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des croisées, lorsqu’on reprend par sous-œuvre un mur de face, ou qu’on remet un poitrail à une maison. Ainsi étrésillonner, c’est retenir les terres & les bâtimens avec des dosses & des couches debout, & des étrésillons en-travers. (P)

ETRIER, s. m. (Manége.) espece de grand anneau de fer ou d’autre métal, forge & figuré par l’éperonnier, pour être suspendu par paire à chaque selle au moyen de deux étrivières (voyez Etrivieres) ; & pour servir, l’un à présenter un appui au pié gauche du cavalier lorsqu’il monte en selle & qu’il met pié à terre, & tous les deux ensemble à soûtenir ses piés ; ce qui non-seulement l’affermit, mais le soulage d’une partie du poids de ses jambes quand il est à cheval.

On ne voit des vestiges d’aucune sorte d’appui pour les piés du cavalier, ni dans les colonnes, ni dans les arcs, ni dans les autres monumens de l’antiquité, sur lesquels sont représentés nombre de chevaux, dont toutes les parties des harnois sont néanmoins parfaitement distinctes. Nous ne trouvons encore ni dans les auteurs grecs & latins, ni dans les auteurs anciens des dictionnaires & des vocabulaires, aucun terme qui désigne l’instrument dont nous nous servons à cet égard, & qui fait parmi nous une portion de l’équipage du cheval : or le silence de ces mêmes auteurs, ainsi que celui des marbres & des bronzes, nous a porté à conclure que les étriers étoient totalement inconnus dans les siecles reculés, & que les mots stapes, stapia, stapeda, bistapia, n’ont été imaginés que depuis que l’on en a fait usage.

Xenophon dans les leçons qu’il donne pour monter à cheval, nous en offre une preuve. Il conseille au cavalier de prendre de la main droite la criniere & les rênes, de peur qu’en sautant il ne les tire avec rudesse ; & telle est la méthode de nos piqueurs lorsqu’ils sautent sur le cheval. Quand le cavalier, dit-il, est appesanti par l’âge, son écuyer doit le mettre à cheval à la mode des Perses. Enfin il nous fait entendre dans le même passage, qu’il y avoit de son tems des écuyers qui dressoient les chevaux, de maniere qu’ils se baissoient devant leurs maîtres pour leur faciliter l’action de les monter. Cette marque de leur habileté, qu’il vante beaucoup, trouveroit de nos jours plus d’admirateurs dans nos foires que dans nos manéges.

Raphael Volateran, dans son épître à Xenophon in re equestri, nous développe la maniere des écuyers des Perses, & les secours qu’ils donnoient à leurs maîtres ; ils en soûtenoient, dit-il, les piés avec leurs dos.

Pollux & Vegece confirment encore notre idée. Si quelqu’un, selon le premier, veut monter à cheval, il faut qu’il y monte, ou plûtôt qu’il y descende, de dessus un lieu élevé, afin qu’il ne se blesse point lui-même en montant ; & il doit faire attention de ne point étonner & gendarmer le cheval par l’effort de son poids & par sa chûte : sur quoi Camérarius a prétendu que le cheval nud ou harnaché, devoit être accoûtumé à s’approcher du montoir, soit qu’il fût de pierre, de bois, ou de quelqu’autre matiere solide. Quant à Vegece (liv. I. de re militari) il nous fait une description de l’usage que les anciens faisoient des chevaux de bois qu’ils plaçoient en été dans les champs, & en hyver dans les maisons. Ces chevaux servoient à exercer les jeunes gens à monter à cheval ; ils y sautoient d’abord sans armes, tantôt à droit, tantôt à gauche, & ils s’accoûtumoient ensuite insensiblement à y sauter étant armés.

Les Romains imiterent les Grecs dans l’un & l’autre de ces points. De semblables chevaux de bois étoient proposés à la jeunesse qui s’exerçoit par les mêmes moyens, & qui parvenoit enfin à sauter avec autant d’adresse que de legereté sur toutes sortes de

chevaux. A l’égard des montoirs, il y en avoit à quantité de portes. Porchachi dans son livre intitulé funerali antichi, rapporte une inscription dans laquelle le montoir est appellé suppedaneum, & qu’il trouva gravée sur un monument très-endommagé en allant de Rome à Tivoli. La voici :

Dis. ped. sacrum.
Ciuria dorsiferæ & cluniferæ
Ut insultare & desultare
Commodetur. Pub. Crassus mulæ
Suæ Crassæ bene merenti
Suppelaneum hoc, cum risie pos.

La précaution de construire des montoirs aux différentes portes & même, si l’on veut, d’espaces en espaces sur les chemins, n’obvioit pas cependant à l’inconvénient qui résultoit de l’obligation de descendre & de remonter souvent à cheval en voyage ou à l’armée ; sans doute que cette action étoit moins difficile pour les Romains qui étoient en état d’avoir des écuyers : mais comment ceux qui n’en avoient point & que l’âge ou des infirmités empêchoient d’y sauter, pouvoient-ils sans aucune aide parvenir jusque sur leurs chevaux ?

Ménage en s’étayant de l’autorité de Vossius, a soûtenu que S. Jérôme est le premier auteur qui ait parlé des étriers. il fait dire à ce saint, que lorsqu’il reçut quelques letires, il alloit monter à cheval & qu’il avoit déjà le pié dans l’étrier, in bistapia : mais ce passage ne se trouve dans aucune de ses épitres. Le P. de Montfaucon en conteste la réalité, ainsi que celle de l’épitaphe d’un romain, dont le pié s’étant engagé dans l’étrier, fut traîné si long-tems par son cheval qu’il en mourut. Sans doute que cette inscription que tout au moins il regarde comme moderne, ainsi que beaucoup de savans, est la même que celle qui suit :

D. M.
Quisquis lecturus accedis,
Cave si amas, at sinon
Amas, pensicula miser qui
Sine amore vivit dulce exit
Nihil ; ast ego tam dulce
Anhelans me incaute perdidi,

Et amor fuit
Equo dum aspectus formosiss.
Durmioniæ puellæ Virgunculæ
Summa polvoria placere cuperem
Casu desiliens pes hæsit stapiæ

Tractus inferri.
In rem tuam maturè propera.
Vale.

Le même P. de Montfaucon, après avoir témoigné sa surprise de ce que des siecles si renommés & si vantés ont été privés d’un secours aussi utile, aussi nécessaire, & aussi facile à imaginer, se flate d’en avoir découvert la raison. « La selle n’étoit alors, dit-il, qu’une piece d’étoffe qui pendoit quelquefois des deux côtés presque jusqu’à terre. Elle étoit doublée & souvent bourrée. Il étoit difficile d’y attacher des étriers qui tinssent bien, soit pour monter à cheval. soit pour s’y tenir ferme & commodément. On n’avoit pas encore l’art de faire entrer du bois dans la construction des selles : cela paroît dans toutes celles que nous voyons dans les monumens. Ce n’est que du tems de Théodose que l’on remarque que les selles ont un pommeau, & que selon toutes les apparences, le fond en étoit une petite machine de bois. C’est depuis ce tems-là qu’on a inventé les étriers, quoiqu’on ne sache pas précisément le tems de leur origine ».

Il est certain que l’époque ne nous en est pas connue ; mais j’observerai que leur forme varia sans doute, selon le goût des siecles & des pays où ils