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sance, & dont la callosité subsiste après la consolidation parfaite.

Les fistules attaquent toutes les parties du corps ; elles viennent en général de trois causes qu’il est important de bien discerner, si l’on veut réussir facilement à les guérir : ce sont, 1°. la transudation d’un fluide quelconque par la perforation d’un conduit excréteur, ou d’un reservoir destiné à contenir quelque liqueur : 2°. la présence d’un corps étranger : 3°. les chairs dures & calleuses d’une plaie ou d’un ulcere.

Les signes de l’écoulement d’un fluide à-travers les parties dont la continuité divisée le laisse échapper, sont sensibles par la seule inspection, à celui qui a des connoissances anatomiques. L’indication curative de ces sortes de fistules, consiste à déterminer le cours du fluide par les voies naturelles & ordinaires, en levant les obstacles qui s’y opposent ; ou à former par l’art une route nouvelle à ce fluide. On remplit ces indications générales par des procédés différens, & relatifs à la structure différente des organes affectés, & aux diverses complications qui peuvent avoir lieu. C’est ce que je vais exposer dans la description du traitement qui convient à plusieurs especes de fistules comprises sous ce premier genre.

La fistule lacrymale est un ulcere situé au grand angle de l’œil, qui attaque le syphon lacrymal ; & qui l’ayant percé, permet aux larmes de se répandre sur les joues. Voyez Pl. XXIV. de Chirurgie, fig. 1.

La cause de cette maladie vient de l’obstruction du canal nasal ; les larmes qui ne peuvent plus se dégorger dans le nez, séjournent dans le sac lacrymal, & s’y amassent en trop grande quantité. Si elles sont douces, & qu’elles conservent leur limpidité, elles crevent le sac par la seule force que leur quantité leur donne ; si elles sont viciées, elles rongent le sac, ou plûtôt il s’enflamme & s’ulcere par l’impression du fluide, sans qu’il soit nécessaire qu’il y en ait un grand amas.

Pour prévenir la fistule lorsqu’il n’y a encore qu’une simple dilatation du sac lacrymal par la retention des larmes (voyez Pl. XXIV. fig. 2.), il faut tâcher de déboucher le conduit nasal. Les malades font disparoître cette tumeur pour quelques jours en la comprimant avec le bout du doigt, & cette compression fait sortir par les points lacrymaux, & pousse souvent aussi dans le nez, les larmes purulentes qui étoient retenues dans le sac dilaté. Cette derniere circonstance mérite une attention particuliere ; elle montre que l’obstruction du conduit nasal n’est point permanente, & qu’elle ne vient que de l’épaisseur des matieres qui embarrassent le canal : ainsi cette obstruction, loin d’être la maladie principale, ne seroit que l’accident de l’ulcération du sac lacrymal. Cet état n’exige que la détersion de la partie ulcérée : M. Anel, chirurgien françois, mérite des loüanges pour avoir saisi le premier cette indication ; il débouchoit les conduits, qui des points lacrymaux vont se terminer au sac lacrymal, avec une petite sonde d’or ou d’argent très-déliée, & boutonnée par son extrémité antérieure (voyez Pl. XXIII. fig. 11.). Une seringue, dont les syphons étoient assez déliés pour être introduits dans les points lacrymaux, servoit ensuite à faire dans le sac les injections appropriées (voyez ibid Pl. XXIII. fig. 10.). Lorsque M. Anel croyoit devoir déboucher le grand conduit des larmes, il faisoit passer ses stilets jusque dans la fosse nasale. Après avoir bien détergé les voies lacrymales, on fait porter avec succès un bandage qui comprime le sac. Voyez Pl. XXIV. fig. 3.

La grande délicatesse & la flexibilité des filets dont nous venons de parler, ne permettent pas qu’on débouche par leur moyen le canal nasal obstrué ou fermé par des tubercules calleux, ou par des cica-

trices, comme cela arrive fréquemment à la suite de

la petite vérole. On ne voit alors d’autres ressources que dans l’ouverture de la tumeur du grand angle, pour passer dans le conduit une sonde assez solide, capable de détruire tous les obstacles. C’est la méthode de M. Petit ; elle est fondée sur la structure des parties, & sur le méchanisme de la nature, qu’elle tend à rétablir dans ses fonctions. Les chirurgiens avant M. Petit, n’avoient point pensé à rétablir le cours naturel des larmes ; ils pratiquoient une nouvelle voûte en brisant l’os unguis, presque toûjours sans nécessité à sans raison, sur la fausse idée que la maladie avoit pour cause, ou au moins qu’elle étoit toûjours accompagnée de la carie de l’os unguis ; ce qui n’est presque jamais. Antoine Maître-Jan, ce chirurgien célebre, dont nous avons un si bon traité sur les maladies des yeux, rapporte deux cas de fistules, accompagnées de carie à l’os unguis. Les malades ne se soûmirent point aux opérations qu’on leur avoit proposées ; la nature rejetta par la voie de l’exfoliation les portions d’os cariées, & ils obtinrent une parfaite guérison sans la moindre incommodité. On a remarqué au contraire, que ceux à qui l’on avoit percé l’os unguis, étoient obligés de porter des tentes & des cannules assez long-tems dans ce trou, pour en rendre la circonférence calleuse. Ces corps étrangers entretiennent quelquefois, sur-tout dans les sujets mal constitués, des fluxions & des inflammations dangereuses : & malgré toutes ces précautions, pour conserver un passage libre aux larmes dans le nez, on voit que presque toutes les personnes qui ont été guéries de la fistule lacrymale par cette méthode, restent avec un écoulement involontaire des larmes sur les joües ; à moins que le conduit nasal ne se soit débouché naturellement. Il ne sera donc plus question dans la pratique chirurgicale, de cet entonnoir (Pl. XXV. fig. 2.) ni du cautere (ibidem fig. 3.) que les anciens employoient pour percer l’os unguis. Les modernes qui suivent encore la pratique de la perforation par routine, ne se servent point d’un fer rougi : ils lui ont substitué le poinçon d’un trocar, ou un instrument particulier (Pl. XXV. fig. 4.) ; mais tous ces moyens ne vont point au but, puisqu’ils ne tendent pas à rétablir l’usage du conduit natal obstrué.

Pour déboucher ce canal, il faut faire une incision demi-circulaire à la peau & au sac lacrymal : il faut prendre garde de couper la jonction des deux paupieres, ce qui occasionneroit un éraillement. Pour faire cette incision, le malade assis sur une chaise, aura la tête appuyée sur la poitrine d’un aide, dont les doigts seront entrelacés sur le front, afin de la contenir avec fermeté ; un autre aide tend les deux paupieres en les tirant du côté du petit angle ; on apperçoit par-là le tendon du muscle orbiculaire ; c’est au-dessous de ce tendon qu’on commence l’incision (Pl. XXV. fig. 6.) ; elle doit avoir six à huit lignes de longueur, & suivre la direction du bord de l’orbite : cette ouverture pénetre dans le sac. Le bistouri, dont M. Petit se servoit, avoit une legere cannelure sur le plat de la lame près du dos ; & comme le dos doit toûjours-être tourné du côté du nez, il avoit deux bistouris cannelés, un pour chaque côté. La pointe du bistouri étant portée dans la partie supérieure du canal nasal, la sonde cannelée, taillée en pointe comme le bout aigu d’un curedent de plume, étoit poussée sur la cannelure du bistouri dans le canal nasal jusque sur la voûte du palais. En faisant faire quelques mouvemens à la sonde, on détruit tous les obstacles, & sa cannelure favorise l’introduction d’une bougie proportionnée. On change tous les jours cette bougie, qu’on charge du médicament qu’on juge convenable. Il y a des praticiens qui employent un stilet de plomb pour cicatriser la