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Ceux qui nous font cette difficulté, pourroient-ils assûrer que les simples ont une persuasion raisonnée de beaucoup d’autres principes non moins essentiels à croire ; l’infaillibilité même de l’Eglise, la croyent-ils d’une foi raisonnée ? Si cette vérité n’est point fondée sur la révélation, mais sur des motifs de crédibilité, il faudra que ces hommes grossiers y fassent réflexion pour que leur foi soit raisonnée ; & ces réflexions quelles qu’elles soient, valables ou peu solides, peut-on assûrer qu’ils les ont faites ?

2°. Pour que le chrétien se convainque de la divinité & de l’inspiration de l’Ecriture, il n’est pas nécessaire qu’il la lise. Nous avons représenté dans notre analyse cette proposition, l’Ecriture est la parole de Dieu, comme étroitement & évidemment liée avec celle ci, la religion chrétienne est émanée de Dieu ; cette liaison est évidente, & les plus simples la peuvent saisir. Il n’y a point de dogme plus essentiel à la religion chrétienne, qu’elle enseigne plus expressément & qu’elle suppose plus nécessairement ; de sorte que le fidele s’élevera par la voie du raisonnement à la persuasion de cette vérité, l’Ecriture-sainte est la parole de Dieu, en même tems qu’il parviendra à se convaincre de celle-ci, la religion chrétienne est émanée de Dieu. Or pour acquérir une persuasion raisonnée de cette derniere proposition, le simple fidele n’a pas besoin de lire l’Ecriture ; il suffit qu’il sache en gros l’histoire de la religion, de la vie & de la mort de Jesus-Christ, des miracles qui ont servi à son établissement, &c. ces choses sont connues dans la société dans laquelle il vit ; on les raconte sans que personne reclame ; on cite les endroits de l’Ecriture qui les contiennent ; le sens qu’on leur donne est simple & naturel. Voilà une certitude dans le genre moral, d’après laquelle l’homme grossier regle prudemment sa croyance.

En effet, entendre citer l’Ecriture par tant de gens qui la lisent & qui l’ont lûe, c’est exactement comme si on la lisoit soi-même. Remarque importante, à laquelle je prie qu’on fasse attention. Je dis à-peu-près la même chose de la croyance de l’infaillibilité de l’Eglise.

Si je ne m’étois pas déjà beaucoup étendu sur cette matiere, je ferois remarquer les avantages que peut donner la méthode que je propose dans nos controverses avec les Protestans. Si on veut faire sur cela quelques réflexions, on se convaincra facilement que cette maniere d’analyser la foi ne laisse plus aucun lieu aux difficultés qu’ils ont opposées aux théologiens catholiques ; difficultés tirées de l’embarras, qu’on éprouve à faire concourir ensemble, comme motifs de la foi, l’autorité de l’Eglise & celle de l’Ecriture, de la dignité & de la suffisance de l’Ecriture, &c.

Nous terminerons cette question en rapportant les analyses de la foi que proposent les Protestans, & en les comparant à la nôtre.

On conçoit d’abord que l’autorité de l’Eglise n’entre pour rien dans leurs méthodes ; & c’est ce qui les distingue de celles que les Catholiques adoptent. Nous avons vû que dans l’analyse de la foi il faut expliquer comment le fidele est certain de ces deux vérités, l’Ecriture est la parole de Dieu, & ce que je crois est contenu dans l’Ecriture ; en excluant l’autorité infaillible de l’Eglise, ils ont été embarrassés sur l’un & sur l’autre point.

Pour le premier article, le plus grand nombre des docteurs protestans ont dit que l’Ecriture avoit des caracteres qui prouvent sa divinité à celui qui la lit, par la voie du jugement particulier.

Ce jugement particulier, selon eux, suffit au fidele pour lui faire distinguer sûrement les livres canoniques de ceux qui ne le sont pas, même alors que tous les Chrétiens ne les reçoivent pas, & pour

juger aussi de l’authenticité des textes courts : d’où l’on voit qu’il ne faut pas confondre ce jugement particulier, avec le jugement général qu’on porte de la divinité du corps des Ecritures, & qu’on fonde sur les motifs de crédibilité qui appuient la divinité de la religion chrétienne.

Il faut distinguer encore ce jugement particulier de l’enthousiasme & de l’inspiration immédiate qu’ont admis quelques fanatiques, comme Robert Barclay, & ne pas reprocher aux docteurs protestans une opinion qu’ils rejettent expressément.

Ce jugement particulier n’est pas même admis uniquement par tous les théologiens protestans pour juger de la divinité des Ecritures. La Placette ministre très-estimé, mort à Utrecht en 1718, s’est rapproché en ce point des théologiens catholiques, dans un traité de la foi divine. Il soûtient d’après Grégoire de Valence & d’autres théologiens catholiques, que la divinité des Ecritures peut être appuyée dans l’esprit du fidele & dans l’analyse de la foi, immédiatement sur la divinité de la religion chrétienne : c’est ce que nous avons dit, mais avec des restrictions que ce ministre ne peut pas apporter, & au défaut desquelles son analyse est défectueuse. En effet dans nos principes, la divinité des déutérocanoniques des textes courts, &c. n’étant pas liée intimement & évidemment avec cette vérité, la religion chrétienne est émanée de Dieu, il est nécessaire de recourir à l’autorité suprème de l’Eglise, pour recevoir d’elle ces livres & ces textes comme divins & inspirés ; d’où il suit que le protestant qui a secoüé le joug de l’Eglise, ne peut plus appuyer solidement le jugement qu’il porte de leur authenticité.

Quant au sens des Ecritures, tous les Protestans ont dit que l’esprit privé, ou le jugement particulier, en étoit juge ; & ils ont fondé cette assertion sur ce que l’Ecriture est claire, & qu’une médiocre attention suffit pour en découvrir le sens naturel. Ils ont ajoûté qu’en supposant même qu’elle eût quelque obscurité pour les fideles simples & grossiers, ce qui manqueroit non pas à l’évidence de l’objet, mais à la disposition du sujet, pouvoit être suppléé par Dieu au moyen d’un secours qui ouvre l’esprit des simples, & qui les rend capables de saisir & de comprendre les vérités nécessaires à croire pour le salut.

La Placette manie cette idée avec beaucoup d’adresse ; il s’appuie de l’autorité de nos controversistes qui ont reconnu un semblable secours ; & il forme cette analyse de la foi, que je rapporterai en entier, parce qu’on peut dire que c’est ce qu’il y a de mieux sur cet article dans la théologie protestante.

1°. La religion chrétienne est émanée de Dieu ; 2°. si elle est véritable & émanée de Dieu, l’Ecriture-sainte est la parole de Dieu ; 3°. si l’Ecriture est la parole de Dieu, on peut & on doit croire de foi divine tout ce qu’elle contient ; 4°. on ne manque pas de moyens pour s’assûrer que certaines choses sont dans l’Ecriture ; 5°. il y a diverses choses dans l’Ecriture qu’on peut s’assûrer qui y sont contenues, en se servant de ces moyens.

Nous avons déjà remarqué le défaut de cette analyse, quant à la deuxieme proposition ; elle est encore défectueuse dans la troisieme & dans la quatrieme. Il y a beaucoup de choses qu’on ne peut pas s’assûrer être contenues dans l’Ecriture, sans le secours d’une autorité dépositaire & interprete du sens des passages qui les renferment. L’Ecriture en beaucoup d’endroits est obscure & difficile, même pour les personnes un peu instruites. On avance gratuitement que Dieu donne ce secours extraordinaire que supposent les Protestans ; & il est bien plus simple qu’il ait donné aux apôtres & à leurs successeurs, le droit suprème d’expliquer l’Ecriture dans les endroits difficiles, & de décider en dernier ressort les contesta-