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put paroître en plaine devant la cavalerie, & la combattre même avec avantage ; mais la cavalerie fut toûjours jugée nécessaire dans les armées pour soûtenir & fortifier l’infanterie dans les lieux ouverts, donner des nouvelles de l’ennemi, le poursuivre après la défaite, &c.

Il est vraissemblable que les différentes choses dont on vient de parler, occuperent d’abord les nations guerrieres, & que la fortification doit aussi son origine aux premieres entreprises des puissances qui vouloient s’assujettir les autres. « D’abord, dit le comte de Pagan dans son traité de fortification, les campagnes étoient les plus agréables demeures ; l’assûrance des particuliers consistoit en l’innocence de tous, & les vertus & les vices n’admettoient point encore de différence parmi les hommes ; mais lorsque l’avarice & l’ambition donnerent lieu aux commandemens & aux conquêtes, la foiblesse cédant à la force, l’oppression suivit les vaincus ». Les moins puissans se réunirent ensemble dans le même lieu, pour être plus en état de se défendre : de-là l’origine des villes. On s’appliqua à les entourer d’une enceinte, capable d’en fermer l’entrée à l’ennemi. Cette enceinte fut d’abord de simples palissades, puis de murs entourés de fossés ; on y ajoûta ensuite des tours. Voyez Fortification.

A mesure que la fortification se perfectionnoit, l’ennemi inventoit différentes machines propres à en détruire les ouvrages : telles furent le bélier & les autres machines de guerre des anciens. Voy. Bélier, Baliste, Catapulte, &c.

Ces machines ont été en usage jusqu’à l’invention de la poudre, qui donna lieu d’imaginer le canon, le mortier, les arquebuses, les mousquets, les fusils, & nos autres armes à feu.

L’invention ou la découverte de la poudre à canon, qui a donné lieu de changer l’ancienne fortification, n’a pas introduit beaucoup de nouveautés dans les armes offensives du soldat. Le fusil répond assez exactement aux armes de jet des anciens ; mais les armes défensives ont été abandonnées insensiblement dans l’infanterie, à cause de la difficulté d’en avoir d’assez fortes pour résister à la violence du fusil. La cavalerie a seulement des plastrons ou des devants de cuirasse, & les officiers des cuirasses entieres, que les réglemens les obligent de porter. Voyez Armes défensives.

Dans les commencemens, où les armées s’éloignoient peu de leur demeure ordinaire, & où elles étoient peu de jours en campagne, les troupes pouvoient rester sans inconvéniens exposées aux injures de l’air. Mais lorsqu’on voulut leur faire tenir la campagne plus long-tems, on imagina de leur donner des tentes ou des especes de maisons de toile, que les soldats pouvoient porter avec eux. On forma alors des camps, & l’on fit camper les armées. Voyez Castramétation.

On pensa aussi alors à fortifier ces camps, pour les mettre à l’abri des surprises de l’ennemi, faire reposer les troupes plus tranquillement, & diminuer le grand nombre de gardes qu’il auroit fallu pour la sûreté du camp.

Toutes les différentes choses dont nous venons de parler, se sont insensiblement établies par l’usage parmi toutes nations policées. Celles qui y ont donné le plus d’attention & qui les ont portées au plus grand point de perfection, ont toûjours eu un avantage considérable sur celles qui les avoient plus négligées. Ce n’est pas le grand nombre qui décide des succès à la guerre, mais l’habileté des chefs, & la bonté des troupes disciplinées avec soin, & formées dans tous les exercices & les manœuvres militaires. De-là vient que les Grecs, auxquels on est particulierement redevable des progrès de l’art militaire, avoient

trouvé le moyen avec de petites armées de vaincre les nombreuses armées des Perses. Rien de plus admirable que la fameuse retraite des dix mille de Xenophon. Ces grecs, quoiqu’en petit nombre au milieu de l’empire des Perses, ayant près de huit cents lieues à faire pour se retirer, ne pûrent être entamés par les forces d’Artaxerxès. Ils surmonterent par leur courage & par l’habileté de leurs chefs tous les obstacles qui s’opposoient à leur retour.

Quelqu’utiles que soient l’exercice & la discipline pour former de bonnes troupes, l’art de la guerre ne consiste pas uniquement dans cet objet. Ce n’est qu’un moyen de parvenir plus sûrement à réussir dans ses entreprises : ce qui appartient essentiellement à l’art de la guerre, & qui le caractérise, c’est l’art de savoir employer les troupes pour leur faire exécuter tout ce qui peut réduire l’ennemi plus promptement, & le forcer à faire la paix ; car la guerre est un état violent qui ne peut durer, & l’on ne doit la faire que pour se procurer la joüissance des douceurs & des avantages de la paix.

Il est facile avec de la bonne volonté, de l’application, & un peu de discernement, de se mettre au fait de toutes les regles ordinaires de la guerre, & de savoir les différentes manœuvres des troupes ; mais le génie de la guerre ne peut se donner ni s’acquérir par l’étude. Elle peut seulement le perfectionner. On peut appliquer à l’art de la guerre ce que l’Horace françois dit du jeu d’échets comparé à l’art de faire des vers.

Savoir la marche est chose très-unie,
Joüer le jeu, c’est le fruit du génie ;
Je dis le fruit du génie achevé,
Par longue étude & travail cultivé.

Savoir toutes les manœuvres de la guerre, tout ce qui concerne l’ordre, la disposition & l’arrangement des troupes, tout cela quoique très-utile en soi & absolument nécessaire au général, est chose très-unie. Mais faire la guerre avec succès, rompre les desseins de l’ennemi, trouver le moyen d’éluder sa supériorité, faire des entreprises continuellement sur lui sans qu’il puisse s’y opposer, c’est-là le véritable fruit du génie, & du génie achevé par longue étude & travail cultivé.

« Si un homme, dit M. le maréchal de Saxe, n’est pas né avec les talens de la guerre, & que ces talens ne soient perfectionnés, il ne sera jamais qu’un général médiocre : l’application rectifie les idées, mais elle ne donne jamais l’ame ; c’est l’ouvrage de la nature ».

Mais quelqu’avantage qu’on en ait reçû, si on ne cultive pas ses talens par l’étude & la méditation, il ne faut pas espérer, dit M. de Folard, que Dieu nous accorde la science de la guerre par infusion. « Cependant à voir, dit-il, le peu d’application que chacun apporte à s’y rendre capable, on croiroit assez qu’elle s’apprend en un jour, & que cette lumiere d’ordre, de ruse, d’artifice pour s’en bien démêler, de profondeur dans la conduite des guerres les plus difficiles, de prévoyance & de précaution qui nous éclaire, qui ne se perd ni ne s’éteint point dans les dangers les plus éminens, naît avec nous, & que nous sommes de ces génies extraordinaires que la providence se plait quelquefois à faire paroître dans le monde & de loin, pour sauver ou renverser les monarchies ».

On ne peut acquérir la science de la guerre que par l’étude & par la pratique. La pratique seule sans la théorie ne peut jamais donner que des connoissances fort bornées. Il faut qu’elle soit aidée & soûtenue par les lumieres de la théorie.

On a vû dans l’article Etude militaire, quelles sont les différentes connoissances qui servent de base