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masse sanguine est nécessairement obligée de passer par ce viscere.

L’animal fut néanmoins encore trois jours après l’opération, sans recouvrer la faculté d’avaler des alimens d’aucune espece, & sans pouvoir respirer par le larynx. Je pris pendant cet intervalle de tems, le parti de le soûtenir par des lavemens de lait, tantôt pur, & tantôt coupé avec de l’eau dans laquelle je faisois bouillir une ou deux têtes de mouton, jusqu’à l’entiere séparation de la chair & des os. L’effet de ces lavemens ne pouvoit être que salutaire, puisqu’ils étoient très-capables de tempérer l’ardeur des entrailles, & qu’une quantité de sucs nutritifs s’introduisoit toûjours dans le sang par la voie des vaisseaux lactés qui partent des gros intestins, & que j’ai apperçûs très-distinctement dans le cheval.

Telles étoient les ressources legeres dont je profitois : j’en avois encore moins pour placer des gargarismes, cependant essentiels & nécessaires, dès qu’il falloit calmer l’ardeur & la sécheresse des parties du gosier, les détendre, diminuer l’espece d’oblitération de leurs orifices excréteurs, & rétablir enfin le cours de la circulation. J’injectai à cet effet par la bouche & par les naseaux une décoction d’orge, dans laquelle je mettois du miel-rosat & une petite dose de sel de Saturne. L’injection par la bouche poussoit la liqueur jusqu’à la cloison du palais, & jusque sur la base de la langue ; & celle que j’adressois dans les naseaux, s’étendoit par les arriere-narines jusque sur les parties enflammées de l’arriere-bouche, qu’elle baignoit & qu’elle détrempoit. Je laissai encore dans la bouche de l’animal, des billots que je renouvellois toutes les deux heures, & que j’avois entourés d’une éponge fortement imbuë de cette même décoction. Mes vœux furent remplis le quatrieme jour ; les alimens liquides commencerent à passer, ce que je reconnus en voyant descendre la liqueur injectée le long de l’œsophage, dont la dilatation est sensible à l’extérieur dans le tems de la déglutition ; & lorsque je bouchois la canule, l’air expiré frappoit & échauffoit ma main au moment où je la portois à l’orifice externe des naseaux. Je retirai donc cet instrument, & je mis sur la plaie de la trachée-artere, qui, autant que j’en pus juger, fut fermée dans l’espace de trois jours, un plumaceau trempé dans une décoction vulnéraire & du miel-rosat. J’eus la précaution de le bien exprimer, dans la crainte qu’il n’en entrât dans le conduit, & je couvris le tout d’un grand plumaceau garni de baume d’arcéus, que je tentai d’assujettir par un large collier ; mais le soir je trouvai mon appareil dérangé, & la difficulté de le maintenir me fit changer de méthode. Je crus n’entrevoir aucun danger à procurer la réunion des tégumens, j’y pratiquai un point de suture qui fut suffisant ; car cette réunion commençoit à avoir lieu dans les angles. Je chargeai la plaie d’un plumaceau enduit du même baume, & j’appliquai par-dessus ce plumaceau un emplâtre contentif : aussi le succès répondit à mon attente ; il ne survint point d’emphyseme, accident que j’avois à redouter, & la plaie de la peau fut cicatrisée le sixieme jour, ce qui en fait en tout onze depuis celui de l’opération.

J’ai dit que dès le quatrieme les alimens liquides commençoient à passer. Je fis donc présenter au cheval de l’eau-blanche avec le son ; il n’en but qu’une seule gorgée, & je continuai toûjours les lavemens, quoiqu’enfin il parvînt à boire plus aisément & plus copieusement de l’eau, dans laquelle je fis mettre de la farine de froment : le tout pour réparer la longue abstinence, & pour rappeller ses forces. Je ne cessai point encore les gargarismes ; l’inflammation des parties intérieures avoit été si considérable, que je crus devoir prolonger & réitérer sans cesse mes injections, & elles étoient si convenables, qu’il survint

une sorte de mortification à toutes ces parties.

En effet, l’ardeur s’étant calmée, le pouls étoit concentré & conservoit son irrégularité ; les yeux, de vifs & ardens qu’ils étoient, devinrent mornes & larmoyans ; la sensibilité des parties affectées paroissoit moindre, ou plûtôt le cheval sembloit moins souffrir, mais il étoit dans un état d’abattement qui ne me présageoit rien que de funeste. J’ajoûtai à mes injections quelques gouttes d’eau-de-vie, & la mortification que je soupçonnois se déclara par le signe pathognomonique ; car je vis sortir par la bouche une humeur purulente, jointe à plusieurs petits filamens blanchâtres, tels que ceux dont j’ai parlé.

Après la chûte de cette espece d’escharre, les parties affectées devinrent de nouveau sensibles : j’en jugeai par la crainte & par la répugnance que l’animal avoit pour les injections. Je substituai le vin à l’eau-de-vie, ce qui les rendit plus douces, & plus appropriées à des parties vives & exulcérées. Enfin au bout de vingt jours je le purgeai : cinq jours après je réitérai la purgation ; ensorte que l’opération, les deux saignées qui lui succéderent, les lavemens nourrissans, le lait, le son, la farine de froment, l’eau blanche, les gargarismes & les deux breuvages purgatifs, furent les remedes qui procurerent la guérison radicale d’une maladie qui disparut au bout d’un mois.

C’est assûrément au tempérament de l’animal que doit se rapporter la cessation de la mortification, ainsi que l’exfoliation & la cicatrisation des parties ulcérées. La nature opere en général de grandes merveilles dans les chevaux ; elle seconde même les intentions de ceux qui la contrarient sans la connoître, & qui ne savent ni la consulter ni la suivre : car on peut dire hautement, à la vûe de l’ignorance des Maréchaux, que lorsqu’ils se vantent de quelques succès, ils ne les doivent qu’aux soins qu’elle a eus de rectifier leurs procédés & leurs démarches. D’ailleurs l’expérience nous démontre que dans cet animal les plaies se réunissent plus aisément que dans l’homme ; la végétation, la régénération des chairs est plus prompte & plus heureuse, elle est même souvent trop abondante ; les ulceres, les abcès ouverts y dégénerent moins fréquemment en fistules : son sang est donc mieux mêlangé, il est plus fourni de parties gélatineuses, douces & balsamiques ; il circule avec plus de liberté, se dépure plus parfaitement, est moins sujet à la dissolution & à la dépravation que le sang humain, perverti & souvent décomposé par un mauvais régime & par des excès.

Ces réflexions néanmoins ne prouvent essentiellement rien contre l’analogie du méchanisme du corps de l’homme & de l’animal : elle est véritablement constante. S’éloigner de la route qui conduit à la guérison de l’un, & chercher de nouvelles voies pour la guérison de l’autre, c’est s’exposer à tomber dans des écarts continuels. La science des maladies du corps humain présente à l’Hippiatrique une abondante moisson de découvertes & de richesses, nous devons les mettre à profit ; mais la Medecine ne doit pas se flater de les posséder toutes : l’Hippiatrique cultivée à un certain point, peut à son tour devenir un thrésor pour elle. (e)

ETRAQUE, s. f. (Marine.) c’est la largeur d’un bordage. Etraque de gabord, premiere étraque, c’est la largeur du bordage qui est entaillé dans la quille. (Z)

ETRAVE, s. f. (Marine.) L’étrave est une ou plusieurs pieces de bois courbes qu’on assemble à la quille, ou plûtôt au ringeot par une empature, comme les pieces de quille le sont les unes avec les autres ; elle termine le vaisseau par l’avant. On la fait ordinairement de deux pieces empatées l’une à l’autre.

Les empatures de l’étrave ont de longueur au moins quatre fois l’épaisseur de la quille.