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Des signes de la grossesse. Quelques auteurs, dit M. de Buffon dans son histoire naturelle, tom. IV. en traitant de l’homme ; quelques auteurs ont indiqué deux signes pour reconnoître si une femme a conçu. Le premier est un saisissement ou une sorte d’ébranlement qu’elle ressent dans tout le corps au moment de la conception, & qui dure même pendant quelques jours. Le second est pris de l’orifice de la matrice, qu’ils assûrent être entierement fermé après la conception. Mais ces signes sont au-moins bien équivoques, s’ils ne sont pas imaginaires.

Le saisissement qui arrive au moment de la conception est indiqué par Hippocrate dans ces termes : liquidò constat earum rerum peritis, quod mulier, ubi concepit, statim inhorrescit ac dentibus stridet, & articulum reliquumque corpus convulsio prehendit : c’est donc une sorte de frisson que les femmes ressentent dans tout le corps au moment de la conception, selon Hippocrate ; & le frisson seroit assez fort pour faire choquer les dents les unes contre les autres, comme dans la fievre. Galien explique ce symptome par un mouvement de contraction ou de resserrement dans la matrice ; & il ajoûte que des femmes lui ont dit qu’elles avoient eu cette sensation au moment qu’elles avoient conçu. D’autres auteurs l’expriment par un sentiment vague de froid qui parcourt tout le corps, & ils employent aussi les mots d’horror & d’horripilatio. La plûpart établissent ce fait, comme Galien, sur le rapport de plusieurs femmes. Ce symptome seroit donc un effet de la contraction de la matrice qui se resserreroit au moment de la conception, & qui fermeroit par ce moyen son orifice, comme Hippocrate l’a exprimé par ces mots, quæ in utero gerunt, harum os uteri clausum est ; ou, selon un autre traducteur, quæcumque sunt gravidæ, illis os uteri connivet. Cependant les sentimens sont partagés sur les changemens qui arrivent à l’orifice interne de la matrice après la conception : les uns soûtiennent que les bords de cet orifice se rapprochent, de façon qu’il ne reste aucun espace vuide entre eux ; & c’est dans ce sens qu’ils interpretent Hippocrate : d’autres prétendent que ces bords ne sont exactement rapprochés qu’après les deux premiers mois de la grossesse ; mais ils conviennent qu’immédiatement après la conception l’orifice est fermé par l’adhérence d’une humeur glutineuse ; & ils ajoûtent que la matrice qui hors de la grossesse pourroit recevoir par son orifice un corps de la grosseur d’un pois, n’a plus d’ouverture sensible après la conception ; & que cette différence est si marquée, qu’une sage-femme habile peut la reconnoître. Cela supposé, on pourroit donc constater l’état de la grossesse dans les premiers jours. Ceux qui sont opposés à ce sentiment, disent que si l’orifice de la matrice étoit fermé après la conception, il seroit impossible qu’il y eût de superfétation. On peut répondre à cette objection, qu’il est très possible que la liqueur séminale pénetre à-travers les membranes de la matrice ; que même la matrice peut s’ouvrir pour la superfétation, dans certaines circonstances, & que d’ailleurs les superfétations arrivent si rarement, qu’elles ne peuvent faire qu’une legere exception à la regle générale. D’autres auteurs ont avancé que le changement qui arriveroit à l’orifice de la matrice, ne pourroit être marqué que dans les femmes qui auroient déjà mis des enfans au monde, & non pas dans celles qui auroient conçu pour la premiere fois : il est à croire que dans celles-ci la différence doit être moins sensible ; mais quelque grande qu’elle puisse être, en doit-on conclure que ce signe est réel & certain ? Ne faut-il pas du-moins avoüer qu’il n’est pas assez évident ? L’étude de l’anatomie & de l’expérience ne donnent sur ce sujet que des connoissances générales, qui sont fautives dans un examen particulier de cette

nature. Il en est de même du saisissement ou du froid convulsif, que certaines femmes ont dit avoir ressenti au moment de la conception. Comme la plûpart des femmes n’éprouvent pas le même symptome, que d’autres assûrent au contraire avoir ressenti une ardeur brûlante, causée par la chaleur de la liqueur séminale du mâle, & que le plus grand nombre avoue n’avoir rien senti de tout cela, on doit en conclure que ces signes sont très-équivoques, & que lorsqu’ils arrivent c’est peut-être moins un effet de la conception, que d’autres causes qui paroissent plus probables.

A ce qui vient d’être dit des signes de la grossesse, M. de Buffon ajoûte un fait qui prouve que l’orifice de la matrice ne se ferme pas immédiatement après la conception, ou bien que s’il se ferme, la liqueur séminale du mâle ne laisse pas de pouvoir entrer dans la matrice, en pénétrant à-travers le tissu de ce viscere. Une femme de Charles-Town, dans la Caroline méridionale, accoucha en 1714 de deux jumeaux, qui vinrent au monde tout-de-suite l’un après l’autre ; il se trouva que l’un étoit un enfant negre, & l’autre un enfant blanc ; ce qui surprit beaucoup les assistans. Ce témoignage évident de l’infidélité de cette femme à l’égard de son mari, la força d’avoüer qu’un negre qui la servoit étoit entré dans sa chambre un jour que son mari venoit de la laisser dans son lit ; & elle ajoûta pour s’excuser, que ce negre l’avoit menacée de la tuer, & qu’elle avoit été contrainte de le satisfaire. Voyez Lectures on muscular motion, by M. Parsons. London, 1745, pag. 79. Ce fait ne prouve-t-il pas aussi que la conception de deux ou de plusieurs jumeaux ne se fait pas toûjours en même tems ? Voyez Superfétation.

La grossesse, continue M. de Buffon, a encore un grand nombre de symptomes équivoques, auxquels on prétend communément la reconnoître dans les premiers mois ; savoir une douleur legere dans la région de la matrice & dans les lombes ; un engourdissement dans tout le corps, & un assoupissement continuel ; une mélancolie qui rend les femmes tristes & capricieuses ; des douleurs de dents, le mal de tête, des vertiges qui offusquent la vûe, le retrécissement des prunelles, les yeux jaunes & injectés, les paupieres affaissées, la pâleur & les taches du visage, le goût dépravé, le dégoût, les vomissemens, les crachemens, les symptomes hystériques, les fleurs blanches, la cessation de l’écoulement périodique, ou son changement en hémorrhagie, la secrétion du lait dans les mammelles, &c. L’on pourroit encore rapporter plusieurs autres symptomes, qui ont été indiqués comme des signes de la grossesse, mais qui ne sont souvent que les effets de quelques maladies particulieres ; il n’y a que les mouvemens du fœtus, devenu assez fort environ le quatrieme mois, pour les rendre sensibles au toucher sur le ventre, qui puisse assûrer l’état de la grossesse, & qui en soient par conséquent le signe le moins équivoque, si on les distingue bien des remuemens d’entrailles : on peut même dire qu’ils sont un signe certain, lorsqu’ils sont joints à la dureté, à l’enflure particuliere de l’hypogastre, dans un sujet qui joüit d’ailleurs d’une bonne santé ; les symptomes ci-devant mentionnés cessant ordinairement vers ce tems-là, lorsqu’ils sont l’effet de la grossesse.

On seroit obligé d’entrer dans un trop grand détail, si l’on vouloit considérer chacun de ces symptomes & en rechercher la cause : pourroit-on même le faire d’une maniere avantageuse, puisqu’il n’y en a pas un qui ne demandât une longue suite d’observations bien faites ? Il en est ici comme d’une infinité d’autres sujets de physiologie & d’économie animale ; à l’exception d’un petit nombre d’hommes rares,