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de même que les vaisseaux qui l’entourent : la vésicule du fiel & la vessie urinaire étoient affaissés & entierement vuides, tandis que les ureteres se trouvoient extrèmement distendus par la quantité d’urine qu’ils contenoient.

Toutefois, quand l’on rencontre de tels phénomenes, ou simplement des meurtrissures & des blessures à ceux qui sont morts de la foudre, ce n’est pas tant leur mort qui surprend que la route tout-à-fait singuliere que la foudre a prise, en causant les meurtrissures, les plaies, & les blessures des parties externes ou internes : mais il est vrai que ces sortes de singularités de la foudre ne sont pas particulieres aux corps animés. Voyez Foudre, (Physique.) (D. J.)

Foudre, (Mytholog.) sorte de dard enflammé dont les Peintres & les Poëtes ont armé Jupiter. Célus, dit la Fable, avant été délivré par Jupiter de la prison où le tenoit Saturne, pour récompenser son libérateur, lui fit présent de la foudre, qui le rendit maître des dieux & des hommes. Suivant les Poëtes, ce sont les Cyclopes qui forgent les foudres du pere des immortels. Virgile ajoûte que dans la trempe des foudres les Cyclopes mêloient les terribles éclairs, le bruit affreux, les trainées de flammes, la colere de Jupiter, & la frayeur des humains.

Fulgores nunc terrificos, sonitumque, metumque
Miscebant operi, flammisque sequacibus iras.

Æneid. VIII. 431.

Stace est le seul des anciens qui ait donné la foudre à la déesse Junon ; car Servius assure, sur l’autorité des livres étrusques, dans lesquels tout le cérémonial des dieux étoit reglé, qu’il n’y avoit que Jupiter, Vulcain, & Minerve, qui pussent la lancer. Chaque foudre renfermoit trois rayons de grêle, trois de pluie, trois de feu, & trois de vents.

La foudre de Jupiter est figurée en deux manieres ; l’une, en une espece de tison flamboyant par les deux bouts, qui ne montrent qu’une flamme ; l’autre, en une machine pointue des deux côtés, armée de deux fleches. Lucien semble lui donner cette derniere forme, lorsqu’il nous représente fort plaisamment Jupiter se plaignant de ce qu’ayant depuis peu lancé sa foudre longue de dix piés contre Anaxagore, qui nioit l’existence des dieux, Périclès détourna le coup qui porta sur le temple de Castor & de Pollux, & le réduisit en cendres : par cet évenement, la foudre s’étoit presque brisée contre la pierre ; & ses deux principales pointes avoient été tellement émoussées, que le maitre des dieux ne pouvoit plus s’en servir sans les racommoder.

La principale divinité de Séleucie, selon Pausanias, étoit la foudre, qu’on honoroit avec des hymnes & des cérémonies toutes particulieres ; peut-être étoit-ce Jupiter même qu’on honoroit ainsi sous le symbole de la foudre. Quoi qu’il en soit, on voit sur quelques médailles de cette ville un foudre posé sur une table que Tristan prend pour un autel ; & il regarde ces médailles comme un monument de ce culte subsistant encore sous Eliogaballe & Caracalla, de qui sont les médailles.

La foudre représentoit un pouvoir égal aux dieux ; c’est pourquoi Apelles peignit Alexandre dans le temple de Diane d’Ephese, tenant la foudre à la main : c’est encore par cette raison qu’on trouve sur les médailles romaines, que la foudre y accompagne quelquefois la tête des empereurs, comme dans des médailles d’Auguste. La flaterie des peuples asservis s’est portée à des bassesses bien plus étranges.

Icquez me paroît plus heureux que Ménage dans l’étymologie du mot foudre ; il le dérive de fudr, terme de la langue des Cimbres, qui signifie chaleur, brûlure, & mouvement rapide. (D. J.)

Foudre, (Littérat.) les surprenans effets que pro-

duit la foudre, ont fourni de tout tems une ample

matiere à la superstition des peuples. Les Romains serviront de preuve, & me dispensent d’en chercher ailleurs.

Ils distinguoient deux sortes de foudre, celles du jour & celles de la nuit ; ils donnoient les premieres à Jupiter, & les secondes au dieu Summanus ; & si la foudre grondoit entre le jour & la nuit, ils l’appelloient fulgur provorsum, & l’attribuoient conjointement à Jupiter & à Summanus.

Non contens de cette distinction générale, ils tiroient toutes sortes de présages de la foudre. Quand, par exemple, elle étoit partie de l’orient, & que n’ayant fait qu’effleurer quelqu’un, elle retournoit du même côte, c’étoit le signe d’un lbonheur parfait, summæ felicitatis præsagium, comme Pline le raconte a l’occasion de Silla. Les foudre qui faisoient plus de bruit que de mal, ou celles qui ne signifioient rien, étoient nommées vana & bruta fulmina ; celles qui promettoient du bien & du mal s’appelloient fatidica fulmina ; & la plupart des foudres de cette espece étoient prises pour une marque de la colere des dieux : telle fut la foudre qui tomba dans le camp de Crassus ; elle fut regardée comme un avant-coureur de sa défaite ; & telle encore, selon Ammien Marcellin, fut celle qui précéda la mort de l’empereur Valentinien. De ces foudres de mauvaise augure, il y en avoit dont on ne pouvoit éviter le présage par aucune expiation, inexpiabile fulmen ; & d’autres, dont le malheur pouvoit être détourné par des cérémonies religieuses, piabile fulmen.

La langue latine s’enrichit de la sotte confiance qu’on donnoit aux augures tires de la foudre. On appella conciliaria fulmina celles qui arrivoient lorsqu’on délibéroit de quelque affaire publique ; auctorativa fulmina, celles qui tomboient après les délibérations prises, comme pour les autoriser ; monitoria fulmina, celles qui avertissoient de ce qu’il falloit éviter : deprecaria fulmina, celles qui avoient apparence de danger, sans qu’il y en eut pourtant effectivement ; postulatoria fulmina, celles qui demandoient le rétablissement des sacrifices interrompus ; familiaria fulmina, celles qui présageoient le mal qui devoit arriver à quelque famille ; publica fulmina, celles dont on tiroit des prédictions générales pour trois cents ans ; & privata fulmina, celles dont les prédictions particulieres ne s’étendoient qu’au terme de dix années.

Ainsi les Romains porterent au plus haut comble d’extravagance ces folies ; ils vinrent jusqu’à croire que le tonnerre étoit un bon augure, quand on l’entendoit du côté droit, & qu’il étoit au contraire un signe fatal, quand on l’entendoit du côté gauche ; il n’étoit pas même permis, suivant le rapport de Cicéron, de tenir les assemblées publiques lorsqu’il tonnoit, Jove tonante, fulgurante, comitia populi habere nefas.

Les endroits frappés de la foudre étoient réputés sacrés ; & comme si Jupiter eût voulu se les approprier, il n’étoit plus permis d’en faire des usages prophanes. On y élevoit des autels au dieu tonnant, avec cette inscription, deo fulminatori. Les aruspices purifioient tout lieu sans exception sur lequel la foudre étoit tombée, & le consacroient par le sacrifice d’une brebis appellée bidens, c’est-à-dire à qui les dents avoient poussé en-haut & en bas ; ce lieu séparé de tout autre, s’appelloit bidental, du nom de la brebis qu’on avoit immolée, & on regardoit pour impies & pour sacrileges ceux qui le prophanoient ou en remuoient les bornes ; c’est-là ce qu’Horace appelle quelque part movere bidental.

Tout ce qui avoit été brûlé ou noirci par la foudre étoit placé sous un autel couvert, & les augures étoient chargés de ce soin. On employoit en particu-