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ment, il est aisé de connoître par les auteurs de ce tems, que leur langage n’étoit point thiois.

Quelques-uns ont encore voulu tirer le mot lige du grec ἑμόλογος, à quoi il n’y a aucune apparence, la langue greque n’étant pas alors assez familiere pour en tirer cette dénomination.

S. Antonin, sous l’an 1224, écrivant la maniere dont S. Jean d’Angely se rendit à Louis VIII. dit que l’abbé & les bourgeois rendirent la ville au roi, ei ligam exhibentes fidelitatem. Le jésuite Maturus explique ce mot liga par obsequium : mais S. Antonin qui vivoit jusqu’au milieu du xv. siecle, n’a parlé que sur la foi de Vincent de Beauvais, en son miroir historial ou sous l’an 1224 ; il dit en parlant du même fait, legitimam facientes ei fidelitatem ; ainsi ou le texte a été corrompu, ou c’est une abréviation qui a été mal rendue.

Parmi tant d’opinions controversées, la premiere qui fait venir le mot lige à ligando, paroît la plus naturelle.

Pour ce qui est de l’origine des fiefs liges, ou du moins du tems où ils ont commencé à être qualifiés du surnom de liges, l’époque n’en remonte guere plus haut que dans le xij. siecle, vers l’an 1130.

En effet, il n’en est fait aucune mention dans les monumens qui nous restent du tems des deux premieres races de nos rois, tels que la loi salique, les formules de Marculphe, & celles des auteurs anonymes ; ni dans les ouvrages de Gregoire de Toûrs, Frédégaire, Nitard, Thegan, Frodoard, Aymoin, Flodoard ; ni même dans les capitulaires de Charlemagne, de Louis le Débonnaire & de Charles le Chauve, quoique les usages des fiefs, tant simples que de dignité, qui se pratiquoient alors en France, & les devoirs réciproques des seigneurs & des vassaux, y soient assez détaillés.

On ne voit même point que les termes de lige, ligeance & ligeité, fussent encore usités sous les quatre premiers rois de la troisieme race, dont le dernier, qui fut Philippe I. mourut en 1108.

Fulbert, chancelier de France, élevé à l’évêché de Chartres en 1007, & que l’on a regardé comme un homme consommé dans la jurisprudence féodale de son siecle, ne parle point des fiefs liges dans ses épîtres, quoique dans plusieurs il traite des fiefs, & notamment dans la 101e. qui comprend en abregé les devoirs réciproques du vassal & du seigneur.

Les fragmens des auteurs qui ont écrit sous Henri I. & sous Philippe I. n’en disent pas davantage, non plus que Yves évêque de Chartres sous Philippe I. & sous Louis-le-Gros. Sugger, abbé de Saint-Denis, n’en dit rien dans la vie de Louis-le-Gros, ni dans les mémoires qu’il a laissés des choses les plus importantes qui se sont passées de son tems, quoiqu’il y donne plusieurs éclaircissemens sur les usages des fiefs.

On trouve dans le livre des fiefs un chapitre exprès de feudo ligio ; mais il est essentiel d’observer que ce chapitre n’est point de Gerard le Noir, ni de Obertus de Horto. Ces deux jurisconsultes, qui vivoient vers le milieu du xij. siecle, ne sont auteurs que des trois premiers livres des fiefs, dans lesquels il n’est rien dit du fief lige.

Le chapitre dont on vient de parler, fait partie du quatrieme livre, dans lequel on a ramassé les écrits de plusieurs feudistes anonymes ; & par les constitutions qui y sont citées de Frédéric I. dit Barberousse, qui tint l’Empire jusqu’en 1190, il paroît que ces auteurs ne peuvent être au plûtôt que de la fin du xij. siecle, ou du commencement du xiij. aussi Dumolin sur l’ancienne coûtume de Paris, §. 1. gl. 5. n. 12. dit que ce mot lige est barbarius feudo ; qu’il étoit encore inconnu du tems des livres des fiefs, & qu’il fut ensuite introduit pour exprimer qu’on se rendoit homme d’un autre.

Il y a lieu de croire que la dénomination & les devoirs du fief lige furent introduits d’abord en France ; que ce fut sous le regne de Louis VI. dit le-Gros, lequel regna depuis l’an 1108 jusqu’en 1137.

Ce prince fut obligé de réprimer l’insolence des principaux vassaux de la couronne, lesquels refusoient absolument de lui faire hommage de leurs terres ; ou s’ils lui prêtoient serment de fidélité, ils se mettoient peu en peine de l’enfraindre, s’imaginant être libres de s’en départir, selon que leurs intérêts particuliers ou ceux de leurs alliés sembloient le demander.

Ce fut sans doute le motif qui porta Louis-le-Gros à revêtir l’hommage de solennités plus rigoureuses que celles qui avoient été pratiquées jusqu’alors, & d’obliger ses vassaux de se reconnoître ses hommes liges ; d’où leurs fiefs furent appellés fiefs liges, pour les distinguer des fiefs simples subordonnés à ceux-ci, dont aucun n’avoit encore la qualité ni les attributs de fief lige.

C’est aussi probablement ce que l’abbé Sugger a eu en vûe, lorsqu’il a parlé des précautions singulieres que Louis-le-Gros prit pour s’assûrer de la fidélité de Foulques, comte d’Anjou : l’hommage fut suivi de sermens réitérés, on donna au roi plusieurs ôtages ; & dans l’hommage lige fait en 1190 par Thibaut, comte de Champagne, à Philippe-Auguste, le serment fut fait sur l’hostie & sur l’évangile : plusieurs personnes qualifiées se rendirent aussi avec serment, cautions de la fidélité du vassal, jusqu’à promettre de se rendre prisonniers dans les lieux spécifiés, au cas que dans le tems convenu le vassal n’amendât pas son manque de fidélité, & d’y garder prison jusqu’à ce qu’il l’eût réparé. Enfin le comte se soûmit à la puissance ecclésiastique, afin que sa terre pût être mise en interdit si-tôt que le délai seroit expiré, s’il n’avoit amendé sa faute.

Cette formule d’hommage étant toute nouvelle, & beaucoup plus onéreuse que la formule ordinaire, il fallut un nom particulier pour la désigner ; on l’appella hommage lige.

Le continuateur d’Aymoin, dont l’ouvrage fut parachevé en 1165, rapporte l’investiture lige du duché de Normandie, accordée par Louis VII. dit le Jeune, à Henri fils de Geoffroi comte d’Anjou ; ce qui arriva vers l’an 1150. Il dit en propres termes, & eum pro eadem terra in hominem ligium accepit.

L’usage des fiefs liges fut introduit à-peu près dans le même tems dans le patrimoine du saint siége, en Angleterre & en Ecosse, & dans les autres souverainetés qui avoient le plus de liaisons avec la France.

On voit pour l’Italie, que l’anti-pape Pierre de Léon étant mort en 1138, ses freres reprirent d’Innocent II. les fiefs qu’ils tenoient de l’église, & lui en firent l’hommage lige, & facti homines ejus ligii juraverunt ei ligiam fidelitatem : c’est ainsi que saint Bernard le rapporte dans son épître 320. adressée à Geoffroi lors prieur de Clairvaux.

Le même pape Innocent II. ayant en 1139 investi le comte Roger du royaume de Sicile & autres terres, la charte d’investiture fait mention que Roger lui fit l’hommage lige, qui nobis & successoribus nostris ligium homagium fecerint ; termes qui ne se trouvent point dans l’investiture des mêmes terres, accordée en 1130 : ce qui suppose que l’usage des fiefs liges n’avoit été introduit en Italie qu’entre l’année 1130 & l’année 1137.

On trouve aussi dans le septieme tome des conciles, part. II. la sentence d’excommunication fulminée l’an 1245 par Innocent VI. au concile de Lyon contre l’empereur Frédéric second qui fait mention expresse d’hommage lige. Une partie de cette sentence est rapportée dans le sexte. Un des crimes dont Frédéric étoit prévenu, étoit qu’en persécutant