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parce que la conservation des forces vives a lieu dans les mouvemens des corps qui se poussent, pourvû que ces mouvemens ne changent que par degrés insensibles, ou plûtôt infiniment petits ; au lieu qu’elle a lieu dans les corps élastiques qui se choquent, dans le cas même où le ressort agiroit en un instant indivisible, & les feroit passer sans gradation d’un mouvement à un autre.

M. Huyghens paroît être le premier qui ait apperçu cette loi de la conservation des forces vives dans le choc des corps élastiques. Il paroît aussi avoir connu la loi de la conservation des forces vives dans le mouvement des corps qui sont animés par des puissances. Car le principe dont il se sert pour résoudre le problème des centres d’oscillation, n’est autre chose que la seconde loi exprimée autrement. M. Jean Bernoulli dans son discours sur les lois de la communication du mouvement dont nous avons parlé, a développé & étendu cette découverte de M. Huyghens, & il n’a pas oublié de s’en servir pour prouver son opinion sur la mesure des forces, à laquelle il croit ce principe très-favorable, puisque dans l’action mutuelle de deux corps, ce n’est presque jamais la somme des produits des masses par les vîtesses qui fait une somme constante, mais la somme des produits des masses par les quarrés des vîtesses. Descartes croyoit que la même quantité de force devoit toûjours subsister dans l’univers, & en conséquence il prétendoit faussement que le mouvement ne pouvoit pas se perdre, parce qu’il supposoit la force proportionnelle à la quantité de mouvement. Ce philosophe n’auroit peut-être pas été éloigné d’admettre la mesure des forces vives par les quarrés des vîtesses, si cette idée lui fût venue dans l’esprit. Cependant si on fait attention à ce que nous avons dit ci-dessus sur la notion qu’on doit attacher au mot de force, il semble que cette nouvelle preuve en faveur des forces vives, ou ne présente rien de net à l’esprit, ou ne lui présente qu’un fait & une vérité avoués de tout le monde.

Dans mon traité de Dynamique imprimé en 1743, j’ai démontré le principe de la conservation des forces vives dans tous les cas possibles ; & j’ai fait voir qu’il dépend de cet autre principe, que quand des puissances se font équilibre, les vîtesses virtuelles des points où elles sont appliquées, estimées suivant la direction de ces puissances, sont en raison inverse de ces mêmes puissances. Ce dernier principe est reconnu depuis long-tems par les Géometres pour le principe fondamental de l’équilibre, ou du moins pour une conséquence nécessaire de l’équilibre.

M. Daniel Bernoulli dans son excellent ouvrage intitulé Hydrodynamica, a appliqué le premier au mouvement des fluides le principe de la conservation des forces vives, mais sans le démontrer. J’ai publié à Paris en 1744, un traité de l’équilibre & du mouvement des fluides, où je crois avoir démontré le premier la conservation des forces vives dans le mouvement des fluides. C’est aux savans à juger si j’y ai réussi. Je crois aussi avoir prouvé que M. Daniel Bernoulli s’est servi quelquefois du principe de la conservation des forces vives dans certains cas où il n’auroit pas dû en faire usage. Ce sont ceux où la vîtesse du fluide ou d’une partie du fluide change brusquement & sans gradation, c’est-à-dire sans diminuer par des degrés insensibles. Car le principe de la conservation des forces vives n’a jamais lieu lorsque les corps qui agissent les uns sur les autres passent subitement d’un mouvement à un mouvement différent, sans passer par les degrés de mouvement intermédiaires, à-moins que les corps ne soient supposés à ressort parfait. Encore dans ce cas le changement ne s’opere-t-il que par des degrés infiniment petits ; ce qui le fait rentrer dans la regle

générale. Voyez Hydrodynamique & Fluide.

Dans les mém. de l’académie des Sciences de 1742, M. Clairaut a démontré aussi d’une maniere particuliere le principe de la conservation des forces vives ; & je dois remarquer à ce sujet, que quoique le mémoire de M. Clairaut soit imprimé dans le vol. de 1742, & que mon traité de Dynamique n’ait paru qu’en 1743, cependant ce mémoire & ce traité ont été présentés tous deux le même jour à l’académie.

On peut voir par différens mémoires répandus dans les volumes des académies des Sciences de Paris, de Berlin, de Petersbourg, combien le principe de la conservation des forces vives facilite la solution d’un grand nombre de problemes de Dynamique ; nous croyons même qu’il a été un tems où on auroit été fort embarrassé de résoudre plusieurs de ces problemes sans employer ce principe ; & il me semble, si une prévention trop favorable pour mon propre travail ne m’en impose point, que j’ai donné le premier dans mon traité de Dynamique une méthode générale & directe pour résoudre toutes les questions imaginables de ce genre, sans y employer le principe de la conservation des forces vives, ni aucun autre principe indirect & secondaire. Cela n’empêche pas que je ne convienne de l’utilité de ces derniers principes pour faciliter, ou plûtôt pour abréger en certains cas les solutions, sur-tout lorsqu’on aura eu soin de démontrer auparavant ces mêmes principes.

Du rapport de la force vive avec l’action. Nous avons vû au mot Cosmologie, que les partisans modernes des forces vives avoient imaginé l’action comme le produit de la masse par l’espace & par la vîtesse, ou ce qui revient au même, comme le produit de la masse par le quarré de la vîtesse & par le tems, car dans le mouvement uniforme tel qu’on le suppose ici, l’espace est le produit de la vîtesse par le tems. Voyez Vîtesse.

Nous avons dit aussi aux mots Action & Cosmologie, que cette définition de l’action prise en elle-même, est absolument arbitraire ; cependant nous craignons que les partisans modernes des forces vives n’ayent prétendu attacher par cette définition quelque réalité à ce qu’ils appellent action. Car selon eux la force instantanée d’un corps en mouvement, est le produit de la masse par le quarré de la vîtesse ; & ils paroissent avoir regardé l’action comme la somme des forces instantanées, puisqu’ils font l’action égale au produit de la force vive par le tems. On peut voir sur cela un mémoire, d’ailleurs assez médiocre, du feu professeur Wolf, inséré dans le I. volume de Petersbourg ; & l’on se convaincra que ce professeur croyoit en effet avoir fixé dans ce mémoire la véritable notion de l’action ; mais il est aisé de voir que cette notion, quand on voudra la regarder autrement que comme une définition de nom, est tout-à-fait chimérique & en elle-même & dans les principes des partisans des forces vives ; 1°. en elle-même, parce que dans le mouvement uniforme d’un corps, il n’y a point de résistance à vaincre, ni par conséquent d’action à proprement parler ; 2°. dans les principes des partisans des forces vives, parce que selon eux, la force vive est celle qui se consume, ou qu’on suppose pourvoir se consumer en s’exerçant. Il n’y a donc proprement d’action que lorsque cette force se consume réellement en agissant contre des obstacles. Or dans ce cas, selon les défenseurs même des forces vives, le tems doit être compté pour rien, parce qu’il est de la nature d’une force plus grande d’être plus long-tems à s’anéantir. Pourquoi donc veulent-ils faire entrer le tems dans la considération de l’action ? L’action ne devroit être dans leurs principes que la force vive même en tant