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dire entant qu’elles sont suffisamment agitées par les mouvemens des organes qui les contiennent ; sans quoi elles cesseroient d’avoir ces qualités.

Il suit de ces principes posés, que dans l’embryon (qui, aux yeux du physicien dans les premiers tems après la génération, ne paroît être pour ainsi dire qu’une goutte de liquide, qui en a les caracteres, selon lui, par le peu de cohésion de ses parties, le peu de résistance qu’elles opposent à leur division), le physiologiste conçoit, par le raisonnement & par analogie, des parties assez solides pour contenir des fluides, pour les mettre en mouvement, & résister aux efforts de ce mouvement ; assez liées entr’elles pour former dès lors une véritable machine hydraulique, un corps organisé, par un assemblage de différens instrumens dont les effets sont aussi parfaits à proportion & plus admirables encore que ceux qui sont produits dans le corps d’un adulte. De même le sang & plusieurs autres humeurs du corps humain, que le medecin regarde comme fluides, laissés à eux-mêmes hors de leurs conduits, perdent entierement, pour la plus grande partie, la propriété en quoi consiste la fluidité, c’est-à-dire la disposition à ce que les particules qui les composent se séparent entr’elles par le moindre effort. Ces humeurs animales forment bientôt une masse coagulée, qui oppose une résistance marquée à la division de ses parties ; cependant tant qu’elles étoient contenues dans le corps de l’animal, elles étoient susceptibles de couler, & couloient en effet sous forme liquide dans les plus petits canaux du corps. La solidité des rudimens de l’animal, contenus dans l’œuf, & la fluidité de la plûpart des humeurs, ne sont donc que des propriétés seulement respectives, accidentelles, entant qu’elles sont considérées sous le point de vûe qui vient d’être présenté. L’observation des Medecins à cet égard est donc nécessaire, & n’est pas déplacée ici, lorsqu’il s’agit des principes qui constituent les parties solides du corps humain.

Formation des fibres. Un élement séparé peut être consideré comme un point mathématique, qui n’a ni longueur, ni largeur, ni profondeur ; mais dès qu’il est uni à d’autres, selon la direction d’une ligne, avec quelque sorte de résistance à la division des parties du tout qui en est formé, il en résulte une des trois sortes de dimensions, qui est la longueur ; c’est un corps composé, étendu seulement selon cette direction ; c’est un corps divisible seulement en ce sens-là : c’est ainsi que peut être conçûe la formation de la fibre simple, qui, par rapport à la divisibilité, est censée n’avoir ni longueur, ni épaisseur ; puisqu’elle n’est susceptible de séparation de ses parties, dans aucune de ces deux dimensions, mais seulement dans sa longueur, parce qu’elle n’est formée que de parties élémentaires disposées selon cette dimension. Cette fibre est donc très-simple, puisqu’aucune partie divisible en soi, aucune partie composée n’entre dans sa formation ; elle n’a rien d’organisé, quoiqu’elle puisse entrer dans la composition des organes, ou qu’elle en ait fait partie. Ses principes sont tels, que ni l’eau, ni l’air, ni le feu, ne peuvent les pénétrer, diviser leur substance ; ils ne sont susceptibles d’altération que relativement à leur union extrinseque entre eux, qui forme la production que nous avons appellée fibre ; union qui peut par conséquent cesser d’avoir lieu.

Les qualités de cette fibre ou de ses élémens conviennent parfaitement à la vraie terre, à la terre pure, qui est un corps simple, solide, formé de parties similaires, le seul que nous puissions saisir, fixer ; mais les parties terrestres, telles qu’elles tombent sous nos sens, n’ont guere de force de cohésion, sans quelqu’autre moyen que le contact, qui n’est vraissemblablement suffisant que pour former

des aggrégés des plus simples, c’est-à-dire des amas de parties élémentaires figurées de maniere à pouvoir se toucher & s’unir par des surfaces. Les cendres des animaux, comme des végétaux, se séparent aisément entr’elles par l’agitation du moindre souffle. Donc les aggrégés primitifs de corpuscules simples ont presque tous besoin pour former des solides, de quelque moyen intermédiaire, de quelque espece de glu, de colle, qui les retienne dans l’état de cohésion, en étendant leur surface contiguë, en multipliant par conséquent les points de contact. Dès que ce moyen, quel qu’il soit, est enlevé, les petites parties qui composent les solides se dissipent aisément en poussiere. L’expérience nous engage à penser que ce qui constitue cette colle est de nature aqueuse ou huileuse ; la chose peut être rendue sensible par un exemple.

Que l’on prenne des cendres bien lavées, pour les dépouiller de tout sel, que l’on en fasse un creuset ; il faut pour cet effet paitrir ces cendres avec de l’eau : la pâte étant formée & séchée, elles restent unies en un corps solide, mais qui est percé comme un filtre. Si on paitrit les mêmes cendres avec de l’huile, encore sous forme de vase, & que l’on les fasse sécher dans un four afin que l’huile se cuise, c’est-à-dire que les parties aqueuses s’en séparent, alors ces cendres auront une très-grande force de cohésion, & ce vase ainsi formé sera très-ferme. Si cependant à force de feu, on vient à expulser de sa substance toute l’huile qui y étoit incorporée, les cendres retourneront en poussiere comme auparavant. C’est ainsi qu’une sécheresse de tems de longue durée, fait que la terre qui formoit de la boue, tant qu’elle étoit mêlée avec de l’eau, se réduit en poudre volatile que le vent agite, enleve sous forme de nuée. Si-tôt qu’il vient à pleuvoir, cette même poudre venant à être détrempée de nouveau, retourne en boue & forme une pâte si tenace, si gluante, qu’elle peut par son adhérence aux roues des voitures en arrêter le mouvement, en les retenant avec plus de force qu’elles ne sont tirées.

Il suit de ces raisonnemens appuyés sur des comparaisons de faits, qu’il doit entrer quelque substance glutineuse dans la composition des fibres animales ; mais ce qui semble prouver invinciblement que la chose est ainsi, c’est l’expérience faite sur les fibres même, c’est-à-dire sur des parties qui en sont composées. 1°. Si l’on prend de ces parties, comme quelque portion charnue, bien lavée pour en séparer le sang, ensorte qu’elle soit devenue bien blanche, & que l’on la fasse ensuite bouillir dans de l’eau pendant long-tems ; elle se change en une matiere informe, qui n’est que gélatineuse : ce que savent bien ceux qui font la colle forte, pour laquelle ils n’employent que des morceaux de peaux, de tendons, de membranes cartilagineuses de différens animaux, dont ils font de fortes décoctions ; la dissipation des parties aqueuses laisse un résidu sous forme de gelée, qui, étant desséchée, devient extrèmement ferme & compacte comme de la corne. 2°. Les parties les plus dures, les os peuvent être réduits par la coction en substance de gelée, comme on le prouve par les effets de la machine de Papin, & par l’expérience de Clopton Havers rapportée dans son ouvrage intitulé nova osteologia. V. Digesteur. 3°. La partie mucilagineuse du sang séparée de la partie rouge par l’agitation, la conquassation, étendue en forme de lame, & ainsi séchée, paroît être une membrane fibreuse, qui imite celles qui sont véritablement organisées ; de maniere qu’on peut la conserver longtems dans cet état, selon ce qui est rapporté dans le thrésor anatomique de Ruysch. 4°. Cette même partie gélatineuse séparée du sang, de laquelle il vient d’être fait mention, étant fraîche & mise en masse ;