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en a une, peut venir, 1°. de la longueur des perches de bois qu’il employoit, & dans laquelle il a pû se glisser plusieurs erreurs sur lesquelles on étoit moins en garde alors qu’on ne l’est aujourd’hui ; 2°. de la maniere dont on les posoit sur le terrein. C’est un détail qu’il faut voir dans son livre, & auquel nous renvoyons, ne prenant point encore de parti sur l’erreur vraie ou fausse de M. Picard, jusqu’à ce que cette erreur soit constatée ou justifiée pleinement, comme elle le sera bientôt.

Cette incertitude sur la longueur du degré de M. Picard, rendoit nécessairement très-incertaine la quantité de l’applatissement de la Terre ; car en supposant la Terre un sphéroïde elliptique, on a vû qu’on pouvoit déterminer par la mesure de deux degrés de latitude, la quantité de son applatissement ; & l’on n’avoit alors que deux degrés de latitude, celui du Nord & celui de France, dont le dernier (chose très-singuliere) étoit beaucoup moins connu que le premier après 80 ans de travail, la différence entre les deux valeurs qu’on lui donnoit, étant de près de 110 toises.

Les académiciens du Pérou, à leur retour, rendirent la question encore plus difficile à résoudre. Ils avoient mesuré le premier degré de latitude, & l’avoient trouvé de 56753 toises, c’est-à-dire considérablement plus petit que le degré de France, soit qu’on mît ce dernier à 57074 toises, ou à 57183. Le comparaison des degrés de l’équateur & de Lapponie, donnoit, dans l’hypothèse elliptique, le rapport des axes de 214 à 215, fort près de celui de M. Newton : or dans cette hypothèse, & supposé cet applatissement, le degré de France devoit avoir nécessairement une certaine valeur ; cette valeur étoit assez conforme à la longueur de 57183 toises, assignée au degré de France par les académiciens du Nord, & nullement à celle de 57074 toises qu’on lui donnoit en dernier lieu. Il n’est pas inutile d’ajoûter qu’en 1740, lorsqu’on avoit trouvé la diminution des degrés de France du nord au midi, telle qu’elle doit être dans la Terre applatie, on avoit mesuré un degré de longitude, à la latitude de 43d 32′ ; & ce degré de longitude s’accordoit aussi très-bien avec ce qu’il devoit être dans l’hypothèse de la Terre elliptique & de l’applatissement égal à .

Cependant M. Bouguer, sans égard aux quatre degrés qui s’accordoient dans l’hypothese elliptique, & qui donnoient l’applatissement de , crut devoir préférer le degré de France déterminé à 57074 toises, à ce même degré déterminé à 57183 : il ôta donc à la Terre la figure elliptique : il lui donna celle d’un sphéroïde, dans lequel les accroissemens des degrés suivroient la proportion, non des quarrés des sinus de latitude, mais des quatriemes puissances de ces sinus. Il trouva que le degré du Nord, celui du Pérou, celui de France suppose de 57074 toises, & le degré de longitude mesuré à 43d 32′ de latitude, s’accordoient dans cette hypothèse. Il en conclut donc que la Terre étoit un sphéroïde non elliptique, dans lequel le rapport des axes étoit de 178 à 179, presqu’égal à celui de 177 à 178, trouvé en dernier lieu par les académiciens du Nord, mais à la vérité dans l’hypothèse elliptique ; ce qui donnoit deux sphéroïdes fort différens, quoiqu’à-peu-près également applatis. On verra dans un instant que les mesures faites depuis en d’autres endroits, ne sauroient subsister avec l’hypothèse de M. Bouguer, qui à la vérité ne la pouvoit prévoir alors, & qui croyoit tout faire pour le mieux, en ajustant à une même hypothèse les données qu’il avoit choisies.

Les choses en étoient là, lorsqu’en 1752 M. l’abbé de la Caille, un de ceux qui avoient eu le plus de part à la mesure des degrés de France en 1740, se trouvant au cap de Bonne-Espérance par 33d 18′ de

latitude, où il avoit été envoyé par l’académie pour y faire des observations astronomiques, principalement relatives à la parallaxe de la Lune, y mesura le degré du méridien, & le trouva de 57037 toises. Ce degré s’accordoit encore très-bien avec l’hypothèse elliptique & l’applatissement de , & ce qu’il faut bien remarquer, avec le degré de France supposé de 57183 toises ; mais il étoit presque égal au degré de France, supposé de 57074 toises ; & si cela étoit vrai, il en résulteroit que non-seulement le Terre ne seroit pas elliptique, mais que les deux hémispheres de la Terre ne seroient pas semblables, puisque les degrés seroient presque égaux à des latitudes aussi différentes que celle de France à 49d, & celle du cap à 33d. Il est visible au reste que le degré du cap ne s’accorderoit plus avec l’hypothèse de M. Bouguer, puisque le degré de France de 57074 toises, presque égal au degré du cap, quoiqu’à une latitude fort différente, étoit conforme à cette hypothèse.

Enfin la mesure du degré, récemment faite en Italie par les PP. Maire & Boscovich, à 43d 1′ de latitude, produit de nouvelles difficultés. Ce degré s’est trouvé de 56979 toises ; ainsi non-seulement il differe beaucoup de ce qu’il doit être dans l’hypothèse de la Terre elliptique & de l’applatissement supposé , mais encore il s’est trouvé différer de plus de 70 toises d’un des degrés mesurés en France en 1740, presqu’à la même latitude que le degré d’Italie ; car le degré de latitude en France, à 43d 31′, a été déterminé de 57048 toises.

Si cette derniere différence étoit réelle, il s’ensuivroit que le méridien qui traverse l’Italie, ne seroit pas semblable au méridien qui traverse la France, & qu’ainsi les méridiens n’étant pas les mêmes, la Terre ne pourroit plus être regardée comme parfaitement ou même sensiblement circulaire dans le sens de l’équateur, comme on l’avoit toûjours supposé jusqu’ici. Il en résulteroit de plus d’autres conséquences très-fâcheuses, que l’on verra dans la suite de cet articie. On peut remarquer en même tems que le degré d’Italie quadre assez bien avec l’hypothèse de M. Pouguer, à laquelle celui du cap ne s’accorde pas ; ainsi de quelque côté qu’on se tourne, aucune hypothèse ne peut s’accorder avec la longueur de tous les degrés mesurés jusqu’ici. Il ne manque plus rien, comme l’on voit, pour rendre la figure de la Terre aussi incertaine que le pyrrhonisme peut le desirer.

Pour mettre en un coup-d’œil sous les yeux du lecteur les degrés mesurés jusqu’à présent, nous les rassemblerons dans cette table.

Latitudes. Degrés en toises.
Degré du Nord 66d 20′ 57422
Degrés de France 49 56 57084
49 23 57074
ou selon d’autres,
57183
49 3 57069
47 58 57071
47 41 57057
46 51 57055
46 35 57049
45 45 57050
45 43 57040
44 53 57042
43 31 57048
Degré d’Italie 43 1 56979
Degré sous l’équateur 0 0 56753
Degré du Cap à…
de latitude mérid.
33d 18 57037

Degré de longitude à…
de latitude septentr.
43d 32′ 41618 tois.