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ple, de Charlemagne & de S. Louis. Que faisoit-on pour lors autre chose, que lire ou expliquer les auteurs ? N’est-ce pas de-là qu’est venu le mot de lecteur, pour dire professeur ? & n’est-ce pas enfin ce qu’il faut entendre par le prælectio des anciens latinistes ? terme qu’ils employent perpétuellement pour désigner le principal exercice de leurs écoles, & qui ne peut signifier autre chose que l’explication des livres classiques. Voyez les colloques d’Erasme.

D’ailleurs, il n’y avoit anciennement que cette voie pour devenir latiniste : les dictionnaires françois-latins n’ont paru que depuis environ deux cents ans ; avant ce tems-là il n’étoit pas possible de faire ce qu’on appelle un thème, & il n’y avoit pas d’autre exercice de latinité que la lecture ou l’explication des auteurs. Ce fut pourtant, comme dit M. le Febvre, ce fut cette méthode si simple qui produisit les Budés, les Turnebes, les Scaligers. Ajoutons que ce fut cette méthode qui produisit madame Dacier.

Quoi qu’il en soit, il est visible qu’on doit plus attendre d’une instruction grammaticale suivie & raisonnée, où les difficultés se développent à mesure qu’on les trouve dans les livres, que d’un fatras de regles isolées, le plus souvent fausses & mal conçûes ; & qui, bien que décorées du beau nom de principes, ne sont au vrai que les exceptions des regles générales, ou, si l’on veut, les caprices d’une syntaxe mal développée.

Au reste, l’exercice de l’explication est tout-à-fait indépendant des difficultés compliquées dont on régale des enfans qui commencent. En effet, ces difficultés se trouvent rarement dans les auteurs ; elles ne sont, pour ainsi dire, que dans l’imagination & dans les recueils de ces prétendus méthodistes, qui loin de chercher le latin, comme autrefois, dans les ouvrages des anciens, se sont frayés une route à cette langue, par de nouveaux détours où ils brusquent toutes les difficultés du françois ; route scabreuse & comme impratiquable, en ce que les tours, les expressions & les figures des deux langues ne s’accordant presque jamais en tout, il a fallu, pour aller du françois au latin, imaginer une espece de méchanique fondée sur des milliers de regles ; mais regles embrouillées, & le plus souvent impénétrables à des enfans, jusqu’à ce que le bénéfice des années & le sentiment que donne un long usage, produisent à la fin dans quelques-uns une mesure d’intelligence & d’habileté que l’on attribue faussement à la pratique de ces regles.

Cependant il est des observations raisonnables que l’on doit faire sur le système grammatical, & qui réduites pour les commençans à une douzaine au plus, forment des regles constantes pour fixer les rapports les plus communs de concordance & de régime ; & ces regles fondamentales clairement expliquées, sont à la portée des enfans de sept à huit ans. Celles qui sont plus obscures, & dont l’usage est plus rare, ne doivent être présentées aux étudians que lorsqu’ils sont au courant des auteurs latins. D’ailleurs, la plûpart de ces regles n’ont été occasionnées que par l’ignorance où l’on est, tant des vrais principes du latin, que de certaines expressions abrégées qui sont particulieres à cette langue ; & qui une fois bien approfondies, comme elles le sont dans Sanctius, Port-royal & ailleurs, ne présentent plus de vraie difficulté, & rendent même inutiles tant de regles qu’on a faites sur ces irrégularités apparentes. La briéveté qu’exige un article de dictionnaire, ne me permet pas de m’étendre ici là-dessus ; mais je compte y revenir dans quelque autre occasion.

J’ajoûte que l’un des grands avantages de cette nouvelle institution, c’est qu’elle épargneroit bien des châtimens aux enfans ; article délicat dont on

ne parle guere, mais qui mérite autant ou plus qu’un autre d’être bien discuté. Je trouve donc qu’il y a sur cela de l’injustice du côté des parens & du côté des maîtres ; je veux dire trop de mollesse de la part des uns, & trop de dureté de la part des autres.

En effet, les maîtres de la méthode vulgaire, bornés pour la plûpart à quelque connoissance du latin, & entêtés follement de la composition des thèmes, ne cessent de tourmenter leurs éleves, pour les pousser de force à ce travail accablant ; travail qui ne paroît inventé que pour contrister la jeunesse, & dont il ne résulte presqu’aucun fruit. Premier excès qu’il faut éviter avec soin.

Les parens, d’un autre côté, bien qu’inquiets, impatiens même sur les progrès de leurs enfans, n’approuvent pas pour l’ordinaire qu’on les mene par la voie des punitions. En vain le sage nous assûre que l’instruction appuyée de la punition, fait naître la sagesse ; & que l’enfant livré à ses caprices devient la honte de sa mere (Prov. xxjx. 16.) ; que celui qui ne châtie pas son fils, le hait véritablement (ibid. xiij. 24.) ; que celui qui l’aime, est attentif à le corriger, pour en avoir un jour de la satisfaction. Ecclésiastiq. xxx. 1.

En vain il nous avertit que si on se familiarise avec un enfant, qu’on ait pour lui de la foiblesse & des complaisances, il deviendra comme un cheval fougueux, & fera trembler ses parens ; qu’il faut par conséquent le tenir soûmis dans le premier âge, le châtier à-propos tant qu’il est jeune, de peur qu’il ne se roidisse jusqu’à l’indépendance, & qu’il ne cause un jour de grands chagrins. Ibid. xxx. 8. 9. 10. 11. 12. En vain S. Paul recommande aux peres d’élever leurs enfans dans la discipline & dans la crainte du seigneur. Ephes. vj. 4.

Ces oracles divins ne sont plus écoutés : les parens, aujourd’hui plus éclairés que la sagesse même, rejettent bien loin ces maximes ; & presque tous aveugles & mondains, ils voyent avec beaucoup plus de plaisir les agrémens & l’embonpoint de leurs enfans, que le progrès qu’ils pourroient faire dans les habitudes vertueuses.

Cependant la pratique de l’éducation sévere est trop bien établie & par les passages déjà cités, & par les deux traits qui suivent, pour être regardée comme un simple conseil. Il est dit au Deutéronome xxj. 18. &c. que s’il se trouve un fils indocile & mutin, qui, au mépris de ses parens, vive dans l’indépendance & dans la débauche, il doit être lapidé par le peuple, comme un mauvais sujet dont il faut délivrer la terre. On voit d’un autre côté que le grand prêtre Héli, pour n’avoir pas arrêté les desordres de ses fils, attira sur lui & sur sa famille les plus terribles punitions du Ciel. Liv. I. des Rois, ch. ij.

Il est donc certain que la mollesse dans l’éducation peut devenir criminelle ; qu’il faut par conséquent une sorte de vigilance & de sévérité pour contenir les enfans, & pour les rendre dociles & laborieux : c’est un mal, j’en conviens, mais c’est un mal inévitable. L’expérience confirme en cela les maximes de la sagesse ; elle fait voir que les châtimens sont quelquefois nécessaires, & qu’en les rejettant tout-à-fait on ne forme guere que des sujets inutiles & vicieux.

Quoi qu’il en soit, le meilleur, l’unique tempérament qui se présente contre l’inconvénient des punitions, c’est la facilité de la méthode que je propose ; méthode qui, avec une application médiocre de la part des écoliers, produit toûjours un avancement raisonnable, sans beaucoup de rigueur de la part des maîtres. Il s’en faut bien qu’on en puisse dire autant de la composition latine ; elle suppose beaucoup de talent & beaucoup d’application, & c’est la cause malheureuse, mais la cause nécessaire, de tant de