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gere, l’une appellée fougere mâle, l’autre fougere femelle ; il y en a encore une troisieme qui est la fougere fleurie ou l’osmonde ; mais on employe fort rarement cette derniere. Quant aux deux autres, on les confond assez souvent, & l’on prend sans scrupule l’une pour l’autre, c’est-à-dire que l’on employe celle qu’on se peut procurer le plus facilement. Les auteurs sont pourtant partagés au sujet de leurs vertus ; les uns donnent la préférence à la fougere mâle, d’autres à la femelle.

Il est fort peu important d’accorder ces diverses opinions, parce que cette plante qui étoit très-usitée chez les anciens, n’est presque plus employée dans la pratique moderne : peut-être par le dégoût qu’en ont pris les malades, selon l’idée de M. Geoffroi ; peut-être par celui qu’en ont pris les Medecins, après l’avoir employée inutilement ; peut-être aussi parce que nous avons restreint à un très-petit nombre de plantes nos remedes contre les maladies chroniques. Ce n’est presque plus que comme vermifuge que nous employons aujourd’hui cette racine dont nous faisons prendre la décoction, & plus ordinairement encore & avec plus de succès la poudre au poids d’un gros ou de deux. Cette poudre passe pour un spécifique contre les vers plats ; & c’est-là le principal secret des charlatans qui entreprennent la guérison de ce mal. (b)

Mais si les charlatans ont quelque succès dans ce cas, c’est qu’alors ils joignent adroitement & en cachette à la racine de fougere réduite en poudre le mercure, l’æthiops minéral, ou quelqu’autre préparation mercurielle, qui sont seules le vrai poison des vers.

Les vertus de la fougere dépendent, les unes de son huile, les autres de son sel essentiel, qui est tartareux, austere, accompagné d’un sel neutre, lequel ne s’alkalise point. Elle agit en dissolvant les humeurs épaisses par son sel essentiel, & en resserrant les fibres solides par ses particules terreuses astringentes. On peut donc la prescrire utilement pour base des boissons apéritives & desobstruentes dans les maladies spléniques & hypochondriaques, pourvû que les malades soient capables d’en continuer l’usage quelque tems, sans le dégoût ordinaire, très difficile à surmonter.

Le suc des racines de fougere mêlé avec de l’eau-rose, ou autre semblable, est un assez bon remede pour bassiner les parties legerement brûlées, à cause du suc visqueux & mucilagineux dont cette plante est empreinte. (D. J.)

Fougere, (Arts.) On tire un grand parti de la fougere dans les Arts. Il est même arrivé quelquefois dans la disette de vivres, qu’on a fait du pain de la racine de fougere. M. Tournefort raconte qu’il en a vû à Paris en 1693, que l’on avoit apporté d’Auvergne ; mais ce pain étoit fort mauvais, de couleur rousse, presque semblable aux mottes d’écorce de chêne, qui sont d’usage pour tanner le cuir, & qu’on appelle mottes-à-brûler.

On employe la fougere dans le comté de Saxe pour chauffer les fours & pour cuire la chaux, parce que la flamme en est fort violente & très-propre à cet emploi.

Le pauvre peuple en plusieurs parties du nord de l’Angleterre, se sert de cendres de fougere au lieu de savon pour blanchir le linge. Ils coupent la plante verte, la réduisent en cendres, & forment des balles avec de l’eau, les font sécher au soleil, & les conservent ainsi pour leurs besoins. Avant que d’en faire usage, ils les jettent dans un grand feu jusqu’à ce qu’elles rougissent ; & étant calcinées de cette maniere, elles se réduisent facilement en poudre.

Personne n’ignore qu’on employe les cendres de fougere à la place de nitre, que l’on jette ces cendres

sur les cailloux pour les fondre & les réduire en verre de couleur verte ; c’est-là ce qu’on nomme verres de fougere, si communs en Europe. V. Verre.

Les cendres de la fougere femelle commune présentent un autre phénomene bien singulier, quand on en tire le sel suivant la méthode ordinaire, à la quantité de quelques livres ; la plus grande partie de ce sel étant séchée, & le reste qui est plus humide étant exposé à l’air, pour en recevoir l’humidité, il devient promptement fluide, ou une huile, comme on l’appelle improprement, par défaillance : ensuite le reste du lixivium qui est très-pesant & d’un rouge plus ou moins foncé, étant mis à-part dans un vaisseau de verre qu’on tient débouché pendant cinq ou six mois, laisse tomber au fond de la liqueur une assez grande quantité de sel précipité, jusqu’à l’épaisseur d’environ deux pouces au fond du vaisseau. La partie inférieure de la liqueur est pleine de saletés, mais la partie du haut est blanche & limpide. Sur la surface de cette partie se forment des crystallisations de sel d’une figure réguliere, semblable à plusieurs plantes de fougere commune, qui jetteroient un grand nombre de feuilles de chaque côté de la tige ; ces ramifications salines subsistent plusieurs semaines dans leur état, si l’on ne remue point le vaisseau ; mais elles sont si tendres, que le moindre mouvement les détruit, & alors elles ne se réforment jamais. Voyez les Transact. philos. n°. 105.

Enfin les Chinois se servent dans leurs manufactures de porcelaine d’une espece de vernis qu’ils font avec de la fougere & de la chaux ; ils y parviennent si aisément, qu’il ne seroit pas ridicule de l’essayer dans nos manufactures de porcelaine. Voici le procédé & la maniere.

Ils prennent une quantité de fougere bien séchée qu’ils répandent par lits sur un terrein suffisant à la quantité de vernis dont ils ont besoin. Sur cette fougere ils font une autre couche de pierres de chaux fraîchement calcinées, sur laquelle ils jettent avec la main une petite quantité d’eau suffisante pour l’éteindre ou la délayer. Ils couvrent cette couche de chaux d’une troisieme couche de fougere, & multiplient toûjours alternativement ces couches jusqu’à la hauteur de huit ou dix piés ; alors ils mettent le feu à la fougere qui se brûle en peu de tems, & qui laisse un mélange de chaux & de cendres. Ce mélange est porté de la même maniere sur d’autres couches de fougere qu’on brûle de même. Cette opération est répétée cinq ou six fois.

Quand la derniere calcination est finie, ce mélange de chaux & de cendres est soigneusement rassemblé & jetté dans de grands vaisseaux pleins d’eau ; & sur chaque quintal de poids, ils y mettent une livre de kékio. Ils remuent le tout ensemble ; & quand la partie la plus grossiere est tombée au fond, ils enlevent la plus fine qui surnage au-dessus en forme de creme, qu’ils mettent dans un autre vaisseau d’eau, ils la laissent tomber au fond par le séjour ; alors ils versent l’eau du vaisseau, & y laissent le résidu en forme d’une huile épaisse.

Ils mêlent cette liqueur avec de l’huile de cailloux préparée, en pulvérisant & en blanchissant de la même maniere une sorte particuliere de pierre-à-caillou, & ils en couvrent tous les vaisseaux qu’ils ont intention de vernisser. Ces deux huiles, comme on les nomme, sont toûjours mêlées ensemble, & ils les font soigneusement de la même épaisseur, parce qu’autrement la vernissure ne seroit point égale. Les cendres de fougere ont une grande part dans l’avantage que cette huile a au-dessus de nos vernis communs. On dit que la manufacture de Bristol est parvenue à attraper la beauté du vernis qu’elle possede, par l’imitation des deux huiles dont les Chinois vernissent leurs porcelaines. (D. J.)