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dégagée de toute sa salure avant que de s’insinuer dans les ramifications étroites : car si elle en conserve, & qu’elle la perde en route, voilà un principe d’obstruction pour ces petits tuyaux capillaires. Comment le résidu salin est-il déterminé à se porter dans les ramifications des goufres vomissans ? Comment l’eau devenue plus salée conserve-t-elle une fluidité assez grande pour refluer avec une célérité & une facilité qui n’interrompra pas le travail de cette circulation continuelle ? Comment l’eau divisée dans ces cavités très-étroites n’y dépose-t-elle pas des couches de sel qui les bouchent ; ou ne s’évapore-t-elle pas entierement, de telle sorte que le sel se durcisse en masse solide : car elle est exposée à un feu capable d’agir sur des volumes d’eau plus considérables ? Pourquoi enfin toute l’eau ne se sépare-t-elle pas des sels lors de la premiere distillation ; de sorte que le résidu salin soit une masse solide & incapable d’être entraînée par des canaux étroits ? Combien d’inconvéniens & d’embarras n’éprouvent pas ceux qui veulent compliquer leurs ressources à mesure que de nouveaux faits font naître de nouvelles difficultés ? Ces supplémens, ces secours étrangers, bien loin de soulager la foiblesse d’une hypothèse, la montrent dans un plus grand jour, & la surchargent de nouvelles suppositions, qui entraînent la ruine d’un tout mal concerté.

III. Ceux que je place dans cette troisieme classe ont tellement réduit leurs prétentions d’après les faits, qu’elles paroissent être les seules de toutes celles que j’ai exposées, qui puissent trouver des partisans parmi les personnes raisonnables & instruites. Pour jetter du jour sur cette matiere, ils distinguent exactement ce qui concerne l’origine des fontaines d’avec l’origine des rivieres. Les fontaines proprement dites sont en très-petit nombre, & versent une quantité d’eau peu considérable dans les canaux des rivieres : le surplus vient 1°. des pluies qui coulent sur la terre sans avoir pénétré dans les premieres couches ; 2°. des sources que les eaux pluviales font naître, & dont l’écoulement est visiblement assujetti aux saisons humides ; 3°. enfin des sources insensibles qui doivent être distribuées le long du lit des rivieres & des ruisseaux. Perrault, quoiqu’opposé aux physiciens de cette classe, a remarqué que quand les rivieres sont grosses, elles poussent dans les terres, bien loin au-delà de leurs rivages, des eaux qui redescendent ensuite quand les rivieres sont plus basses ; & ce dernier observateur, qui a beaucoup travaillé à détruire les canaux soûterreins, & à établir l’hypothèse des pluies, va même jusqu’à prétendre que les eaux des rivieres extravasées remontent jusqu’au sommet des collines & des montagnes, entre les couches de terre qui aboutissent au canal des rivieres, & vont former par cette ascension soûterreine les réservoirs des fontaines proprement dites : c’est ce qui fait le fond de tout son système, qu’il suffira d’avoir exposé ici.

Guglielmini, dans son traité des rivieres, a distingué toutes les choses que nous venons de détailler. Il a de plus observé plus précisément que Perrault ces petites sources qui se trouvent le long des rivieres ; il a remarqué que si l’on creusoit dans le lit des ruisseaux qui sont à sec, plusieurs trous, on y trouvoit de l’eau à une petite profondeur, & que la surface de l’eau de ces trous suivoit la pente des ruisseaux ; ensorte que les especes de fontaines artificielles font des vestiges encore subsistans des sources qui donnoient dans le tems que les ruisseaux couloient à plein canal. On conclut de tous ces faits, que la plûpart des eaux qui remplissent les canaux des rivieres, proviennent des pluies ; & que les sources insensibles & passageres prises dans la totalité, ont pour principe de leur entretien les eaux pluviales, comme les observations constantes le prouvent à ceux qui examinent sans préjugés.

Mais on se retranche à dire qu’une partie de l’eau des fontaines, ou de quelques-unes des fontaines proprement dites, est élevée de la mer par des conduits soûterreins. On insinue que la mer peut bien ne transmettre dans leurs réservoirs que le tiers ou le quart des eaux qu’elles versent dans les rivieres. Ces physiciens se sont déterminés à un parti aussi modéré, par l’évidence des faits, & pour éviter les inconvéniens que nous avons exposés ci-dessus : nous adoptons les faits qu’ils nous offrent ; mais certains inconvéniens restent dans toute leur étendue : car 1°. l’obstruction des conduits soûterreins par le sel est toûjours à craindre, si leur capacité est proportionnée à la quantité d’eau qu’ils tirent de la mer ; un petit conduit doit être aussi-tôt bouché par une petite quantité d’eau salée qui y circule, qu’un grand canal par une grande masse : 2°. la difficulté du dessallement par les filtrations, &c. subsiste toûjours. On ne peut être autorisé à recourir à ce supplément, qu’autant qu’on seroit assûré, 1°. que les pluies qui produisent si manifestement de si grands effets, ne seroient pas assez abondantes pour suffire à tout : 2°. que certaines sources ne pourroient recevoir de la pluie en vertu de leur situation, une provision suffisante pour leur entretien : c’est ce que nous examinerons par la suite. Pourquoi percer à grands frais la masse du globe entier, pour conduire une aussi foible provision ? Seroit-ce parce qu’on tient encore à de vieilles prétentions adoptées sans examen ?

Après l’exposition de tout ce qui concerne cette hypothèse, il se présente une réflexion à laquelle nous ne pouvons nous refuser. En faisant circuler, à force de suppositions gratuites, les eaux salées dans la masse du globe, & en tirant ces eaux d’un réservoir aussi immense que la mer, on a été séduit sans doute par l’abondance & la continuité de la provision : mais on a perdu de vûe un principe bien important : la probabilité d’une circulation libre & infaillible, telle qu’on a dû la supposer d’après l’expérience, décroît comme le nombre des pieces qui jouent pour concourir à cet effet, & comme le nombre des obstacles qui s’opposent à leur jeu. Il n’y a d’avantageux que le réservoir : mais combien peu de sûretés pour la conduite de l’eau ? Cette défectuosité paroîtra encore plus sensiblement, lorsque nous aurons exposé les moyens simples & faciles de l’hypothèse des pluies. Dans le choix des plans physiques, on doit s’attacher à ceux où l’on employe des agens sensibles & apparens dont on peut évaluer les effets & apprétier les limites, en se fondant sur des observations susceptibles de précision. N’est-on pas dans la regle, lorsqu’on part de faits, qu’on combine des faits pour en expliquer d’autres, sur-tout après s’être assûrés que les premiers faits sont les élémens des derniers ? D’ailleurs, c’est de l’ensemble de tous les phénomenes du globe, c’est de l’appréciation de tout ce qui se rencontre en grand dans les effets surprenans qui piquent notre curiosité, qu’on doit partir pour découvrir les opérations compliquées, où la nature étale sa magnificence en cachant ses ressources ; où elle présente, il est vrai, assez d’ouvertures pour la sagacité & l’attention d’un observateur qui a l’esprit de recherche, mais assez peu de prise pour l’imagination & la legereté d’un homme à systèmes.

Il y a certaines expériences fondamentales sur lesquelles toute une question est appuyée ; il faut les faire, si l’on veut raisonner juste sur cet objet : autrement tous les raisonnemens sont des spéculations en l’air. Du nombre de ces expériences principales est l’observation de la quantité de pluie qui tombe sur la terre ; & celle de la quantité d’évaporation. Delà dépend la théorie des fontaines, celle des rivieres, des vapeurs, & de plusieurs autres sujets aussi curieux qu’intéressans, dont il est impossible de rien