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d’analyse que les Mathématiques leur sont utiles. Cependant avec ce secours même, la recherche de la résistance des fluides est encore si difficile, que les efforts des plus grands hommes se sont terminés jusqu’ici à nous en donner une legere ébauche.

Après avoir refléchi long-tems sur une matiere si importante, avec toute l’attention dont je suis capable, il m’a paru que le peu de progrès qu’on a fait jusqu’à présent dans cette question, vient de ce qu’on n’a pas encore saisi les vrais principes d’après lesquels il faut la résoudre : j’ai crû devoir m’appliquer à chercher ces principes, & la maniere d’y appliquer le calcul, s’il est possible ; car il ne faut point confondre ces deux objets, & les géometres modernes semblent n’avoir pas été assez attentifs sur ce point. C’est souvent le desir de pouvoir faire usage du calcul qui les détermine dans le choix des principes ; au lieu qu’ils devroient examiner d’abord les principes en eux-mêmes, sans penser d’avance à les plier de force au calcul. La Géométrie, qui ne doit qu’obéir à la Physique quand elle se réunit avec elle, lui commande quelquefois : s’il arrive que la question qu’on veut examiner soit trop compliquée pour que tous les élémens puissent entrer dans la comparaison analytique qu’on veut en faire, on sépare les plus incommodes, on leur en substitue d’autres moins gênans, mais aussi moins réels ; & on est étonné d’arriver, après un travail pénible, à un résultat contredit par la nature ; comme si après l’avoir déguisée, tronquée ou altérée, une combinaison purement méchanique pouvoit nous la rendre.

Je me suis proposé d’éviter cet inconvénient dans l’ouvrage que j’ai publié en 1752 sur la résistance des fluides. J’ai cherché les principes de cette résistance, comme si l’analyse ne devoit y entrer pour rien ; & ces principes une fois trouvés, j’ai essayé d’y appliquer l’analyse. Mais avant que de rendre compte de mon travail & du degré auquel je l’ai poussé, il ne sera pas inutile d’exposer en peu de mots ce qui a été fait jusqu’à présent sur cette matiere.

Newton, à qui la Physique & la Géométrie sont si redevables, est le premier que je sache, qui ait entrepris de déterminer par les principes de la Méchanique, la résistance qu’éprouve un corps mû dans un fluide, & de confirmer sa théorie par des expériences. Ce grand philosophe, pour arriver plus facilement à la solution d’une question si épineuse, & peut-être pour la présenter d’une maniere plus générale, envisage un fluide sous deux points de vûe différens. Il le regarde d’abord comme un amas de corpuscules élastiques, qui tendent à s’écarter les uns des autres par une force répulsive, & qui sont disposés librement à des distances égales. Il suppose outre cela que cet amas de corpuscules, qui compose le milieu résistant, ait fort peu de densité par rapport à celle du corps, ensorte que les parties du fluide poussées par le corps, puissent se mouvoir librement, sans communiquer aux parties voisines le mouvement qu’elles ont reçû ; d’après cette hypothèse, M. Newton trouve & démontre les lois de la résistance d’un tel fluide ; lois assez connues pour que nous nous dispensions de les rapporter ici.

Le célebre Jean Bernoulli, dans son ouvrage qui a pour titre, discours sur les lois de la communication du mouvement, a déterminé dans la même supposition la résistance des fluides ; il représente cette résistance par une formule assez simple, qui a été démontrée & généralisée depuis ; mais il faut avoüer que cette formule est insuffisante. Dans tous les fluides que nous connoissons, les particules sont immédiatement contiguës par quelques-uns de leurs points, ou du moins agissent les unes sur les autres à-peu-près comme si elles l’étoient ; ainsi tout corps mû dans un fluide, pousse nécessairement à-la-fois & au même

instant un grand nombre de particules situées dans la même ligne, & dont chacune reçoit une vîtesse & une direction différente, eu égard à sa situation : il est donc extrèmement difficile de déterminer le mouvement communiqué à toutes ces particules, & par conséquent le mouvement que le corps perd à chaque instant.

Ces réflexions n’avoient pas échappé à M. Newton ; il reconnoît que sa théorie de la résistance d’un fluide composé de globules élastiques clair-semés, s’il est permis de s’exprimer de la sorte, ne peut s’appliquer ni aux fluides denses & continus dont les particules se touchent immédiatement, tels que l’eau, l’huile, & le mercure ; ni aux fluides dont l’élasticité vient d’une autre cause que de la force répulsive de leurs parties, par exemple de la compression & de l’expansion de ces parties, tel que paroît être l’air que nous respirons. Une considération si nécessaire, à laquelle M. Newton en ajoûte d’autres non moins importantes, doit nous faire conclure que cette premiere partie de sa théorie, & celle de M. Jean Bernoulli qui n’en est proprement que le commentaire, sont plûtôt une recherche de pure curiosité, qu’elles ne sont applicables à la nature.

Aussi l’illustre philosophe anglois n’a pas crû devoir s’en tenir-là. Il considere les fluides dans l’état de continuité & de compression où ils sont réellement, composés de particules contiguës les unes aux autres ; & c’est le second point de vûe sous lequel il les envisage. La méthode qu’il employe dans cette nouvelle hypothèse, pour resoudre le problème proposé est une espece d’approximation & de tâtonnement dont il seroit difficile de donner ici l’idée. Nous en dirons autant de la maniere ingénieuse & fine dont M. Newton déduit de sa théorie la résistance d’un cylindre & d’un globe, ou en général d’un sphéroïde dans un fluide indéfini ; & nous nous bornerons à dire, qu’après assez de combinaisons & de calculs il parvient à cette conclusion, que dans un fluide dense & continu, la valeur absolue de la résistance & le rapport de la résistance de deux corps, sont tout autres que dans le fluide à globules élastiques de la premiere hypothèse.

Mais cette seconde théorie de M. Newton, quoique plus conforme à la nature des fluides, est sujette encore à beaucoup de difficultés. Nous ne les exposerons point ici en détail, elles supposeroient pour être entendues, qu’on eût une idée fort présente de cette théorie, idée que nous n’avons pû donner ici ; mais l’on trouvera assez au long dans notre ouvrage & l’exposition de la théorie newtonienne, & les objections qu’on y peut opposer : c’est l’objet particulier d’une introduction qui doit se trouver à la tête, & dont ces réflexions ne sont qu’un extrait. Il nous suffira d’observer ici que la théorie dont nous parlons, manque sans doute de l’évidence & de la précision nécessaire pour convaincre l’esprit, puisqu’elle a été attaquée plusieurs fois & avec succès par les plus habiles géometres. Il n’en faut pas moins admirer les efforts & la sagacité de ce grand philosophe, qui après avoir trouvé si heureusement la vérité dans un grand nombre d’autres questions, a osé entreprendre le premier la solution d’un problème, que personne avant lui n’avoit tenté. Aussi cette solution, quoique peu exacte, brille par-tout de ce génie inventeur, de cet esprit fécond en ressources que personne n’a possédé dans un plus haut degré que lui.

Aidés par les secours que la Géométrie & la Méchanique nous fournissent aujourd’hui en plus grande abondance, est-il surprenant que nous fassions quelque pas de plus dans une carriere vaste & difficile qu’il nous a ouverte ? Les erreurs même des grands hommes sont instructives, non-seulement par les vûes qu’elles fournissent pour l’ordinaire, mais