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le n’a pû trouver à cette difficulté d’autre réponse, sinon que l’ame des bêtes étoit matérielle sans être matiere ; au lieu que l’ame de l’homme étoit spirituelle : comme si une absurdité pouvoit servir à résoudre une objection ; & comme si nous pouvions concevoir un être spirituel sous une autre idée que sous l’idée négative d’un être qui n’est point matiere.

Les philosophes modernes, plus raisonnables, conviennent de la spiritualité de l’ame des bêtes, & se bornent à dire qu’elle n’est pas immortelle, parce que Dieu l’a voulu ainsi.

Mais l’expérience nous prouve que les bêtes souffrent ; que leur condition sur ce point est à-peu-près pareille à la nôtre, & souvent pire. Or pourquoi Dieu, cet être si bon & si juste, a-t-il condamné à tant de peines des êtres qui ne l’ont point offensé, & qu’il ne peut même dédommager de ces peines dans une vie future ? Croire que les bêtes sentent, & par conséquent qu’elles souffrent, n’est-ce pas enlever à la religion le grand argument que saint Augustin tire des souffrances de l’homme pour prouver le péché originel ? Sous un Dieu juste, dit ce pere, toute créature qui souffre doit avoir péché.

Descartes, le plus hardi, mais le plus conséquent des Philosophes, n’a trouvé qu’une réponse à cette objection terrible : ç’a été de refuser absolument tout sentiment aux animaux ; de soûtenir qu’ils ne souffrent point ; & que destinés par le créateur aux besoins & au service de l’homme, ils agissent en apparence comme des êtres sentans, quoiqu’ils ne soient réellement que des automates. Toute autre réponse, de quelques subtilités qu’on l’enveloppe, ne peut, selon lui, mettre à couvert la justice divine. Cette métaphysique est spécieuse sans doute. Mais le parti de regarder les bêtes comme de pures machines, est si révoltant pour la raison, qu’on l’a abandonné, nonobstant les conséquences apparentes du système contraire. En effet comment peut-on espérer de persuader à des hommes raisonnables, que les animaux dont ils sont environnés, & qui, à quelques legeres différences près, leur paroissent des êtres semblables à eux, ne sont que des machines organisées ? Ce seroit s’exposer à nier les vérités les plus claires. L’instinct qui nous assûre de l’existence des corps, n’est pas plus fort que celui qui nous porte à attribuer le sentiment aux animaux.

Quel parti faut-il donc prendre sur la question de l’ame des bêtes ? Croire, d’après le sens commun, que les bêtes souffrent ; croire en même tems, d’après la religion, que notre ame est spirituelle & immortelle, que Dieu est toujours sage & toûjours juste ; & savoir ignorer le reste.

C’est par une suite de cette même ignorance, que nous n’expliquerons jamais comment les animaux, avec des organes pareils aux nôtres, avec des sensations semblables, & souvent plus vives, restent bornés à ces mêmes sensations, sans en tirer, comme nous, une foule d’idées abstraites & réfléchies, les notions métaphysiques, les langues, les lois, les Sciences, & les Arts. Nous ignorerons du-moins jusqu’où la réflexion peut porter les animaux, & pourquoi elle ne peut les porter au-delà. Nous ignorerons aussi toujours, & par les mêmes raisons, en quoi consiste l’inégalité des esprits ; si cette inégalité est dans les ames, ou dépend uniquement de la disposition du corps, de l’éducation, des circonstances, de la société ; comment ces différentes causes peuvent influer si différemment sur des ames qui seroient toutes égales d’ailleurs ; ou comment des substances simples peuvent être inégales par leur nature. Nous ignorerons si l’ame pense ou sent toûjours ; si la pensée est la substance de l’ame, ou non ; si elle peut subsister sans penser ou sentir ; en quel tems l’ame commence à être unie au corps, & mille autres choses

semblables. Les idées innées sont une chimere que l’expérience reprouve : mais la maniere dont nous acquérons des sensations & des idées réfléchies, quoique prouvée par la même expérience, n’est pas moins incompréhensible. Toute la Philosophie, sur une infinité de matieres, se borne à la devise de Montagne. L’intelligence suprème a mis au-devant de notre vûe un voile que nous voudrions arracher en vain : c’est un triste sort pour notre curiosité & notre amour-propre ; mais c’est le sort de l’humanité.

Au reste, la définition que nous avons donnée du mot forme substantielle, ne doit pas s’appliquer à l’usage qui est fait de ce même mot dans le premier canon du concile général de Vienne, qui décide contre le cordelier Pierre Jean d’Olive, que quiconque osera soûtenir que l’ame raisonnable n’est pas essentiellement la forme substantielle du corps humain, doit être tenu pour hérétique. Ce decret, qu’on auroit peut-être dû énoncer plus clairement, ne prouve pas, comme quelques incrédules l’ont prétendu, que du tems du concile de Vienne, on admettoit la matérialité de l’ame, ou du-moins qu’on n’avoit pas d’idée distincte de sa spiritualité : car l’Eglise ne peut ni se tromper, ni par conséquent varier sur cette matiere importante. Voyez Ame. Voyez aussi l’abregé de l’Histoire ecclésiastique, Paris 1751, sous l’année 1312. (O)

Forme, en Théologie, est une partie essentielle des sacremens.

La forme, selon les Théologiens, est tout ce qui signifie plus clairement ou plus distinctement la grace, ou ce qui détermine la matiere à l’être sacramentel, suivant cette parole de S. Augustin (tract. 80. in Joan. n°. 3.) : accedit verbum ad elementum, & fit sacramentum.

En genéral la forme est une parole ou une priere qui exprime la grace & l’effet du sacrement ; & on l’appelle ainsi, parce qu’elle détermine la signification plus obscure de ce qui sert de matiere.

Ce mot de forme aussi-bien que celui de matiere, étoit inconnu aux peres & aux anciens théologiens, qui disoient que les sacremens consistoient en choses ou en élémens, & en paroles : rebus seu elementis, & verbis. Vers le milieu du treizieme siecle, Guillaume d’Auxerre, théologien scholastique, imagina les mots de matiere & de forme, suivant le gout de la philosophie péripatéticienne, fort à la mode en ces tems là, & suivant laquelle on disoit que la forme déterminoit la matiere à constituer tel ou tel être, plûtôt que tel ou tel autre être. Les modernes adopterent ces expressions, & l’Eglise elle-même s’en est servi. Le pape Eugene IV. dans son decret donné à Florence après le départ des Grecs, réunit l’ancienne & la nouvelle maniere de s’exprimer sur ce point : Omnia sacramenta, dit-il, tribus perficiuntur ; videlicet rebus tanquam materia, verbis tanquam formâ, & per sonâ ministri conferentis sacramentum.

L’essence & la validité de tout sacrement demande donc qu’il y ait une forme particuliere & propre, relative à sa nature & à la grace qu’il signifie & qu’il confere.

Les Théologiens sont partagés pour savoir si Jesus-Christ a déterminé seulement en général ou en particulier les formes des sacremens. Chacun de ces sentimens a ses défenseurs ; mais le premer paroît d’autant plus probable, qu’il suppose que J. C. a laissé à son Eglise la liberté & le pouvoir de déterminer les formes des sacremens ; & qu’à l’exception de la forme du baptême & de celle de l’eucharistie, on ne trouve point exprimées dans l’Ecriture les formes des autres sacremens, telles qu’elles sont usitées dans l’église greque & latine.

La maniere dont la forme est concûe, se réduit en général à deux especes : elle peut être conçue, ou en termes indicatifs, ou en maniere de priere ;