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difficilement. Le ver sort de l’œuf en se dépouillant de sa membrane, & il la roule de façon qu’elle devient presqu’invisible ; alors il n’a point encore de jambes, mais on distingue les douze anneaux sur le corps, & on voit la bouche, la tête est panchée sur la poitrine, & reprend cette situation toutes les fois que l’on essaye de la relever ; lorsqu’il a pris son accroissement, tous les membres de la fourmi y sont déjà formés, mais ils restent cachés sous une enveloppe. Quoique ce ver ait du mouvement & plusieurs caracteres propres aux animaux, & qu’il soit quelquefois plus gros qu’une fourmi, cependant on croit vulgairement que c’est l’œuf de cet insecte ; & on en vend dans les marchés sous ce nom pour la nourriture des rossignols & d’autres petits oiseaux. Ses membres paroissent à découvert après qu’il s’est dépouillé de son enveloppe, & dans cet état on lui donne le nom de nymphe.

On voit dans cette nymphe les deux yeux & les dents de la fourmi ; ses antennes sont étendues sur la poitrine : elle a six jambes, trois de chaque côté, &c. Enfin tous les membres de la fourmi sont formes dans la nymphe ; mais leur consistence est très-molle, & ils sont recouverts par une membrane fort mince. Lorsque la nymphe s’en dépouille, la couleur des yeux qui étoit blanche devient noire, les antennes, les jambes, & tout le corps entier changent aussi de couleur ; toute l’humidité superflue s’exhale, tous les membres commencent à se mouvoir, & se debarrassent de la membrane qui les enveloppoit ; alors la nymphe devient une vraie fourmi, mais c’est toûjours le même insecte que l’on a vu successivement sous la forme d’un œuf, d’un ver, & d’une nymphe. Dans l’œuf il étoit enveloppé d’une peau luisante & unie : dans le ver il étoit recouvert d’une peau velue & sillonnée : dans la nymphe la peau enveloppoit chacune des parties de l’insecte ; enfin cette troisieme peau étant tombée, la fourmi paroit à découvert, & sous une forme qui ne change plus dans le reste de sa vie ; sa peau se durcit & prend une consistence approchante de celle de la corne. Biblia naturæ, p. 287. & suiv.

Il y a diverses especes de fourmis, & dans chaque espece, outre les mâles & les femelles, il y a encore les fourmis ouvrieres. Swammerdam a donré la description de ces trois sortes de fourmis de l’espece la plus commune qui se trouve dans les jardins & dans les prés.

La fourmi ouvriere a la mâchoire inférieure divisée en deux parties qui sont courbes, qui avancent au-dehors, & qui sont terminées chacune par sept petites pointes ; ces deux portions de mâchoire sont mobiles, & servent comme des bras pour transporter différentes choses, sur-tout les jeunes fourmis qui sont sous la forme de vers ; la tête est séparée de la poitrine par un étranglement fort court ; il y a une partie mince & assez longue entre la poitrine & le ventre ; la tête est aussi grosse, mais moins alongée que la poitrine ; le ventre est à-peu-près aussi long que la poitrine, mais plus gros ; les yeux sont noirs ; les antennes ont une couleur brune, & se trouvent placées au-devant des yeux, une de chaque côté : elles sont hérissées de petites soies, & composées de douze pieces, dont la premiere est la plus longue ; la tête & la poitrine sont revêtues d’une peau dure & inégale ; les lombes forment le second étranglement qui est entre la poitrine & le ventre ; les six jambes tiennent à la poitrine, trois de chaque côté, & ont chacune quatre parties, dont la derniere est le pied ; celle ci est de quatre pieces, posées successivement les unes au bout des autres, & la quatrieme a deux petits angles ; le ventre est velu de même que les jambes & le reste du corps, mais il a une couleur roussâtre. Swammerdam croit que les fourmis

ouvrieres n’ont aucune des parties qui caractérisent le sexe du mâle & de la femelle : que par conséquent elles ne contribuent en rien à la propagation de l’espece, & qu’elles nourrissent & soignent les jeunes fourmis qui ne sont pas encore parvenues à leur derniere transformation.

Les fourmis mâles & les femelles ont les deux portions de la mâchoire inférieure un peu plus petites que les fourmis ouvrieres : mais les yeux des mâles sont plus grands que ceux des femelles & des ouvrieres ; les mâles & les femelles ont sur la tête trois tubercules semblables à de petites perles qui manquent aux fourmis ouvrieres ; il y a aussi des différences dans la forme & la couleur de la poitrine, mais le mâle est caractérisé d’une maniere bien plus apparente par quatre aîles qui tiennent à la poitrine, deux de chaque côté, dont la premiere est plus grande que la seconde ; il a aussi une couleur plus foncée, & il est plus grand que la fourmi ouvriere. Les nymphes des fourmis mâles different aussi des autres en ce qu’elles ont des ailes. On ne trouve pas des fourmis mâles dans les fourmilieres en tout tems ; il est à croire qu’ils ont le sort des abeilles mâles que les ouvrieres tuent après que les femelles sont secondées. Aussi Swammerdam a souvent observé des fourmis ouvrieres qui maltraitoient des mâles.

Les fourmis semelles sont non-seulement plus longues que les mâles & les ouvrieres, mais encore plus grosses. En les disséquant on y apperçoit aisément de petits œufs de couleur blanche ; la poitrine est de couleur moins brune que celle du mâle, & plus rousse que celle de la fourmi ouvriere.

Swammerdam a observé que parmi les fourmis les plus communes en Hollande, il ne se trouve qu’un petit nombre de mâles & quelques femelles, en comparaison du grand nombre des fourmis ouvrieres. Il a ramassé ces insectes dans la campagne & dans des jardins pour les nourrir dans sa maison ; & pour les voir plus commodément, il les empêchoit de se disperser au loin, en leur opposant de toutes parts un petit fossé plein d’eau qu’elles ne pouvoient pas franchir, car les fourmis fuient l’eau : pour cet effet il appliquoit sur un grand plat de terre concave un rebord de cire, & il l’étendoit dans toute la circonférence du plat, à quelque distance des bords, de sorte qu’il restoit un petit canal circulaire entre le rebord de cire & les bords du plat ; il remplissoit d’eau ce petit canal, & il plaçoit les fourmis sur l’aire du cercle formé par le rebord de cire : dès qu’elles y avoient passé quelques jours, il s’y trouvoit de petits œufs dont il sortoit des vers tels qu’ils ont été décrits plus haut ; alors il voyoit les fourmis ouvrieres occupées à soigner ces vers, à les nourrir, & à les transporter d’un lieu à un autre, les tenant entre les deux prolongemens de la mâchoire inférieure. Dès que la terre dans laquelle elles étoient logées sur le plat, se desséchoit à la superficie, elles transportoient les vers & les nymphes au-dedans, à l’endroit le plus profond ; & lorsqu’on versoit assez d’eau dans le plat pour inonder des vers, bientôt les fourmis ouvrieres les remontoient au-dessus de l’eau ; mais si on ne répandoit qu’une petite quantité d’eau pour humecter seulement une partie de la terre, c’étoit dans cet endroit humecté qu’elles apportoient les vers qui se trouvoient dans une portion de terre trop seche, ce qui prouve que la terre humectée leur convient mieux que celle qui est trop seche ou trop mouillée.

Les soins des fourmis ouvrieres sont si nécessaires à ces vers & à ces nymphes, que Swammerdam a tenté plusieurs fois, mais toûjours inutilement, d’en élever sans leur secours. Il nourrissoit les fourmis qu’il observoit avec du sucre, des raisins, des poires, des pommes, & d’autres fruits ; jamais il ne les a vû