Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

font jour au-travers. Elles font plus : par exemple, pour monter au haut d’un pilier, elles ne courent pas le long de la superficie extérieure ; elles y font un trou par le bas, entrent dans le pilier même, & le creusent jusqu’à ce qu’elles soient parvenues au haut. Quand la matiere au travers de laquelle il faudroit se faire jour est trop dure, comme le seroit une muraille, un pavé de marbre, &c. elles s’y prennent d’une autre maniere ; elles se frayent le long de cette muraille, ou ce pavé, un chemin voûté, composé de terre liée par le moyen d’une humeur visqueuse, & ce chemin les conduit où elles veulent se rendre. La chose est plus difficile lorsqu’il s’agit de passer sur un amas de corps détachés ; un chemin qui ne seroit que voûté par-dessus, laisseroit par-dessous trop d’intervalles ouverts, & formeroit une route trop raboteuse : cela ne les accommoderoit pas ; aussi y pourvoyent-elles, mais c’est par un plus grand travail ; elles se construisent alors une espece de tube ou un conduit en forme de tuyau, qui les fait passer par-dessus cet amas, en les couvrant de toutes parts.

Une personne qui a confirmé tous ces faits à M. Lyonnet, a dit avoir vû que des fourmis de cette espece ayant pénétré dans un magasin de la compagnie des Indes orientales, au bas duquel il y avoit un tas de clous de girofle qui alloit jusqu’au plancher, elles s’étoient faites un chemin creux & couvert qui les avoit conduites par-dessus ce tas sans le toucher au second étage, où elles avoient percé le plancher, & gâté en peu d’heures pour une somme considérable d’étoffes des Indes, au-travers desquelles elles s’étoient fait jour.

Des chemins d’une construction si pénible, semblent devoir coûter un tems excessif aux fourmis qui les font ; il leur en coûte pourtant beaucoup moins qu’on ne croiroit. L’ordre avec lequel une multitude y travaille, avance la besogne. Deux fourmis, qui sont apparemment deux femelles, ou peut-être deux mâles, puisque les mâles & les femelles sont ordinairement plus grandes que les fourmis du troisieme ordre, deux grandes fourmis, dis-je, conduisent le travail, & marquent la route. Elles sont suivies de deux files de fourmis ouvrieres, dont les fourmis d’une file portent de la terre, & celles de l’autre une eau visqueuse. De ces deux fourmis les plus avancées, l’une pose son morceau de terre contre le bord de la voûte ou du tuyau du chemin commencé : l’autre détrempe ce morceau, & toutes les deux le pétrissent & l’attachent contre le bord du chemin ; cela fait, ces deux fourmis rentrent, vont se pourvoir d’autres matériaux, & prennent ensuite leur place à l’extrémité postérieure des deux files ; celles qui après celles ci étoient les premieres en rang, aussitôt que les premieres sont rentrées. déposent pareillement leur terre, la détrempent, l’attachent contre le bord du chemin, & rentrent pour chercher dequoi continuer l’ouvrage. Toutes les fourmis qui suivent à la file en font de même, & c’est ainsi que plusieurs centaines de fourmis trouvent moyen de travailler dans un espace fort étroit sans s’embarrasser, & d’avancer leur ouvrage avec une vîtesse surprenante. Voyez M. Lyonnet sur les insectes.

Les voyageurs parlent beaucoup de certaines fourmis blanches du royaume de Maduré, nommées par les Indiens carreyan, & qui sont la proie ordinaire des écureuils, des lesards, & autres animaux de ce genre ; ces sortes de fourmis élevent leurs fourmilieres à la hauteur de cinq ou six piés au-dessus de terre, & les enduisent artistement d’un mortier impénétrable. Les campagnes du pays sont couvertes de fourmilieres de cette nature, que les habitans laissent subsister ; soit par la difficulté qu’ils ont d’empêcher ces insectes de les rétablir promptement, soit par la crainte de les attirer dans leurs propres cabanes.

Quoi qu’il en soit, on remarque en tous lieux que chaque espece de fourmi fait constamment bande à part, & qu’on ne les voit jamais mêlées ensemble ; si quelqu’une par inadvertance se rend dans un nid de fourmi qui ne soit pas de son espece, elle perd nécessairement la vie, à moins qu’elle n’ait le bonheur de se sauver promptement.

La fourmi vue au microscope, paroît curieuse par sa structure, qui est divisée en tête, corps, & queue, qu’un ligament très-délié joint ensemble. Ses yeux perlés sortent de la tête, qui est ornée de deux cornes ayant chacune douze jointures ; ses mâchoires sont garnies de sept petites dents ; la queue de quelques fourmis est armée d’un aiguillon creux, dont elles se servent quand elles sont irritées, pour jetter une liqueur acre & corrosive.

Tout le corps est revêtu d’une espece d’armure hérissée de soies blanches & brillantes ; les jambes sont aussi couvertes de poils courts & bruns. Voyez Hook microsc. obs. 49. Powers expér. phil. obs. 42. & Bakers, microsc. &c.

Mais le lecteur avide d’autres détails, peut consulter le traité des fourmis de M. Gould, Lond. 1747. in-8°. & à son défaut les Trans. philos. n°. 482. sect. 4. Nous dirons seulement ici que cet habile homme détruit completement dans son ouvrage l’idée vulgaire de la prévoyance des fourmis & de leur approvisionnement pendant l’hiver. (D. J.)

Fourmi, (Econom. rustiq.) ces insectes préjudicient beaucoup aux arbres qui portent du fruit, particulierement aux poiriers & aux pêchers ; ils mangent les jets de ce dernier arbre, & les font mourir : c’est pourquoi les Jardiniers cherchent tous les moyens possibles de détruire ces petits animaux nuisibles, & y travaillent sans cesse. Les uns, pour y parvenir, employent le fumier humain, que les fourmis ne peuvent supporter ; & ils en mettent une petite quantité au pié des arbres qu’elles aiment davantage : d’autres, pour les en écarter, se servent de sciûre de bois qu’ils jettent autour du pié de l’arbre ; de sorte que quand elles veulent y monter, elles sentent que le terrein n’est pas ferme sous leurs pattes, & elles se retirent ailleurs : on peut encore employer le mercure, qui est un poison pour ces insectes.

On prend aussi des bouteilles à moitié pleines d’eau miellée ; on en frotte un peu les goulots pour y attirer les fourmis ; quand il y en a beaucoup de prises, on les noye, & on répete le piége jusqu’à ce qu’on les ait détruites : d’autres frottent de miel des feuilles de papier, qu’ils étendent aux environs du passage des fourmis ; elles couvrent bien-tôt ces papiers qu’on leve par les quatre coins, & qu’on jette dans quelque baquet d’eau où elles périssent. Quelques-uns font un mélange de miel & d’arsenic en poudre dans des boîtes percées de petits trous de la grosseur d’une fourmi ; & ce moyen en détruit un grand nombre : mais il faut éviter de faire ces trous assez grands pour que les abeilles y puissent passer ; car elles y entreroient avec les fourmis ; & alors elles pourroient par hasard, avant que de mourir, porter de ce miel empoisonné dans leurs ruches.

Quelques jardiniers n’ayant pas le tems de s’occuper de ces minuties, prennent le parti d’entourer le bas des tiges de leurs arbres précieux, de rouleaux de laine de brebis nouvellement tondues : d’autres enduisent ces tiges de goudron ; cependant comme le goudron nuit d’ordinaire aux arbres, je ne puis recommander cette derniere pratique. Mais un des bons moyens de chasser bien-tôt ou de faire périr les fourmis, est d’arroser fréquemment les piés d’arbres & tous les endroits où elles peuvent aborder, parce qu’il n’est rien qu’elles craignent plus que l’eau. Si par tous ces divers stratagèmes, & autres semblables, on ne détruit pas ces insectes, du-moins on en