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genre de vie, & leurs occupations les plus sérieuses.

Enfin quand les Grecs n’eurent plus de vertus, les institutions gymnastiques détruisirent l’art militaire même ; on ne descendit plus sur l’arene pour se former à la guerre, mais pour se corrompre : du tems de Plutarque, les parcs où l’on se battoit à nud, & les combats de la lutte rendoient les jeunes gens lâches, les portoient à un amour infâme, & ne faisoient que des baladins. Dans nos siecles modernes, un homme qui s’appliqueroit trop aux exercices, nous paroîtroit méprisable, parce que nous n’avons plus d’autres objets de recherches que ce que nous nommons les agrémens ; c’est le fruit de notre luxe asiatique. La danse ne nous inspire que la mollesse, & l’exercice des armes la fureur des combats singuliers ; deux pestes que nous ne regardons point avec effroi, & qui cependant moissonnent la jeunesse des états les plus florissans. (D. J.)

GYMNIQUES, (Jeux, ou Combats) Littérat. greq. & rom. Les jeux ou combats gymniques étoient des exercices célebres chez les Grecs & les Romains, qui prirent leur nom de la nudité des athletes, lesquels pour être plus libres, se mettoient nuds ou presque nuds.

On convient qu’Hercule en instituant les jeux olympiques, imposa aux athletes qui devoient y combattre, la loi d’y paroître nuds ; la nature de la plûpart des exercices usités dans ces jeux, jointe à la chaleur du climat & de la saison où l’on tenoit ces sortes d’assemblées, exigeoient nécessairement cette nudité, qui pourtant n’étoit pas entiere ; on avoit soin de cacher ce que la décence défend de découvrir, & l’on employoit pour cela une espece de ceinture, de tablier, ou d’écharpe, dont on attribue l’invention à Palestre fille de Mercure. Nous voyons cet usage établi dès le tems d’Homere, qui appelle ζῶμα cette sorte de ceinture, en parlant du pugilat d’Euriale & d’Epeus.

Mais vers la quinzieme Olympiade, s’il en faut croire Denis d’Halicarnasse, les Lacédémoniens s’affranchirent de la servitude de l’écharpe ; ce fut, au rapport d’Eustathe, l’aventure d’un certain Orsippe qui en amena l’occasion : l’écharpe de cet athlete s’étant déliée lorsqu’il disputoit le prix de la course, ses piés s’y accrocherent, ensorte qu’il se laissa tomber, & se tua, ou du-moins fut vaincu par son concurrent, (car on compte la chose de deux façons). Ce malheur donna lieu de porter un réglement qui décidoit qu’à l’avenir les athletes combattroient sans écharpe & sacrifieroient la pudeur à leur commodité, en retranchant même ce reste d’habillement. Acanthe le Spartiate suivit le premier l’ordonnance, & disputa tout nud le prix de la course aux jeux olympiques : toutefois les autres peuples rejetterent cette coûtume, & continuerent à se couvrir de l’écharpe dans la lutte & dans le pugilat ; ce qu’observoient encore les Romains du tems de Denis d’Halicarnasse. Cependant l’époque de l’entiere nudité des athletes, que cet auteur met à la quinzieme olympiade, est démentie par Thucydide, qui prétend qu’elle ne s’étoit introduite que quelques années avant le tems où il écrivoit l’histoire de la guerre du Péloponnèse : or l’on sait que le commencement de cette guerre tombe à la premiere année de la 87e olympiade.

Quoi qu’il en soit, la nudité des athletes n’étoit d’usage que dans certains exercices, tels que la lutte, le pugilat, le pancrace, & la course à pié ; car il est prouvé par d’anciens monumens, que dans l’exercice du disque, les discoboles portoient des tuniques ; on ne se dépouilloit point pour la course des chars, non plus que pour l’exercice du javelot ; & c’est pour cette raison, comme le remarque Eustathe, qu’Homere, grand observateur des bienséan-

ces, ne fait paroître Agamemnon aux jeux funebres de Patrocle, que dans cette derniere espece de combats, où ce prince n’étoit point obligé de déroger en quelque sorte à sa dignité, en quittant ses habits.

Cependant comme dans les gymnases destinés à former la jeunesse aux combats gymniques, les jeunes gens y paroissoient d’ordinaire presque nuds, il y avoit des inspecteurs appellés sophronistes, préposés pour veiller sur eux & les maintenir dans la pudeur.

Lycon, selon Pline, institua les jeux gymniques en Arcadie, qui de-là se répandirent par-tout, firent successivement les délices des Grecs & des Romains, & accompagnerent presque toûjours la célébration des grandes fêtes, sur-tout celles des bacchanales.

Ces jeux se donnoient avec magnificence quatre fois l’année, savoir 1°. à Olympie, province d’Elide, & par cette raison furent appellés jeux olympiques, en l’honneur de Jupiter Olympien ; 2°. dans l’isthme de Corinthe, d’où ils prirent le nom de jeux isthmiens, & furent dédiés à Neptune ; 3°. dans la forêt de Némée, à la gloire d’Hercule, & furent appellés jeux néméens ; 4°. on les connut aussi sous le nom de jeux pythiens, en l’honneur d’Apollon qui avoit tué le serpent Python. Voyez Olympiques, Isthmiens, Néméens, Pythiens

On y disputoit le prix du pugilat, de la lutte, de la course à pié, de la course des chars, de l’exercice du disque, & du javelot ; Lucien nous a laissé de ces divers combats avec son badinage ordinaire, un tableau fort instructif dans un de ses dialogues, où il fait parler ainsi Anacharsis & Solon.

Anacharsis. « A qui en veulent ces jeunes gens, de se mettre si fort en colere, & de se donner le croc en jambe, de se rouler dans la boue comme des pourceaux, tâchant de se suffoquer ? Ils s’huiloient, se rasoient d’abord paisiblement l’un l’autre : mais tout-à-coup baissant la tête, ils se sont entrechoqués comme des béliers ; puis l’un élevant en l’air son compagnon, le laisse tomber à terre par une secousse violente, & se jettant sur lui, l’empêche de se relever, lui pressant la gorge avec le coude, & le serrant si fort avec les jambes, que j’ai peur qu’il ne l’étouffe, quoique l’autre lui frappe sur l’épaule, pour le prier de le lâcher, comme se reconnoissant vaincu. Il me semble qu’ils ne devroient point s’enduire ainsi de boüe, après s’être huilés, & je ne puis m’empêcher de rire, quand je vois qu’ils esquivent les mains de leurs compagnons comme des anguilles que l’on presse ; en voilà qui se roulent dans le sable avant que de venir au combat, afin que leur adversaire ait plus de prise, & que la main ne coule pas sur l’huile ni sur la sueur. »

Solon. « La difficulté qui se trouve à colleter un adversaire lorsque l’huile & la sueur font glisser la main sur la peau, met en état d’emporter sans peine dans l’occasion un blessé hors du combat, ou d’enlever un prisonnier. Quant au sable & à la poussiere dont on se frotte, on le fait pour une raison toute différente, c’est-à-dire pour donner plus de prise, afin de s’accoûtumer à esquiver les mains d’un antagoniste malgré cet obstacle ; outre que cela sert, non-seulement à essuyer la sueur & à décrasser, mais encore à soûtenir les forces, en s’opposant à la dissipation des esprits, & à fermer l’entrée à l’air, en bouchant les pores qui sont ouverts par la chaleur. »

Anacharsis. « Que veulent dire ces autres qui sont aussi couverts de poussiere ? ils s’entrelacent à coups de pié & de poing, sans essayer de se renverser comme les premiers : mais l’un crache ses dents avec le sable & le sang, d’un coup qu’il a reçû dans la mâchoire, sans que cet homme vêtu de pourpre, qui préside à ces exercices, se mette en peine de les séparer ; ceux-ci font voler la pous-