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la foi ; elle tient du principe d’où elle émane, de la proposition révélée, toute l’obscurité qui enveloppe celle-ci. La liaison du sujet & de l’attribut y est inévidente, & pourroit être niée si la proposition révélée, de laquelle on la conclut, ne l’empêchoit ; & comme, bien qu’obscure & inévidente, elle est très certaine, il faut de nécessité qu’elle soit de foi.

Enfin j’ajoûte qu’il est impossible de citer une seule conséquence de cette espece, qui ne soit vraiment de foi, & qu’on ne regarde dans l’Eglise comme telle. Par exemple, dans ce raisonnement : il y a en Jesus-Christ deux natures raisonnables parfaites, toute nature raisonnable & parfaite a une volonté, donc il y a en Jesus-Christ deux volontés. Cette conséquence étoit crue de tous les Chrétiens, & étoit de foi, même avant la définition du sixieme concile contre les Monothélites, & précisément en vertu de la doctrine reçûe de toute l’Eglise ; c’est pourquoi je crois qu’on doit distinguer deux sortes de définitions de l’Eglise, celles qui ne font que constater une ancienne croyance, connue de tous les fideles, généralement reçûe & enseignée expressément dans toute l’Eglise, & celles qui fixent la foi des fideles sur des objets moins familiers & moins bien connus. Il faut bien dire que la définition de la consubstantialité du Verbe au concile de Nicée, étoit une décision de la premiere sorte, autrement il faudroit convenir que le point de doctrine qu’on y décida avant ce tems là, n’étoit pas un dogme de foi expresse & explicite, aveu qu’aucun théologien catholique ne peut faire.

Il nous reste à parler des propositions contenues dans la révélation, comme conséquences des deux prémisses ; dont l’une est révélée, & l’autre connue par la raison, mais dépourvûe d’évidence & susceptible de quelque espece de doute & d’incertitude : celles-là ne sont point de foi, indépendamment d’une nouvelle décision de l’Eglise, & elles le deviennent aussi-tôt que cette décision a lieu. Voilà la réponse à la seconde question.

La premiere partie de cette assertion n’a pas besoin de preuves. Par l’hypothese on peut douter raisonnablement si ces propositions sont contenues dans la révélation, à consulter la lumiere naturelle ; donc jusqu’à ce que la décision de l’Eglise ait levé ce doute, elles ne sauroient être de foi.

Mais la définition de l’Eglise peut présenter aux fideles cette même conséquence comme contenue dans la révélation, ce qu’elle peut faire en plusieurs manieres, ou en décidant (absolument & sans rapport à la prémisse révélée dont elle peut être tirée) que cette proposition est contenue dans certains passages de l’Ecriture, dont le sens n’avoit pas encore été éclairci, quoique les premiers pasteurs en fussent instruits ; ou en recueillant la tradition éparse dans les églises particulieres, & la présentant aux fideles ; ou en puisant cette même tradition dans les écrits des peres & des écrivains ecclésiastiques, ou même en décidant que cette conséquence est vraiment liée avec la prémisse révélée, & en dissipant par-là l’incertitude que les lumieres de la raison laissoient encore sur cette même liaison.

Je regarde aussi les propositions de cette derniere classe comme l’objet propre & particulier de la Théologie, toutes les autres appartenant véritablement à la foi. Et je définis une conclusion théologique la conséquence de deux prémisses, dont l’une est révélée, & l’autre connue par les lumieres de la raison, mais susceptible encore de quelque espece d’incertitude. Ceci est une question de bien petite importance, & à laquelle je ne veux pas m’arrêter. Mais il me semble clair qu’une conclusion vraiment théologique n’est jamais évidemment contenue dans la prémisse révélée. Citons pour exemple une conclusion

théologique des plus certaines, la volonté de Dieu de sauver tous les hommes sans exception ; & considérons-la dans ce raisonnement : selon S. Paul, Deus vult omnes homines salvos fieri ; or tous, dans le passage de S. Paul, signifie tous les hommes sans exception ; donc Dieu veut sauver tous les hommes sans exception. Ne voit-on pas que si cette derniere conséquence n’est pas de foi, selon le plus grand nombre des théologiens, ce n’est que parce qu’on suppose que la seconde proposition de cet argument n’est pas au-dessus de toute espece de doute & d’incertitude. Mais cette question pourra être traitée à l’article Théologie.

Je remarquerai seulement que dans le système le plus communément reçû, que les conséquences d’une prémisse révélée & d’une prémisse de raison absolument évidente, appartiennent à la Théologie, on ne s’est pas apperçû que toutes les fois que la prémisse de raison est évidente, la conséquence est toûjours identique avec la proposition révélée, & on a imaginé qu’il pouvoit y avoir de ces conséquences-là qui ajoûtassent quelque chose à la révélation ; ce qui est absolument faux.

Les trois premieres especes de propositions sont donc de foi, en vertu des anciennes définitions, ou plûtôt en vertu de l’ancienne croyance de l’Eglise qui exerce toûjours son autorité sur celles là ; puisque nous ne les pouvons regarder comme révélées pour en faire les objets de notre foi, que parce que l’Eglise nous les présente comme telles. Quant aux dernieres, elles sont à proprement parler l’objet des nouvelles décisions de l’Eglise. En décidant sur celles-là, l’Eglise constate qu’elles sont dejà de foi ; & en décidant sur celles ci, elle les présente aux fideles comme devant être desormais l’objet de la croyance de tous ceux à qui sa définition & la proposition en question seront connues.

D’après ces principes, on résout sans embarras une autre question que S. Thomas exprime ainsi : Utrum articuli fidei per successionem temporum creverint ; le nombre des articles de foi s’est il augmenté par la succession des tems ? Selon ce pere, crevit numerus articulorum, secundâ secundæ, quæst. 1. art. vij. mais le plus grand nombre des théologiens semble s’écarter en cela de son sentiment. Selon Juenin, articuli fidei iidem semper numero fuerunt in ecclesiâ christianâ, inst. theol. part. VII. dissert. jv.

Mais ce n’est là qu’une dispute de mots. Il ne faut qu’expliquer ce que l’on peut entendre par de nouveaux articles de foi ; il ne se fait point de nouveaux articles de foi, de ces articles qu’on regarde comme le fond de la foi chrétienne, & dont la croyance explicite (nous expliquerons ce mot un peu plus bas) est nécessaire au salut ; mais l’Eglise peut proposer aux fideles comme l’objet d’une persuasion que Dieu exige d’eux, des vérités particulieres que les fideles pouvoient auparavant ou ignorer ou rejetter formellement sans errer dans la foi.

Une question se présente ici que je ne trouve pas traitée de dessein formé dans nos théologiens. Quand une proposition est-elle déclarée suffisamment par l’Eglise contenue dans la révélation, de sorte que par cette déclaration elle devienne l’objet de la foi ? Tout le monde convient qu’une proposition contenue dans la révélation, & connue comme telle, doit être crûe ; on convient encore que l’Eglise seule a le droit de nous faire connoître sûrement les dogmes contenus dans la révélation ; mais on semble supposer qu’il est facile de déterminer quand une doctrine est suffisamment déclarée par l’Eglise contenue dans la révélation pour devenir l’objet de la foi.

Si un dogme n’est déclaré contenu dans la révélation que par une définition expresse de l’Eglise qui le propose aux fideles en autant de termes, la question