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qui se dispose à une crise, ou à évacuer la matiere critique, il ne faut point les interrompre ; mais si ces symptomes arrivent à contre-tems, ou qu’ils soient trop violens, il faut les calmer par les remedes qui leur soient propres, ayant toûjours égard à la cause & à l’état de la fievre subsistante.

Semblablement la fievre trop violente, demande à être réprimée par la saignée, par l’abstinence, par une nourriture legere, par des médicamens doux, aqueux, glutineux, rafraîchissans ; par des lavemens, par des anodyns, en respirant un air un peu froid, & en calmant les passions. Si la fievre au contraire paroît trop lente, on animera son action par l’usage d’alimens & de boissons cordiales, par un air un peu chaud, par des médicamens acres, volatils, aromatiques, & qui ont fermenté ; par des potions plus vives, par des frictions, par la chaleur, par le mouvement musculaire.

Après tout, comme la fievre n’est qu’un moyen dont la nature se sert pour se délivrer d’une cause qui l’opprime, l’office du medecin ne consiste qu’à prêter à cette nature une main secourable dans les efforts de la secrétion & de l’excrétion. Il peut bien tempérer quelquefois sa véhémence, mais il ne doit jamais troubler ses opérations. Ainsi ne croyons pas avec le vulgaire, que la fievre soit un de nos plus cruels ennemis ; cette idée est absolument contraire à l’expérience, puisque de tant de gens attaqués de la fievre qu’ils abandonnent à elle-même, il en est peu qui y succombent ; & quand elle est fatale, il faut plûtôt rejetter l’évenement sur les fautes, ou la mauvaise constitution du malade, que sur la cruauté de la fievre.

Il est cependant très-vrai que dans plusieurs conjonctures, la fievre emporte beaucoup de personnes d’un tempérament fort & vigoureux ; mais il faut remarquer que c’est seulement, lorsque les affections morbifiques violentes, malignes, ou nombreuses, viennent à la fois troubler le méchanisme de la fievre, le surmontant, & en empêchant les opérations salutaires. On doit, ou on peut dire alors, que ces gens là sont morts avec la fievre, mais non pas de la main de la fievre ; car ce sont deux choses fort différentes.

Observations générales sur les divisions des fievres. La plus simple distinction des fievres est de les diviser en deux classes générales ; celle des fievres continues, & celle des fievres intermittentes ; car on peut rapporter sous ces deux classes toutes les especes de fievres connues.

La distinction la plus utile pour la pratique, consiste à démêler les fievres qui se guérissent par coction, d’avec celles qui ne procurent pas de coction ; car par ce moyen, les praticiens se trouveront en état de pouvoir diriger leurs vûes pour le traitement des fievres.

Mais la distinction la plus contraire à la connoissance de ce qui constitue essentiellement la fievre, c’est d’avoir fait d’une infinité d’affections morbifiques, de symptomes violens étrangers à la fievre, ou de maladies qui l’accompagnent, tout autant de fievres particulieres. L’assoupissement dominant, les sueurs continuelles, le froid douloureux, le frissonnement fréquent, la syncope, le frisson qui persiste avec le sentiment de chaleur, &c. ont établi dans la Medecine la fievre comateuse, la fievre sudatoire, la fievre algide, la fievre horrifique, la fievre syncopale, la fievre épiole, &c.

C’est encore là l’origine de toutes les prétendues fievres nommées putrides, pourpreuses, miliaires, contagieuses, colliquatives, malignes, diarrhitiques, dyssentériques, pétéchiales, &c. car on a imputé à la fievre même, la pourriture, les taches pourprées, les éruptions miliaires, l’intection contagieu-

se, les colliquations, la malignité, les cours de ventre,

le flux de sang, les pustules, &c.

Cependant l’usage de toutes ces fausses dénominations a tellement prévalu, que nous sommes obligés de nous y conformer dans un Dictionnaire encyclopédique, pour que les lecteurs y puissent trouver les articles de toutes les fievres qu’ils connoissent uniquement par leurs anciens noms consacrés d’âge en âge ; mais du moins en nous pliant à la coûtume, nous tâcherons d’être attentifs à déterminer le sens qu’on doit donner à chaque mot, pour éviter d’induire en erreur ; & si nous l’oublions dans l’occasion, nous avertissons ici une fois pour toutes, qu’il ne faut point confondre les symptômes étrangers à la fievre, ou les affections morbifiques & compliquées qui peuvent quelquefois l’accompagner, avec les symptomes inséparables qui constituent l’essence de la fievre, qui ont été mentionnés au commencement de cet article.

Auteurs recommandables sur la fievre. Ma liste sera courte. Si par hasard, & je ne puis l’imaginer, quelqu’un ignoroit le mérite de la doctrine & des présages d’Hipocrate sur les fievres, il l’apprendra par les commentaires de Friend de febribus, & par le petit ouvrage du docteur Glass.

Le petit livre de Lommius, qui parut pour la premiere fois en 1563 in-8o . sera toûjours loüé, goûté, & lû des praticiens avec fruit.

Sydenham est jusqu’à ce jour un auteur unique par la vérité & l’exactitude de ses observations sur les fievres dans les constitutions épidémiques.

Hoffman a donné sur les fievres un traité complet, & rempli d’excellentes choses puisées dans la pratique & dans la lecture des plus grands maîtres de l’art ; c’est dommage qu’il ait infecté son ouvrage d’opinions triviales, qui rendent sa théorie diffuse, & sa pratique très-défectueuse.

Boerhaave au contraire, toûjours sûr de sa marche, évitant toûjours les opinions & les raisonnemens hasardés, démêlant habilement le vrai du faux, le principal de l’accessoire, a sû le premier se frayer le chemin de la vérité ; c’est lui qui a découvert la cause réelle du méchanisme de la fievre, & par conséquent celle de la bonne méthode curative. Tenant d’une main les écrits d’Hippocrate, & portant de l’autre le flambeau du génie, il a démontré que ce méchanisme s’exécute par l’action accélérée des arteres, qui fait naître & entretient l’excès de chaleur qui constitue l’essence de la fievre. Lisez les aphorismes de ce grand homme, avec les beaux commentaires du docteur Vanswieten.

Enfin en 1754 M. Quesnay a prouvé, que puisque l’action accélérée des arteres & l’action de la chaleur constituent ensemble le méchanisme de la fievre, il faut considérer ensemble ces deux choses, pour comprendre toute la physique de cette maladie. Voyez son excellent traité des fievres en 2 vol. in-12.

Je me suis particulierement nourri des écrits que je viens de citer, & j’ai tâchai d’en saisir les vûes, les idées & les principes.

Fievre acritique. On entend par fievre acritique ou non critique, toute fievre continue qui ne se termine point par coction, ou par une crise remarquable. Il y a diverses especes de maladies aiguës accompagnées de fievres non critiques ; telles sont les fievres spasmodiques d’un mauvais caractere, les fievres compliquées d’inflammation, de sphacele, de gangrene, les fievres pestilentielles, & autres semblables.

Les fievres acritiques, comme toutes les autres fievres, reconnoissent différentes causes, entr’autres celle des matieres corrompues dans les premieres voies, & mélées dans la masse des humeurs circulantes.