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Quoiqu’il se trouve parmi les auteurs une certaine tradition assez suivie, qui a transmis ces explications de phénomenes singuliers, le peuple pour qui les Philosophes n’écrivent guere, a toûjours été livré à la vûe de ces vicissitudes dont il ignoroit la cause, à des croyances superstitieuses, qui dans les matieres physiques, sont toûjours son partage. Quand même il pourroit saisir la simplicité du méchanisme caché qui produit à ses yeux ces effets, il ne s’y attachera jamais, parce que ce méchanisme ne peut pas tenir lieu dans son imagination de ces idées merveilleuses dont il aime à se repaître.

Pline, lib. XXXI. cap. ij. observe que les Cantabres tiroient des augures de l’état où ils trouvoient les sources du Tamaricus, (aujourd’hui la Tamara dans la Galice). Dirum est non profluere, eos aspicere volentibus. Il appuie même ces prétentions sur un fait : Sicut proximè Lartio Licinio legato post præturam, post septem enim dies occidit. Le propre de l’esprit de superstition est de réunir en preuves de ses prétentions des circonstances qui n’ont aucune liaison. Combien de gens n’avoient pas vû couler les sources du Tamaricus, sans éprouver le sort du préteur romain ? Mais un seul fait éclatant tient lieu de toutes les petites circonstances où la vertu de la fontaine auroit paru se démentir : & d’ailleurs les impressions funestes sont pour les grands. Les prêtres des dieux qui tenoient registre des tems où ces sources couloient, pouvoient moyennant des salaires honnêtes procurer la satisfaction & l’assûrance de voir couler les sources ; & cette cause a de tout tems contribué à entretenir des dupes. Voyez Augure, Aruspices, Miracle, Oracle, &c.

Dans des tems moins reculés, nous retrouvons ces préventions répandues parmi les habitans des cantons qui avoisinent certaines sources singulieres. Le pere Dechalles rapporte qu’on croit en Savoie que la fontaine de Haute-combe ne coule point en présence de certaines personnes ; & M. Atwell a trouvé les mêmes idées dans les habitans de Brixam au sujet de la source périodique de Lawyell, dont nous parlerons dans la suite. Scheuchzer assûre de même que les habitans du mont Eng-Shen tiennent pour certain que la fontaine périodique qui y prend sa source, cesse de couler lorsqu’on y lave quelque chose de sale, &c. Scheuchzer lui-même qui s’étoit élevé dans son second voyage contre cette crédulité, y revient dans son cinquieme, & paroît ébranlé par le témoignage constant des habitans du voisinage qu’il a pu consulter.

Une autre espece de propriété qu’on a plus constamment attribuée aux fontaines, est celle de prédire l’abondance ou la stérilité. Pierre Jean Fabre, medecin de Castelnaudari, prétend que les habitans de Bellestat en Languedoc pouvoient juger des années par le cours de Fontestorbe ; il ajoûte même que le cours continuel & uniforme de cette fontaine en 1624 & 1625 annonçoit la conversion des Prétendus-Réformés. C’est ainsi que Séneque nous assûre que deux années de basses eaux du Nil avoient présagé la défection d’Antoine & les malheurs de Cléopatre, lib. III. quæst. natur. Plot, dans son discours sur l’origine des fontaines, fait mention à chaque page de ces prédictions d’années stériles ou abondantes : ces présages, au reste, peuvent avoir une cause physique aisée à saisir. On sçait que certaines années pluvieuses ou seches, sont stériles ou abondantes. Une fontaine qui éprouvera dans son cours des variations qui seront dépendantes de la sécheresse ou des pluies, sera une espece de météorometre qui la plûpart du tems rendra des réponses assez justes.

Application de nos principes à un exemple. Il ne nous reste maintenant qu’à faire l’application des principes que nous venons de développer, aux résultats des

observations exactes & précises que l’on a faites sur une de ces fontaines singulieres : nous nous attacherons à celle de Fontestorbe, sur laquelle nous avons des détails assez circonstanciés pour y essayer une méthode de calculs, & en tracer le modele aux observateurs qui auront quelques-unes de ces fontaines à examiner.

Fontestorbe, c’est-à-dire, suivant la langue du pays, fontaine interrompue ou intermittente, est près de Bellestat dans le diocese de Mirepoix : à ce village une chaîne de montagnes assez élevées qui occupe l’espace d’une lieue, vient se terminer par des rochers escarpés qui forment un antre spatieux & profond de quatre à cinq toises, & dont l’ouverture est de quarante piés de large sur trente de haut : c’est de cet antre que sort Fontestorbe. Cette fontaine est intermittente pendant la sécheresse en Juin, Juillet, Août & Septembre, tantôt plûtôt, tantôt plûtard, suivant que ces mois sont plus ou moins pluvieux. Si le printems ou le commencement de l’été ont donné beaucoup de pluies, l’écoulement de Fontestorbe est plus long qu’à l’ordinaire, & son intermission plus courte. On observe même que dans le tems que cette fontaine a repris son intermittence en été, son cours devient soûtenu & uniforme après deux ou trois jours de pluies abondantes ; & l’intermittence ne reparoît que dix ou douze jours après.

Si l’automne est seche, l’intermittence se prolonge au-delà de Septembre ; & même paroît encore en Novembre, Décembre, & Janvier, si les neiges qui tombent sur les montagnes ne se fondent pas : mais lorsque cette fonte a lieu, ou que ces mois sont pluvieux, Fontestorbe coule uniformément & plus abondamment que dans le plus fort de ses écoulemens périodiques. Elle suffit malgré cela dans ses accès, après avoir mêlé ses eaux à celles de la petite riviere de Lers, à la dépense d’un moulin à soie & d’un autre à forge qui se trouvent à quelque distance au-dessous.

Le tems de son intermittence est ordinairement en été, suivant M. Astruc, de 32′. 30″. l’écoulement dure 36′. 35″. & par conséquent sa période est de 69′. 5″. Selon les observations du P. Planque de l’Oratoire, qui considere cette fontaine comme intercalaire, l’accès est de 44′. l’intercalaison ou diminution de 17′. ce qui donne 61′. pour sa période : mais ce pere l’a observée en Octobre, où la source est plus abondante ; car les pluies & la sécheresse dérangent considérablement les proportions de ses intermittences & de ses écoulemens.

Ainsi lorsque la fontaine commence à devenir intermittente, ou qu’elle cesse de l’être (n°. 5.), le tems de l’intermission est beaucoup plus court, & celui de l’écoulement beaucoup plus long que nous ne l’avons indiqué ci-devant. Ce qui fait considérer cette fontaine comme intercalaire par le P. Planque, c’est qu’il coule continuellement au-dessous de son bassin des filets d’eau.

Avant que l’eau commence à couler dans le bassin extérieur de la fontaine, on entend un bruit sourd ; & ce bruit précede l’écoulement d’environ douze minutes.

Tels sont les principaux faits auxquels nous allons appliquer notre théorie. Si l’on suppose maintenant dans l’intérieur de la montagne deux réservoirs à différente hauteur qui communiquent par le moyen d’un siphon, dont la plus courte jambe réponde vers le fond du réservoir supérieur ; on a toutes les pieces nécessaires pour la solution des phénomènes dont nous venons de voir le détail. Cet antre, ces rochers escarpés, le bruit sourd de l’eau qui tombe dans des cavités, autorisent la supposition des réservoirs & des siphons.

Je considere d’abord que l’écoulement du siphon commence environ douze minutes avant que l’eau