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bourables, prés, vignes, bois, étangs, rivieres, &c.

M. le Laboureur, sur les Masures de l’isle Barbe, p. 181. dit, à l’occasion d’un titre de l’an 1341, que l’érection d’un fief ne se pouvoit faire qu’il n’y eût 10 liv. de rente ; ce qui suffisoit alors pour l’entretien d’un gentilhomme.

On peut aussi tenir en fief toutes sortes de droits réels à prendre sur des immeubles tels que le cens, rentes foncieres, dixmes, champarts, &c. les propriétaires de ces droits sont obligés d’en faire la foi au seigneur dont ils les tiennent.

Les justices seigneuriales sont aussi toutes tenues en fief du roi, & attachées à quelque fief corporel dont elles ne peuvent être séparées par le possesseur.

L’origine des fiefs est un des points les plus obscurs & les plus embrouillés de notre histoire ; elle paroît venir de l’ancienne coûtume de toutes les nations, d’imposer un hommage & un tribut au plus foible.

Plusieurs tiennent que les fiefs étoient absolument inconnus aux Romains ; parce qu’en effet il n’en est point parlé dans leurs lois : il est néanmoins certain que les empereurs romains donnerent à leurs capitaines & à leurs soldats des terres conquises sur les ennemis, avec des esclaves & des animaux pour les cultiver ; ces concessions furent faites à la charge de l’hommage ou reconnoissance envers celui dont ils tenoient ces bienfaits ; & à condition de ne passer aux enfans mâles qu’au cas qu’ils portassent les armes. S’il n’y avoit que des filles, ou que les garçons ne portassent pas les armes, l’empereur donnoit les terres à d’autres officiers ou soldats ; ce qu’il faisoit, dit Lampride en la vie de Sévere, pour les engager à mieux défendre les frontieres qui étoient devenues leur propre bien. On trouve plusieurs exemples de ces concessions sous les empereurs Alexandre Severe & Probus, l’un mort l’an 211 ; l’autre, en 282.

On trouve donc dès le tems des Romains le premier modele des fiefs, & l’obligation du service militaire imposée aux possesseurs ; & comme c’étoient principalement les terres des frontieres que l’on accordoit ainsi aux officiers, on peut rapporter à cette époque la premiere origine de nos marquis, qui, dans leur institution, étoient destinés à garder les marches ou frontieres du royaume.

Comme les empereurs faisoient ces sortes de concessions dans les pays qu’ils avoient conquis, on conçoit qu’ils ne manquerent pas d’en faire dans les Gaules, que Jules César avoit réduites en province romaine.

Quelques auteurs croyent entrevoir des traces des devoirs réciproques du seigneur & du vassal, dans l’ancienne relation qu’il y avoit entre le patron & le client.

Il faut néanmoins convenir que les Romains n’avoient point dans leurs états de fiefs tels qu’ils ont été pratiqués en France, sur-tout depuis le tems de la seconde race de nos rois.

Mezeray prétend que la donation des fiefs à la noblesse de France commença sous Charles-Martel.

D’autres tiennent que l’usage des fiefs nous est venu des Lombards, & que Charlemagne l’emprunta d’eux. Il est certain en effet que les Lombards furent les premiers qui érigerent des duchés, pour relever en fief de leur état.

Ces peuples voyant en 584 que l’empereur Maurice vouloit faire les derniers efforts pour les exterminer, remirent leur état en royaume : néanmoins les trente-six ducs qui gouvernoient leurs villes, les garderent en propre & à titre héréditaire ; mais ils demeurerent obligés envers le roi à certains devoirs, particulierement de lui obéir & le suivre en guerre. Spolette & Benevent furent sous les Lombards des duchés héréditaires avant Charlemagne.

Ce qui a pû accréditer cette opinion, est que les livres des fiefs que l’on a joints au corps de droit, sont principalement l’ouvrage de deux jurisconsultes lombards nommés Gérard le Noir & Obert de Horto, qui étoient consuls de Milan en 1158 : ce sont les jurisconsultes lombards qui ont embrouillé le droit des fiefs des subtilités du digeste ; celui de France étoit auparavant fort simple

D’autres encore pensent que Charlemagne prit l’idée des fiefs chez les peuples du nord : en effet, comme on l’a déjà observé, le mot fief paroît venir du mot saxon feod, qui signifie la joüissance ou la possession de la solde ; & de feod on a fait feodum, & en françois féodal.

Quelques-uns pour concilier ces deux dernieres opinions, disent que Charlemagne, après avoir pris l’idée des fiefs chez les peuples du nord, s’y confirma par l’exemple des Lombards ; & qu’après en avoir fait l’expérience en Italie, il estima tant cette police, qu’il l’introduisit dans tous les pays où il le put faire sans détruire les lois qui y étoient d’ancienneté. C’est ainsi que Tassillon possédoit le duché de Baviere, à condition d’un hommage ; & ce duché eût appartenu à ses descendans, si Charlemagne ayant vaincu ce prince n’eût dépouillé le pere & les enfans.

Il y a aussi des historiens qui rapportent l’établissement des fiefs en France au roi Raoul, lequel, pour gagner l’affection des grands, fut obligé de leur donner plusieurs domaines.

D’autres enfin fixent cette époque au tems de Hugues Capet.

Mais nonobstant ces diverses opinions, il paroît constant que l’usage des fiefs est venu en France du nord ; qu’il y fut apporté par les Francs lorsqu’ils firent la conquête des Gaules.

M. Schilter, en ses notes sur le traité des fiefs de Struvius, remarque que ce n’est point aux seuls Lombards qu’on doit l’origine des fiefs ; qu’ils étoient en usage en Allemagne, avant que le droit des Lombards y eût été reçû ; que les François ont beaucoup plus contribué que les Lombards à introduire l’usage des fiefs ; que c’est par eux que les fiefs ont passé en Allemagne.

Il observe encore que les fiefs sont inconnus en Espagne, quoique les Visigoths s’y soient établis : d’où il infere que cet usage n’étoit pas commun à tous les peuples de Germanie ; qu’il s’est introduit peu après chez les François & les Lombards, depuis que les uns & les autres furent sortis de Germanie : il y a lieu de croire que les Francs avoient emprunté cet usage des Saxons.

Il est vrai que le terme de fief étoit totalement inconnu sous la premiere race de nos rois : aussi n’en est-il rien dit dans la loi salique ni dans celle des Ripuariens : il n’y est parlé que des terres saliques & des aleux. Les aleux étoient les biens libres qui étoient demeurés aux anciens propriétaires : les terres saliques étoient celles qui étoient données aux officiers & soldats, jure beneficii, c’est-à-dire à titre de bienfait & de récompense, & à la charge du service militaire. Ce fut à ce titre que Clovis donne Melun à Aurélien, jure beneficii concessit : ainsi ces bénéfices qui sont les premiers fondemens des fiefs, sont aussi anciens que la monarchie.

Dumoulin ne doute point que ces distributions de terres appellées bénéfices, dont l’usage avoit commencé chez les Romains, ne soient la premiere origine de nos fiefs ; c’est pourquoi il se sert indifféremment des mots bénéfice & fief, quoiqu’il y ait une différence essentielle entre bénéfice & fief. Est-ce que ces bénéfices n’obligeoient point à la foi & hommage, ni aux autres devoirs féodaux ? d’ailleurs ces bénéfices n’étoient point héréditaires.