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me disoit Séneque : je sai que Caton l’ancien étoit fort âgé lorsqu’il se mit à l’étude du grec ; mais malgré de tels exemples, il me paroît que d’entreprendre à la fin de ses jours d’acquérir l’habitude & le goût de l’étude, c’est se mettre dans un petit charriot pour apprendre à marcher, lorsqu’on a perdu l’usage de ses jambes.

On ne peut guere s’arrêter dans l’étude des Sciences sans décheoir : les muses ne font cas que de ceux qui les aiment avec passion. Archimede craignit plus de voir effacer les doctes figures qu’il traçoit sur le sable, que de perdre la vie à la prise de Syracuse ; mais cette ardeur si loüable & si nécessaire n’empêche pas la nécessité des distractions & du délassement : aussi peut-on se délasser dans la variété de l’étude ; elle se joue avec les choses faciles, de la peine que d’autres plus sérieuses lui ont causée. Les objets différens ont le pouvoir de réparer les forces de l’ame, & de remettre en vigueur un esprit fatigué. Ce changement n’empêche pas que l’on n’ait toûjours un principal objet d’étude auquel on rapporte principalement ses veilles.

Je conseillerois donc de ne pas se jetter dans l’excès dangereux des études étrangeres, qui pourroient consumer les heures que l’on doit à l’étude de sa profession. Songez principalement, vous dirai-je, à orner la Sparte dont vous avez fait choix ; il est bon de voir les belles villes du monde, mais il ne faut être citoyen que d’une seule.

Ne prenez point de dégoût de votre étude, parce que d’autres vous y surpassent. A moins que d’avoir l’ambition aussi déréglée que César, on peut se contenter de n’être pas des derniers : d’ailleurs les échelons inférieurs sont des degrés pour parvenir à de plus hauts.

Souvenez-vous sur-tout de ne pas regarder l’étude comme une occupation stérile ; mais rapportez au contraire les Sciences qui font l’objet de votre attachement, à la perfection des facultés de votre ame, & au bien de votre patrie. Le gain de notre étude doit consister à devenir meilleurs, plus heureux & plus sages. Les Egyptiens appelloient les bibliotheques le thrésor des remedes de l’ame : l’effet naturel que l’étude doit produire, est la guérison de ses maladies.

Enfin vous aurez sur les autres hommes de grands avantages, & vous leur serez toûjours supérieur, si en cultivant votre esprit dès la plus tendre enfance par l’étude des sciences qui peuvent le perfectionner, vous imitez Helvidius Priscus, dont Tacite nous a fait un si beau portrait. Ce grand homme, dit-il, très-jeune encore, & déjà connu par ses talens, se jetta dans des études profondes ; non, comme tant d’autres, pour masquer d’un titre pompeux une vie inutile & desœuvrée, mais à dessein de porter dans les emplois une fermeté supérieure aux évenemens. Elles lui apprirent à regarder ce qui est honnête, comme l’unique bien ; ce qui est honteux, comme l’unique mal ; & tout ce qui est étranger à l’ame, comme indifférent. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Etudes, (Littérat.) On désigne par ce mot les exercices littéraires usités dans l’instruction de la jeunesse ; études grammaticales, études de Droit, études de Medecine, &c. faire de bonnes études.

L’objet des études a été fort différent chez les différens peuples & dans les différens siecles. Il n’est pas de mon sujet de faire ici l’histoire de ces variétés, on peut voir sur cela le traité des études de M. Fleury. Les études ordinaires embrassent aujourd’hui la Grammaire & ses dépendances, la Poésie, la Rhétorique, toutes les parties de la Philosophie, &c.

Au reste, je me borne à exposer ici mes réflexions sur le choix & sur la méthode des études qui conviennent le mieux à nos usages & à nos besoins ; & com-

me le latin fait le principal & presque l’unique objet

de l’institution vulgaire, je m’attacherai plus particulierement à discuter la conduite des études latines.

Plusieurs savans, grammairiens & philosophes ont travaillé dans ces derniers tems à perfectionner le système des études ; Locke entr’autres parmi les Anglois ; parmi nous M. le Febvre, M. Fleury, M. Rollin, M. du Marsais, M. Pluche, & plusieurs autres encore, se sont exercés en ce genre. Presque tous ont marqué dans le détail ce qui se peut faire en cela de plus utile, & ils paroissent convenir à l’égard du latin, qu’il vaut mieux s’attacher aujourd’hui, se borner même à l’intelligence de cette langue, que d’aspirer à des compositions peu nécessaires, & dont la plupart des étudians ne sont pas capables. Cette these, dont j’entreprends la défense, est déjà bien établie par les auteurs que j’ai cités, & par plusieurs autres également savans.

Un ancien maître de l’université de Paris, qui en 1666 publia une traduction des captifs de Plaute, s’énonce bien positivement sur ce sujet dans la préface qu’il a mise à ce petit ouvrage. « Pourquoi, dit-il, faire perdre aux écoliers un tems qui est si précieux, & qu’ils pourroient employer si utilement dans la lecture des plus riches ouvrages de l’antiquité ?… Ne vaudroit-il pas mieux occuper les enfans dans les colléges, à apprendre l’Histoire, la Chronologie, la Géographie, un peu de Géométrie & d’Arithmétique, & sur-tout la pureté du latin & du françois, que de les amuser de tant de regles & instructions de Grammaire ?… Il faut commencer à leur apprendre le latin par l’usage même du latin, comme ils apprennent le françois, & cet usage consiste à leur faire lire, traduire & apprendre les plus beaux endroits des auteurs latins ; afin que s’accoûtumant à les entendre parler, ils apprennent eux-mêmes à parler leur langage ». C’est ainsi que tant de femmes, sans étude de grammaire, apprennent à bien parler leur langue, par le moyen simple & facile de la conversation & de la lecture ; & c’est de même encore que la plûpart des voyageurs apprennent les langues étrangeres.

Un autre maître de l’université qui avoit professé aux Grassins, publia une lettre sur la même matiere en 1707 : j’en rapporterai un article qui vient à mon sujet. « Pour savoir l’allemand, l’italien, l’espagnol, le bas-breton, l’on va demeurer un ou deux ans dans les pays où ces langues sont en usage, & on les apprend par le seul commerce avec ceux qui les parlent ? Qui empêche d’apprendre aussi le latin de la même maniere ? & si ce n’est par l’usage du discours & de la parole, ce sera du moins par l’usage de la lecture, qui sera certainement beaucoup plus sûr & plus exact que celui du discours. C’est ainsi qu’en usoient nos peres il y a quatre ou cinq cents ans ».

M. Rollin, traité des études, p. 128. préfere aussi pour les commençans l’explication des auteurs à la pratique de la composition ; & cela parce que les thèmes, comme il le dit, « ne sont propres qu’à tourmenter les écoliers par un travail pénible & peu utile, & à leur inspirer du dégoût pour une étude qui ne leur attire ordinairement de la part des maîtres que des reprimandes & des châtimens ; car, poursuit-il, les fautes qu’ils font dans leurs thèmes étant très-fréquentes & presqu’inévitables, les corrections le deviennent aussi : au lieu que l’explication des auteurs, & la traduction, où ils ne produisent rien d’eux-mêmes, & ne font que se prêter au maître, leur épargnent beaucoup de tems, de peines & de punitions ».

M. le Febvre est encore plus décidé là-dessus : voici comme il s’explique dans sa méthode, pag. 20.