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ne sert qu’à faire paître les bestiaux ; on donne rarement du sainfoin pur aux chevaux lorsqu’on a le moyen de le mêler avec d’autres fourrages, par la raison qu’il est une nourriture trop foible. Selon M. de Tournefort, cette plante est détersive, atténuante, digestive, apéritive, sudorifique ; qualités par conséquent très-propres à la santé du cheval, & sur-tout si on coupe cette plante avant qu’elle ne soit trop mûre, c’est-à-dire sitôt qu’elle est en fleur, tems auquel ses feuilles sont encore succulentes, pourvû qu’on ne la donne à manger que mêlée avec du foin.

La luzerne est une des meilleures nourritures que nous ayons pour les chevaux, & nous croyons pouvoir l’égaler au meilleur foin. En vain dit-on qu’elle échauffe ces animaux. On semble fondé à tenir ce langage, en ce qu’elle est très-appétissante & très-nourrissante, que les chevaux en sont fort friands, & qu’elle leur cause des indigestions lorsqu’ils en mangent avec excès ; mais c’est à quoi l’on peut remédier facilement, en ne leur en donnant qu’une quantité mesurée.

Si on avoit du terrein propre à semer de la luzerne, on en tireroit un grand produit ; 1°. elle donne beaucoup plus que les prés ordinaires, quand on n’y supposeroit que la premiere récolte. La luzerne fournit trois coupes au-moins par an : la premiere est excellente pour les chevaux ; la seconde est moins bonne, & la troisieme n’est propre que pour les vaches.

Enfin la luzerne se reproduit sans la renouveller huit à neuf ans ; elle demande un terrein, qui sans être sec, ne soit ni aquatique, ni marécageux. Elle produit d’autant plus que le terrein est meilleur ; il y a des pays où elle rapporte quatre ou cinq fois par an ; on n’en recueille la graine qu’à la seconde pousse. Nous croyons que cela dépend de ce que l’on coupe la premiere avant que la plante soit montée en graine. Elle engraisse les chevaux beaucoup mieux qu’aucun autre fourrage. Selon le botaniste que nous avons cité, elle est rafraîchissante, propre à calmer les ardeurs du sang. Columelle dit qu’elle guéri les mulets de plusieurs maladies, & que rien n’est meilleur pour eux lorsqu’ils sont si maigres qu’ils ont la peau collée sur les os. Quoique nous n’ayons point fait cette expérience sur les mulets, celles que nous avons faites sur les chevaux la confirment. Quant aux maladies que cet auteur prétend que la luzerne guérit, il est à présumer que ce ne sont que des suites du marasme ; & comme le marasme ne vient que d’un défaut d’aliment, la luzerne étant très-succulente, doit en guérir les accidens en même tems que la cause.

Le son est un accessoire du fourrage : c’est la partie la plus maigre & la plus terrestre du froment ; on en donne aux chevaux malades & à ceux que l’on prépare à la purgation, & pour leur faire de l’eau blanche, & quelquefois des lavemens ; le son est humectant, rafraîchissant, détersif, & adoucissant ; mais lorsqu’il est vieux, il contracte un mauvais goût : son sel essentiel s’évapore, il n’y reste que la partie huileuse qui devient fétide ; son altération fait que les chevaux n’en mangent point, & ne boivent point l’eau blanche avec lequel elle est faite.

Tous les genres de fourrages dans leur nouveauté doivent être interdits aux chevaux jusqu’après les premieres gelées, & plus long-tems s’il est possible, par la raison que ces sortes d’alimens doivent acquérir dans le grenier leur dernier degré de maturité. Cette élaboration ne peut être exécutée que par un mouvement naturel, & secondé à l’égard de l’avoine par le remuement de la pelle pour expulser de cette graine les principes les plus volatils qui troubleroient le méchanisme de l’économie animale : enfin pour se servir du terme du vulgaire, on ne doit

pas faire manger des fourrages aux chevaux, avant qu’ils ayent jetté leur feu.

Si l’avoine nouvelle fermente dans le grenier ainsi que les autres fourrages, comme nous l’avons observé, elle fermente aussi dans le corps du cheval ; ses parties ignées avec les sels acides & alkali volatils sont très-propres à former un chyle aigre qui sert de germe aussi à quantités de maladies moins graves à la vérité que celles que produit l’avoine corrompue, mais qui cependant sont toûjours à craindre. Nous avons vû que dans le fourrage le mélange naturel & fortuit des plantes bonnes & mauvaises, est très-dangereux pour les chevaux ; on sent d’ailleurs l’extrème difficulté de purger les prés des herbes pernicieuses qui y naissent ; cependant l’industrie humaine est déjà parvenue à faire des prés artificiels en sainfoin & en luzerne ; on en fait de même de trefle dans le terrein de Flandres. Ne pourroit-on pas proposer à ceux qui ont un intérêt essentiel à recueillir un foin pur, pour procurer à leurs chevaux la nourriture la plus saine, de prendre parmi les herbes qui composent le foin, la classe de celles que nous avons indiquées comme les meilleures, & de ne se servir que de ces graines pour ensemencer leurs prés ? Le choix n’en seroit ni difficile ni coûteux, & procureroit de grands avantages ; cet objet demande d’autant plus d’attention, qu’il importe beaucoup à la conservation & à la santé de celui de tous les animaux, dont la foiblesse industrieuse de l’homme tire le plus de soulagement & de secours.

Fourrage, dans l’art militaire, est tout ce qui sert à la nourriture des chevaux des cavaliers & des officiers de l’armée, soit en garnison, soit en campagne.

Fourrager ou aller au fourrage, c’est lorsque les armées sont en campagne, aller chercher dans les champs & dans les villages le grain & les herbes propres à la nourriture des chevaux.

Lorsque des troupes sont commandées pour cette opération, on dit qu’elles vont au fourrage, & l’on dit aussi qu’un champ, une plaine ou un pays ont été fourragés, lorsque les troupes ont enlevé ou consommé tout le fourrage qu’il contenoit. Ceux qui travaillent à couper le fourrage ou à l’enlever des granges & autres lieux où il est renfermé, sont appellés fourrageurs.

Pour que les armées puissent se mettre en campagne, il faut avoir de grandes provisions de fourrage dans les lieux voisins de celui qu’elles doivent occuper, ou bien il faut que la terre soit en état de fournir elle-même ce qui est nécessaire pour la nourriture des chevaux. Comme ce sont les blés qui produisent les fourrages les plus abondans & les plus nourrissans, les armées ne peuvent guere s’assembler que lorsqu’ils ont assez de maturité pour servir à la subsistance des chevaux ; ce qui arrive en France & dans les pays voisins vers le 15 du mois de Mai. Avant ce tems il n’est pas possible de tenir la campagne sans de nombreux magasins de fourrage, qui sont d’une dépense très-considérable, & qui d’ailleurs servent souvent à faire connoître à l’ennemi le côté où l’on se propose de l’attaquer.

Lors donc que la terre est chargée de blés, d’autres différens grains, & d’herbes en état de couper, on envoye les troupes au fourrage.

Pour cet effet les fourrageurs, outre leur mousqueton ou leur épée qu’ils doivent porter chacun pour s’en servir en cas d’attaque, ont aussi des faulx pour couper le fourrage, & des cordes pour le lier & en faire des trousses. Ce sont de grosses & longues bottes du poids de cinq à six cents livres ou environ. On les charge sur les chevaux. Chaque cheval en porte une & le fourrageur par-dessus.

Fourrager de cette maniere en plaine campagne, c’est