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mettrez dans un tonneau défoncé d’un bout. Vous pancherez le tonneau, afin que les peaux se trouvent sur le fond qui reste, comme sur un plan incline. Ce tonneau doit être regarde comme une espece de moulin à foulon. Un ouvrier nud depuis la ceinture jusqu’aux piés, entrera dans ce tonneau ; il se ceindra le corps d’un drap ou d’une sarpilliere qu’il rabattra sur l’ouverture du tonneau. On liera la sarpilliere sur le tonneau. Alors il commencera à fouler les peaux avec ses piés. Les peaux s’échaufferont ; & la sarpilliere qui couvre l’ouverture du tonneau, empêchera que la chaleur ne se dissipe. On foule les peaux pendant deux heures.

Après qu’on les a foulées, on les retire du tonneau. On a du marc d’huile d’olive, ou de la graisse, mais le marc d’huile vaut mieux ; on en oint par-tout les peaux. Cependant on a mis un rechaud avec du feu dans le tonneau ; quand il est échauffé suffisamment, on ôte le rechaud. On remet les peaux dans le tonneau ; l’ouvrier y rentre avec la sarpilliere qui est attachée autour de sa ceinture, & qu’on lie sur le tonneau, comme on avoit fait la premiere fois ; & les peaux sont encore foulées pendant deux heures.

Cela fait, il faut triballer les peaux. Cette manœuvre a pris son nom de l’instrument qu’on employe, & qu’on appelle triballe. La triballe est un morceau de fer, tout semblable à celui dont on se sert à la campagne pour travailler le chanvre. Il a 18 pouces de hauteur, 3 de largeur, & 2 de branches ; sur le dos 5 lignes d’épaisseur ; mais cette épaisseur va toujours en diminuant, comme si l’instrument devoit se terminer par un tranchant ; mais il est mousse & ne coupe point. La différence de la triballe & du fer des filassiers, c’est que la triballe a son espece de tranchant ou de côté menu, en-dedans des branches, & le dos tourné à l’ouvrier.

Pour triballer, l’ouvrier prend une peau tout au sortir du tonneau ; il a enfoncé les branches de sa triballe dans un poteau, ou dans un mur ; pour cet effet ces branches sont pointues par chaque bout, & sont longues d’environ 3 pouces. Il passe sa peau sous la lame de la triballe, entre cette lame & le poteau ; il en tient le milieu de la main droite, & la tête de la main gauche, sans être débousée ; il avance le pié gauche du côté du mur ; il retire le pié droit en-arriere : lâchant la peau & la conduisant de la main gauche, & la tirant fortement de la main droite, il la fait aller & venir sur la triballe contre laquelle tout le poids de son corps qu’il jette en-arriere à chaque mouvement, la tient appliquée.

On triballe de toutes ses forces les peaux de chien & de loup. On ne risque point de les déchirer. Il faut travailler les autres avec plus de ménagement.

L’action de triballer les peaux les corrompt & les assouplit ; peut-être même aide encore à leur faire prendre l’huile qu’elles ont commencé à boire dans le tonneau à fouler.

Lorsque les peaux sont triballées, on les débouse, on les étend sur leur large. On a un chevalet tel que celui des Chamoiseurs, en dos d’âne, à demi-rond, ou convexe en-dessus, & concave par-dessous ; ce chevalet doit avoir 5 à 6 piés de longeur. Vous le placez appuyé d’un bout contre le mur ; vous élevez l’autre à la hauteur de votre estomac, par le moyen d’une espece de croix de saint André, qu’on appelle la gambette ; vous étendez votre peau de loup ou de chien sur le chevalet ; vous prenez un couteau à deux manches, qui ait depuis 22 jusqu’à 23 pouces de long, y compris les manches, dont la lame ait deux pouces & demi de large, & six lignes d’épaisseur au dos. Ce couteau qui est un peu concave du côté du taillant, pour pouvoir prendre la rondeur du chevalet, s’appelle couteau à écharner. Il ne

coupe pas sur toute sa longueur, mais seulement d’un de ses bouts jusqu’au milieu. Vous pressez votre ventre contre la peau que vous arrêtez ainsi sur le chevalet. Vous appliquez dessus le concave de votre couteau, du côté de la chair ; vous la raclez avec la partie qui ne coupe point, afin de corrompre la chair & en préparer la séparation d’avec le cuir. Vous travaillez ensuite avec la partie tranchante, appuyant également & legerement, & craignant toûjours d’endommager la peau. Vous continuerez d’écharner, jusqu’à ce que vous apperceviez à la peau de petits points noirs. Ces points sont la racine du poil. Si vous continuez l’action du couteau, vous détacherez le poil du cuir ; & votre peau aura alors le défaut que les ouvriers désignent, quand ils disent d’une peau, qu’elle lâche.

Quand la peau est écharnée, vous la prenez, l’agitez en l’air de la main gauche ; & avec une baguette que vous tenez de la droite, vous la frappez sur le poil, afin de le faire relever. Ayez ensuite un tonneau traversé de part en part des deux fonds, par un axe, à l’un des bouts duquel il y ait une manivelle ; que ce tonneau soit soûtenu comme une roue, & puisse tourner sur lui-même ; qu’il y ait à son flanc une ouverture de huit pouces en quarré, avec une porte pour la fermer. Ayez du plâtre pulvérisé bien menu : faites-le chauffer d’une chaleur à pouvoir y supporter la main, & à ne point brûler le cuir ; mettez-le dans le tonneau avec les peaux, & faites tourner le tonneau lentement, ensorte que le plâtre s’insinue entre les poils de la peau, & les dégraisse. Pour empêcher que les peaux ne se tortillent sur elles-mêmes dans le tonneau, on y a pratiqué à sa surface, en différens endroits, des trous, où sont enfoncées des chevilles ou broches de bois qui entrent dans le tonneau d’environ 5 pouces de long.

On peut travailler ainsi quatre à cinq peaux de loup à-la-fois. Il faut pour ce nombre de peaux, un demi-boisseau de plâtre. On tourne ainsi les peaux pendant un quart-d’heure : on les retire ; on les bat avec la baguette ou contre le mur, pour en faire tomber la grosse poussiere ; on les rebat avec la baguette, on les repasse une seconde fois dans le tonneau avec le plâtre en poudre, ou de la-cendre de motte de tan, ou des cendres ordinaires, mais de préférence avec le plâtre ; on les rebat, & on passe à une autre manœuvre.

Nous observerons seulement sur celle-ci qu’elle a lieu pour les renards, les chats sauvages, les domestiques, & autres ; les fouines, les martes de France, &c. avec cette différence que ces dernieres peaux se dégraissent séparément ; au lieu qu’on peut travailler les autres ensemble.

Quand vous aurez si bien battu vos peaux dégraissées qu’il n’en sorte plus de poussiere, vous les tirerez au fer. Pour cet effet ayez un fer de pelletier. Cet instrument ou lame a 25 pouces de longueur, sur 6 de largeur ; il a le taillant en dos d’âne ; il vient en diminuant vers ses extrémités, où il n’a guere que trois pouces & demi de largeur ; il a 4 à 5 lignes d’épaisseur sur le dos ; cette épaisseur est la même jusqu’au milieu de la largeur de la lame, afin de le fortifier ; de-là jusqu’au taillant qui est arrondi, l’épaisseur diminue.

Voici comment on attache ou fixe le fer de pelletier ; on a deux branches ou pitons de la longueur de 21 à 22 pouces ; ils sont fendus à la tête ; les bouts du fer sont reçus dans des especes de mortaises ou de fentes pratiquées à ces pitons. Vous plantez dans le mur votre piton le plus bas, environ à deux piés huit pouces de terre. Vous y fixez l’extrémité inférieure de votre fer, dont le taillant doit être tourné contre le mur ; vous déterminez par la longueur du fer la hauteur à laquelle l’autre piton doit être plan-