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cérémonie religieuse où il n’entrât du feu ; & celui qui servoit à parer les autels & à consumer les victimes, étoit sur-tout regardé avec le plus grand respect. C’est par cette raison que l’on gardoit du feu perpétuellement allumé dans les temples des Perses, des Chaldéens, des Grecs, des Romains & des Egyptiens. Moyse, établi de Dieu le conducteur des Hébreux, en fit de la part du Seigneur une loi pour ce peuple. « Le feu, dit-il, brûlera sans cesse sur l’autel, & le prêtre aura soin de l’entretenir, en y mettant le matin de chaque jour du bois, sur lequel ayant posé l’holocauste, il fera brûler par-dessus la graisse des hosties pacifiques, & c’est-là le feu qui brûlera toûjours sans qu’on le puisse éteindre ». Lévitiq. ch. vj.

Il semble toutefois que le lieu du monde où l’on révéra davantage cet élément, étoit la Perse : on y trouvoit par-tout des enclos fermés de murailles & sans toîts, où l’on faisoit assidûment du feu, & où le peuple dévot venoit en foule à certaines heures pour prier. Les grands seigneurs se ruinoient à y jetter des essences précieuses & des fleurs odoriférantes ; privilége qu’ils regardoient comme un des plus beaux droits de la noblesse. Ces enclos ou ces temples découverts, ont été connus des Grecs sous le nom de πυραιθεῖα, & ce sont les plus anciens monumens qui nous restent de l’idolatrie du feu. Strabon qui avoit eu la curiosité de les examiner, raconte qu’il y avoit un autel au milieu de ces sortes de temples, avec beaucoup de cendres, sur lesquelles les mages entretenoient un feu perpétuel.

Quand les rois de Perse étoient à l’agonie, on éteignoit le feu dans les villes principales du royaume ; & pour le rallumer, il falloit que son successeur fût couronné. Ces peuples s’imaginoient que le feu avoit été apporté du ciel, & mis sur l’autel du premier temple que Zoroastre avoit fait bâtir dans la ville de Xis en Médie. Il étoit défendu d’y jetter rien de gras ni d’impur ; on n’osoit pas même le regarder fixement. Enfin pour en imposer davantage, les prêtres entretenoient ce feu secretement, & faisoient accroire au peuple qu’il étoit inaltérable, & se nourrissoit de lui-même. Voyez Th. Hyde, de relig. Persarum.

Cette folie du culte du feu passa chez les Grecs ; un feu sacré brûloit dans le temple d’Apollon à Athenes, & dans celui de Delphes, où des veuves chargées de ce soin, devoient avoir une attention vigilante pour que le brasier fût toûjours ardent. Un feu semblable brûloit dans le temple de Cérès à Mantinée, ville de Péloponese : Sétenus commit un nombre de filles à la garde du feu sacré, & du simulacre de Pallas dans le temple de Minerve. Plutarque parle d’une lampe qui brûloit continuellement dans le temple de Jupiter Hammon, λύχνον ἄσβεστον, & l’on y mettoit de l’huile en cachette une seule fois l’année.

Mais dans l’antiquité payenne, nul feu sacré n’est plus célebre que le feu de Vesta, la divinité du Feu, ou le feu même. Son culte consistoit à veiller à la conservation du feu qui lui étoit consacré, & à prendre bien garde qu’il ne s’éteignît ; ce qui faisoit le principal devoir des vestales, c’est-à-dire des prêtresses vierges attachées au service de la déesse. V. Vesta & Vestales.

L’extinction du feu sacré de Vesta, dont la durée passoit pour le type de la grandeur de l’empire, étoit regardé conséquemment comme un présage des plus funestes ; & la négligence des vestales à cet égard, étoit punie du foüet. D’éclatans & de malheureux évenemens que la fortune avoit placés à-peu-près dans les tems où le feu sacré s’étoit éteint, avoient fait naître une superstition qui s’étendit jusque sur les gens les plus sensés. Le feu sacré s’éteignit dans la conjoncture de la guerre de Mithridate ; Rome vit

encore consumer le feu & l’autel de Vesta, pendant ses troubles intestins. C’est à cette occasion que Plutarque remarque que la lampe sacrée finit à Athenes durant la tyrannie d’Aristion, & qu’on éprouva la même chose à Delphes, peu de tems après l’incendie du temple d’Apollon : l’évenement néanmoins ne justifia pas toûjours la foiblesse d’esprit, & le scrupule des Romains.

Dans la seconde guerre punique, parmi tous les prodiges vûs à Rome ou rapportés du dehors, selon Tite-Live, la consternation ne fut jamais plus grande que lorsqu’on apprit que le feu sacré venoit de s’éteindre au temple de Vesta : ni, selon cet historien, les épis devenus sanglans entre les mains des moissonneurs, ni deux soleils apperçûs à-la-fois dans la ville d’Albe, ni la foudre tombée sur plusieurs temples des dieux, ne firent point sur le peuple la même impression qu’un accident arrivé de nuit par une pure négligence humaine. On en fit une punition exemplaire ; le pontife n’eut d’égard qu’à la loi casa flagro est vestalis ; toutes les affaires cesserent, tant publiques que particulieres ; on alla en procession au temple de Vesta, & on expia le crime de la vestale par l’immolation des grandes victimes. L’appréhension du peuple romain portoit cependant à faux dans cette occasion ; & cet accident qui avoit mis tout Rome en mouvement, fut précédé du triomphe de Marcus Livius & de Claudius Néron, & suivi des grands avantages par lesquels Scipion finit la guerre d’Espagne contre les Carthaginois.

Quoi qu’il en soit, quand le feu sacré venoit à s’éteindre par malheur, on ne songeoit qu’à le rallumer le plûtôt possible : mais comment s’y prenoit-on ? car il ne falloit pas user pour cela d’un feu matériel, comme si ce feu nouveau ne pouvoit être qu’un présent du ciel ? du moins, selon Plutarque, il n’étoit permis de le tirer que des rayons même du Soleil : à l’aide d’un vase d’airain les rayons venant à se réunir, la matiere seche & aride sur laquelle tomboient ces rayons, s’allumoit aussi-tôt ; ce vase d’airain étoit, comme l’on voit, une espece de miroir ardent. Voyez Ardent.

On sait que Festus n’est point d’accord avec Plutarque sur ce sujet ; car il assûre que pour rallumer le feu sacré, on prenoit une table de bois qu’on perçoit avec un vilbrequin, jusqu’à ce que l’attrition produisît du feu qu’une vestale recevoit dans un crible d’airain, & le portoit en hâte au temple de Vesta, bâti par Numa Pompilius ; & alors elle jettoit ce feu dans des réchauds ou vaisseaux de terre, qui étoient placés sur l’autel de la déesse.

Lipse adopte ce dernier sentiment de Festus, & soûtient que le passage de Plutarque cité ci-dessus, se doit entendre des Grecs & non des Romains, d’autant mieux que les vases creux dont il parle, & qui n’étoient autre chose que les miroirs paraboliques, ont été inventés par Archimede, lequel est postérieur à Numa de plus de 500 ans.

Cependant, outre qu’on ne peut guere appliquer les paroles de Plutarque à la coûtume des Grecs sans leur faire une grande violence, il seroit aisé de concilier Festus & Plutarque, en ayant égard aux divers tems de la république. Je croirois donc que depuis Numa jusqu’à Archimede, les Romains ignorant l’usage des miroirs ardens, ont pû se servir de l’invention de produire du feu qui est décrite par Festus : mais depuis qu’Archimede eut fait des épreuves merveilleuses avec ses miroirs, & sur-tout depuis qu’il en eut écrit un livre exprès, comme Pappus le rapporte, cette invention fut connue de tout le monde, & pour lors les Romains s’en servirent sans doute comme d’un moyen plus noble & plus facile que tout autre pour rallumer le feu sacré. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.