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avec raison que quand la lune est dans l’équateur, ces regles n’ont lieu que pour les eaux situées sous l’équateur même. C’est ce que la théorie & les observations confirment, comme on le peut voir dans l’ouvrage cité.

Telles seroient régulierement toutes les marées, si les mers étoient par-tout également profondes ; mais les bas-fonds qui se trouvent en certains endroits, & le peu de largeur de certains détroits où doivent passer les eaux, sont cause de la grande variété que l’on remarque dans les hauteurs des marées : & l’on ne sauroit rendre compte de ces effets, sans avoir une connoissance exacte de toutes les particularités & inégalités des côtes, c’est-à-dire de la position des terres, de la largeur & de la profondeur des canaux, &c.

Ces effets sont visibles dans les détroits entre Portland & le cap de la Hogue en Normandie, où la marée ressemble à ces eaux qui sortent d’une écluse qu’on vient de lever ; & elle seroit encore plus rapide entre Douvres & Calais, si elle n’y étoit contrebalancée par celle qui fait le tour de l’île de la Grande-Bretagne.

L’eau de la mer, après avoir reçû l’impression de la force lunaire, la conserve long-tems, & continue de s’élever fort au-dessus du niveau de la hauteur ordinaire qu’elle a dans l’Océan, sur-tout dans les endroits où elle trouve un obstacle direct, & dans ceux où elle trouve un canal qui s’étend fort avant dans les terres, & qui s’étrécit vers son extrémité, comme elle fait dans la mer de Severn, près de Chepstow & de Bristol.

Les bas-fonds de la mer, & les continens qui l’entre-coupent, sont aussi cause en partie que la haute marée n’arrive point en plein Océan dans le tems que la lune s’approche du méridien, mais toûjours quelques heures après, comme on le remarque sur toutes les côtes occidentales de l’Europe & de l’Afrique, depuis l’Irlande jusqu’au cap de Bonne-Espérance, où la lune placée entre le midi & le couchant, cause les hautes marées. On assûre que la même chose a lieu sur les côtes occidentales de l’Amérique.

Les vents & les courans irréguliers contribuent aussi beaucoup à altérer les phénomenes du flux & du reflux. Voyez Vent & Courant.

On ne finiroit point, si on vouloit entrer dans le détail de toutes les solutions ou explications particulieres de ces effets, qui ne sont que des corollaires aisés à déduire des mêmes principes ; ainsi lorsqu’on demande, par exemple, pourquoi les mers Caspienne, Méditerranée, Blanche & Baltique n’ont point de marées sensibles, la réponse est que ces mers sont des especes de lacs qui n’ont point de communication réelle ou considérable avec l’Océan : or le calcul montre que l’élévation des eaux doit être d’autant moindre, que la mer a moins d’étendue. Voyez les pieces de MM. Daniel Bernoulli & Euler. Ainsi les marées doivent être presqu’insensibles dans la mer Noire, dans la mer Caspienne, & très-petites dans la Méditerranée. Elles doivent être encore moindres dans les mers Blanche & Baltique, à cause de leur éloignement de l’équateur, par les raisons exposées ci-dessus. Dans le golfe de Venise la marée est plus sensible que dans le reste de la Méditerranée ; mais cela doit être attribué à la figure de ce golfe, qui le rend propre à élever davantage les eaux en les resserrant.

Nous dirons ici un mot des marées qui arrivent dans le port de Tunking à la Chine ; elles sont différentes de toutes les autres, & les plus extraordinaires dont on ait jamais entendu parler. Dans ce port on ne s’apperçoit que d’un flux & d’un reflux qui se fait en 24 heures de tems. Quand la lune s’approche

de la ligne équinoctiale, il n’y a point de marée du tout & l’eau y est immobile : mais quand la lune commence à avoir une déclinaison, on commence à s’appercevoir d’une marée, qui arrive à son plus haut point lorsque la lune approche des tropiques ; avec cette différence, que la lune étant au nord de la ligne équinoctiale, la marée monte pendant que la lune est au-dessus de l’horison, & qu’elle descend pendant que la lune est au-dessous de l’horison ; de sorte que la haute marée y arrive au coucher de la lune, & la basse marée au lever de la lune : au contraire quand la lune est au midi de la ligne équinoctiale, la haute marée arrive au lever de la lune, & la basse à son coucher ; de sorte que les eaux se retirent pendant tout le tems que la lune est au-dessus de l’horison.

On a donné différentes explications plausibles de ce phénomene ; M. Euler a prouvé par le calcul que cela devoit être ainsi. Voyez la fin de son excellente piece sur le flux & reflux. Newton a insinué que la cause de ce fait singulier résulte du concours de deux marées, dont l’une vient de la grande mer du Sud, le long des côtes de la Chine ; & l’autre de la mer des Indes.

La premiere de ces marées venant des lieux dont la latitude est septentrionale, est plus grande quand la lune se trouve au nord de l’équateur au-dessus de l’horison, que quand la lune est au-dessous.

La seconde de ces deux marées venant de la mer des Indes & des pays dont la latitude est méridionale, est plus grande quand la lune décline vers le midi, & se trouve au-dessus de l’horison, que quand la lune est au-dessous ; de sorte que de ces marées alternativement plus grandes & plus petites, il y en a toûjours successivement deux des plus grandes & deux des plus petites qui viennent tous les jours ensemble.

La lune s’approchant de la ligne équinoctiale, & les flux alternatifs devenant égaux, la marée cesse, & l’eau reste sans mouvement ; mais la lune ayant passé de l’autre côté de l’équateur, & les flux, qui étoient auparavant les moindres, étant devenus les plus considérables, le tems qui étoit auparavant celui des hautes eaux, devient le tems des eaux basses, & le tems des eaux basses devient celui des hautes eaux ; de sorte que tout le phénomene de cette marée singuliere du port de Tunking s’explique naturellement & sans forcer la moindre circonstance, par les principes ci-dessus, & sert infiniment à confirmer la certitude de toute la théorie des marées.

Ceux de nos lecteurs qui seront assez avancés dans la Géométrie, pourront consulter sur la cause des marées les excellentes dissertations de MM. Maclaurin, Daniel Bernoulli & Euler, couronnées par l’académie royale des Sciences de Paris en 1740. Dans mes réflexions sur la cause générale des vents, imprimées à Paris en 1746, j’ai donné aussi quelques remarques sur les marées, cette matiere ayant beaucoup de rapport à celle des vents réglés, entant qu’ils sont causés par l’action du soleil & de la lune.

Après avoir expliqué en gros les phénomenes du flux & reflux pour le commun des lecteurs, il nous paroît juste de mettre ceux qui sont plus versés dans les Sciences, à portée de se rendre raison à eux-mêmes de ces phénomenes d’une maniere plus précise. Pour cela, nous allons donner la formule algébrique de l’élévation des eaux pour une position quelconque donnée du soleil & de la lune.

Si on nomme S la masse du soleil, L celle de la lune, D la distance du soleil à la terre, δ celle de la lune, r le rayon de la terre, les forces du soleil & de la lune, pour mouvoir les eaux de la mer, sont entr’elles, toutes choses d’ailleurs égales, comme à , ou plus simplement comme à .