que soient ces détails, quand je les étendrois au-delà des bornes que nous devons nous prescrire dans cet ouvrage, ils seroient d’une très-foible ressource pour le maréchal, s’il ignore d’une part & par rapport aux os, leur nombre, leur figure, leur grosseur, la nature de leur substance, les inégalités, les éminences de leurs surfaces ; & de l’autre, & par rapport aux muscles, leur position, leur fonction, leur direction, &c. ainsi que la situation des nerfs & des vaisseaux considérables qui peuvent se rencontrer dans le membre fracturé ? La nécessité d’être parfaitement instruit de tous ces points divers, est absolue pour qui veut juger sainement des suites du mal, & se décider avec certitude sur les véritables moyens d’y remédier.

Ces moyens consistent à remettre l’os dans sa position naturelle, & à le maintenir fermement dans cet état. La réduction s’en fait par l’extension, la contre-extension & la conformation ; & cette réduction est fermement maintenue par le secours de l’appareil & par la situation dans laquelle on place l’animal.

Nous appellons extension, l’action par laquelle nous tirons à nous la partie malade ; contre-extension, l’effort par lequel cette même partie est tirée du côté du tronc, ou fixée de ce même côté d’une maniere stable ; & nous nommons conformation, l’opération qui tend à ajuster avec les mains les extrémités rompues de l’os, selon la forme & l’arrangement qu’elles doivent avoir.

L’extension & la contre-extension sont indispensables pour ramener la partie dans son étendue, & les extrémités fracturées au point d’être mises dans une juste opposition, & rapprochées l’une de l’autre. On doit donc observer, 1°. qu’elles sont inuti-

les dans les fractures sans déplacement ; 2°. que dans les circonstances où l’on est obligé d’y recourir, les forces qui tirent doivent être a raison de celle des muscles & de la séparation, ou de l’éloignement des pieces ; 3°. que ces mêmes forces doivent être appliquées précisément à chacun des bouts de l’os rompu ; 4°. qu’il importe qu’elles soient égales ; 5°. que l’extension ne doit être faite que peu à peu, insensiblement & par degrés, &c. Quant à la conformation, on conçoit sans peine qu’elle doit être le travail de la main, dès que l’on connoît le but que l’opérateur se propose ; & il seroit inutile sans doute d’insister ici sur l’attention avec laquelle il faut qu’il évite de presser les chaire contre les pointes des os, & de donner ainsi lieu à des divisions & à des divulsions toûjours dangereuses. Je remarquerai encore qu’il ne s’agit pas dans toutes les fractures de tenter d’abord la réduction ; une tumeur, une inflammation violente, nous prescrivent la loi de ne point passer sur le champ à l’extension & à la contre-extension, & de calmer l’accident avant d’y procéder, par des saignées, des lavemens & des fomentations legerement résolutives. Une hémorrhagie nous indique l’obligation de nous occuper dans le moment du soin de réprimer l’effusion abondante du sang ; des esquilles qui s’opposent constamment à tout replacement & qui ne peuvent que nuire à la cure, exigent que nous commencions premierement à les enlever ; une luxation jointe à la fracture, demande que nous n’ayons dans l’instant égard qu’à la nécessité évidente de la réduire, &c.

Nous comprenons sous le terme d’appareil, les bandes, les compresses, & les attelles.

Les bandes que nous employerons seront des rubans de fil plus ou moins larges, & qui auront plus ou moins de longueur, selon la figure du membre fracturé. Les circonvolutions de ce ruban autour de la partie, forment ce que nous appellons bandage. Nous avons l’avantage de ne mettre en usage que celui que l’on nomme continu, c’est-à-dire celui qui est fait avec de longues bandes roulées, & qui est le plus souvent capable de contenir l’os réduit : car dans les fractures compliquées, nous pouvons nous dispenser de recourir au bandage à dix-huit chefs, puisque nous pouvons dérouler nos bandes & les replacer sur le membre sans rien changer à sa situation, & sans lui causer le moindre dérangement. On doit se souvenir au surplus qu’un bandage trop serré peut gêner la circulation, & produire un gonflement, une inflammation ; & qu’un bandage trop lâche favoriseroit la desunion des fragmens replacés : ainsi le maréchal doit être scrupuleusement en garde contre l’un ou l’autre de ces inconvéniens.

Les compresses sont des morceaux de linge pliés en deux ou en plusieurs doubles ; on en couvre les parties fracturées ; on les tient plus épaisses dans les endroits vuides ou creux qu’elles doivent remplir.

Les attelles ne sont autre chose que des especes de petites planches, faites d’un bois mince & pliant, mais cependant d’une certaine force & d’une certaine consistance, avec lesquelles on éclisse le membre cassé ; elles doivent être par conséquent adaptées & assorties à sa force & à sa grosseur.

A l’égard de la maniere dont on doit situer l’animal ensuite de l’application de l’appareil, il paroît selon le rapport & le témoignage de M. de Soleysel, qu’il est très-possible de l’abandonner sans crainte que par un appui indiscret sur le membre fracturé, il porte la moindre atteinte à la réduction faite. Le cheval & le mulet dont cet auteur parle, & qui avoient été jettés dans des prairies, offrent un exemple de l’attention que lui suggere l’instinct ; & j’en trouverois encore une preuve dans une jument, qu’une personne très-digne de foi m’a assûré avoir vû