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tes résolutives les plus fortes, & sur lesquels on aura fait fondre de l’onguent styrax ; & l’on préviendra l’anéantissement dans lequel la difficulté d’avaler précipiteroit inévitablement l’animal, par des lavemens nutritifs.

Quant à l’obstacle qui prive l’animal de la faculté de respirer, on ne peut frayer un passage à l’air, auquel la glotte n’en permet plus, qu’en faisant une ouverture à la trachée, c’est à-dire en ayant recours à la bronchotomie ; opération que j’ai pratiquée avec succès, & que j’entrepris avec d’autant plus de confiance, qu’elle a été premierement tentée sur les animaux : car Avensoër parmi les Arabes, ne la recommanda sur l’homme qu’après l’expérience qu’il en fit lui-même sur une chevre.

Il s’agissoit d’un cheval réduit dans un état à m’ôter tout espoir de le guérir, au moins par le secours des remedes. Il avoit un battement de flanc des plus vifs : l’œil appercevoit sensiblement à l’insertion de l’encolure dans le poitrail, une fréquence & une intermittence marquée dans la pulsation des carotides. Les arteres temporales, ou du larmier, me firent sentir aussi ce que dans l’homme on appelle un pouls caprisant. Les veines angulaires & jugulaires étoient extrèmement gonflées ; le cheval étoit comme hors d’haleine, & pouvoit à peine se soûtenir ; ses yeux étoient vifs, enflammés, &, pour ainsi parler, hors des orbites ; ses naseaux fort ouverts ; sa langue brûlante & livide, sortoit de la bouche ; une matiere visqueuse, gluante & verdâtre, en découloit : il n’avaloit aucune sorte d’alimens ; les plus liquides, dont quelque tems auparavant une partie passoit dans le pharynx, tandis que celle qui ne pouvoit pas enfiler cette voie naturelle, revenoit & se dégorgeoit par les naseaux, n’outre-passoient plus la cloison du palais : l’inflammation étoit telle enfin, que celle de l’intérieur du larynx fermant l’ouverture de la glotte, occasionnoit la difficulté de respirer, pendant que celle qui attaquoit les autres parties, étoit la cause unique de l’impossibilité de la déglutition.

Dans des maladies aiguës & compliquées, il faut parer d’abord aux accidens les plus pressans ; des circonstances urgentes ne permettent pas le choix du tems, & la nécessité seule détermine. L’animal étoit prêt à suffoquer, je ne pensai donc qu’il lui faciliter là liberté de la respiration. Je m’armai d’un bistouri, d’un scalpel, & je me munis d’une canule de plomb que je fis fabriquer sur le champ ; j’en couvris l’entrée avec une toile très-fine, & j’attachai aux anneaux dont elle étoit garnie sur les côtés du pavillon, un lien, dans le dessein de l’assujettir dans la trachée.

Le cheval, pendant ces préparatifs, étoit tombé, je fus contraint de l’opérer à terre ; je le pouvois d’autant plus aisément, que sa tête n’y reposoit point, & que cette opération est plus facile dans l’animal que dans l’homme, en ce que, 1° l’étendue de son encolure présente un plus grand espace ; & parce qu’en second lieu, non-seulement le diametre du canal que je voulois ouvrir est plus considérable, mais il est moins enfoncé & moins distant de l’enveloppe extérieure.

La partie moyenne de l’encolure fut le lieu qui me parut le plus convenable pour mon opération, attendu qu’en ne m’adressant point à la portion supérieure, je m’éloignois de l’inflammation, qui pouvoit avoir gagné une partie de la trachée ; & que plus près de la portion inférieure, je courois risque d’ouvrir des rameaux artériels & veineux provenant des carotides & des jugulaires, & qui par des variations fréquentes sont souvent en nombre infini dispersées à l’extérieur de ce conduit.

J’employai ensuite un aide, auquel j’ordonnai de

pincer conjointement avec moi, & du côté opposé, la peau, à laquelle je fis une incision de deux travers de doigts de longueur. Je n’intéressai que les tégumens ; & les muscles étant à découvert, je les séparai seulement pour voir la trachée-artere, à laquelle je fis une ouverture dans l’intervalle de deux de ses anneaux, avec un scalpel tranchant des deux côtés. L’air sortit aussi-tôt impétueusement par cette nouvelle issuë, & cet effort me prouve que la glotte étoit presqu’entierement fermée ; & que la petite quantité de celui qui arrivoit dans les poumons par l’inspiration, s’y raréfioit, & ne pouvoit plus s’en échapper. Le soulagement que l’animal en ressentit, fut marqué. Des cette grande expiration, & au moyen des mouvemens alternatifs qui la suivirent, il fut moins inquiet, moins embarrassé. Ces avantages me flaterent, & j’apportai toutes les attentions nécessaire, pour assurer le succès de mon opération.

La fixation de la canule étoit un point important ; il falloit l’arrêter de maniere qu’elle ne pût entrer ni sortir toute entiere dans la trachée ; accident qui auroit été de la derniere fatalité, soit par la difficulté de l’en retirer, soit par les convulsions affreuses qu’elle auroit infailliblement excitées par son impression sur une membrane d’ailleurs si sensible, que la moindre partie des alimens qui se détourne des voies ordinaires, & qui s’y insinue, suscite une toux qui ne cesse qu’autant que par cette même toux l’animal parvient à l’expulser.

Mais les liens que j’avois déjà attachés aux anneaux, me devenoient inutiles ; la forme & les mouvemens du cou du cheval, rendoient ma précaution insuffisante. J’imaginai donc d’ôter les bandelettes, & je pratiquai deux points de suture, un de chaque côté, qui prît dans ces mêmes anneaux, & dans les levres de la plaie faite au cuir. La canule ainsi assûrée, je procédai au pansement, qui consista simplement dans l’application d’un emplâtre fenétré fait avec de la poix, par conséquent très-agglutinatif, que je plaçai, comme un contentif & un défensif capable de garantir la plaie de l’accès de l’air extérieur ; & je n’eus garde de mettre en usage la charpie, dont quelques filamens auroient pû s’introduire dans la trachée. Ce n’étoit point encore assez, les points de suture maintenant la canule de façon à s’opposer à son entrée totale dans le conduit, qu’elle tenoit ouvert ; mais sa situation pouvoit être changée par les différentes attitudes de la tête de l’animal, qui étant muë en-haut & en-avant, auroit pû la tirer hors du canal : aussi prévins-je cet inconvénient, en assujettissant cette partie par une martingale attachée d’un côté à un surfaix qui entouroit le corps du cheval, & de l’autre à la muserole du licou ; ensorte que je le contraignis à tenir sa tête dans une position presque perpendiculaire. Je lui fis ensuite une ample saignée à la jugulaire seulement, dans l’intention d’évacuer ; & le même soir j’en pratiquai une autre à la saphene, c’est-à-dire à la veine du plat de la cuisse, dans la vûe de solliciter une révulsion.

La canule demeura cinq jours dans cet état. Les principaux accidens disparurent insensiblement ; & je ne doute point que cet amandement, qui fut visible deux heures même après que j’eus opéré, ne soit dû à la facilité que j’avois donnée au cheval d’inspirer & d’expirer, quoiqu’artificiellement : l’anxiété, l’agitation, & enfin l’anéantissement dans lequel il étoit, provenant sans doute en partie de la contrainte & de la difficulté de la respiration ; contrainte qui causoit une intermission de la circulation dans les poumons ; & intermission qui ne pouvoit que retarder & même empêcher la marche & la progression du fluide dans tout le reste du corps, puisque toute la