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placer les meilleurs tireurs au premier rang, & leur ordonner de tirer sur les officiers ; parce que lorsqu’une troupe est une fois privée de ses commandans, il est ordinairement fort aisé de la rompre.

Lorsqu’il s’agit de faire feu, les officiers doivent « s’incorporer dans le premier rang, & mettre un genou à terre lorsque ce rang le met ; autrement dans peu de minutes, il n’y aura plus d’officiers, soit par leurs propres soldats qui involontairement tireront sur eux, soit par les ennemis qui ajusteront leurs coups contre ceux qu’ils distingueroient ainsi pour officiers ». Réflex. militaires de M. de Santa-Crux.

C’est pour éviter cet inconvénient, que les rangs pour tirer doivent s’emboîter, pour ainsi dire, les uns dans les autres. Voyez Emboîtement.

Le savant militaire que nous venons de citer, propose pour rendre le feu des ennemis moins dangereux, de faire mettre genou à terre à toute la troupe qui est à portée de l’essuyer, & cela lorsqu’on voit qu’ils mettent en joue. Cet expédient peut rendre inutile un grand nombre de leurs coups, parce qu’il n’y a plus guere que la moitié du corps qui y soit exposée, & que d’ailleurs le défaut des soldats est de tirer presque toûjours trop haut. Il est clair que pour se placer ainsi, il faut que les ennemis soient assez éloignés, pour qu’on ait le tems de se relever avant de pouvoir en être joint. Cet auteur rapporte à ce sujet, que le chevalier d’Alsfeld ayant attaqué auprès de Saint-Etienne de Liter « un détachement d’infanterie angloise, qui mit genou à terre au moment qu’elle vit les François en posture de faire leur décharge, elle se releva aussi-tôt sans en avoir reçu aucun mal ».

Ce même expédient a été pratiqué dans plusieurs autres occasions, avec le même succès.

Au lieu de faire mettre genou en terre aux troupes, on pourroit les garantir encore davantage du feu de l’ennemi, en leur faisant mettre ventre à terre : mais il ne seroit pas sûr de l’ordonner à celles dont la bravoure ne seroit pas parfaitement reconnue ; parce qu’il pourroit arriver qu’on eût ensuite quelque difficulté à les faire relever.

Lorsqu’un bataillon fait usage de son feu sur un bataillon ennemi, & que les deux troupes ne sont au plus qu’à la demi-portée du fusil, les soldats doivent s’appliquer à tirer au ventre de ceux qui leur sont opposés ; & si on les fait tirer sur une troupe de cavalerie, au poitral des chevaux.

M. de Santa-Crux prétend que les Hollandois, pour tirer, appuient la crosse du fusil au milieu de l’estomac, afin d’être forcés par cette posture à tirer bas ; & il observe que cette maniere de tirer, qui ne doit point être imitée parce qu’elle est très-incommode, & qu’elle ne permet guere d’ajuster le coup, fait voir au moins que cette nation a parfaitement compris que le défaut ordinaire des soldats est de tirer trop haut, & qu’elle a cherché le moyen d’y remédier. Si elle ne l’a point fait avec succès, les autres nations peuvent le faire plus heureusement. Cette découverte paroît mériter l’attention des militaires les plus appliqués à leur métier.

Jusqu’ici nous n’avons parlé que du feu de l’infanterie : il s’agit de dire à-présent un mot de celui de la cavalerie.

Suivant M. de Folard, le feu de la cavalerie est moins que rien, l’avantage du cavalier ne consistant que dans son épée de bonne longueur.

Cette décision de l’habile commentateur de Polybe est sans doute trop rigoureuse : car il y a beaucoup d’occasions où le feu de la cavalerie est très utile. Il est vrai que les coups tirés à cheval ne s’ajustent pas avec la même facilité que ceux que l’on tire à pié ; mais dans des marches où la cavalerie se trou-

ve quelquefois sans infanterie, elle peut se servir très avantageusement

de son feu, soit pour franchir un passage défendu par des paysans, ou pour éloigner des troupes legeres qui veulent l’harceler dans sa marche. Elle peut encore se servir de son feu très avantageusement dans les fourrages & dans beaucoup d’autres occasions. Mais la cavalerie doit-elle se servir de son feu dans une bataille rangée ? M. de Santa-Crux prétend que non, sur-tout si, comme la cavalerie espagnole, elle est montée sur des chevaux d’Espagne, qui par leur vivacité & leur ardeur, mettent le desordre dans les escadrons au bruit des coups de fusils de ceux qui les montent.

M. le maréchal de Puységur pense sur ce sujet autrement que le savant auteur espagnol : « Mon opinion, dit-il (dans son livre de l’art de la guerre), est que les escadrons qui marchent l’un à l’autre pour charger l’épée à la main, peuvent avant de se servir de l’épée, tirer de fort près, & ce au moindre signal ou parole du commandant de l’escadron, & charger aussi-tôt l’épée à la main ».

A l’égard de la maniere de charger, voici, dit cet illustre auteur, ce que j’ai vû & ce que j’ai reconnu être très-facile à pratiquer.

« La ligne des escadrons de l’ennemi voyoit notre ligne de cavalerie marcher au pas, pour la charger l’épée à la main, sans se servir d’aucune arme à feu, soit officiers ou cavaliers. Quand notre ligne fut environ à huit toises de distance (cette cavalerie avoit son épée pendue au poignet, officiers & cavaliers avoient leurs mousquetons pendans à la bandouliere), les officiers & cavaliers prirent le mousqueton de la main droite, & de cette seule main coucherent en joue, chacun choisissant celui qu’il vouloit tirer : dès que le coup fut parti, ils laisserent tomber le mousqueton qui étoit attaché à la bandouliere ; & empoignant leur épée, ils reçurent notre cavalerie l’épée à la main, & combattirent très-bien. Par ce feu tiré de près, il tomba bien de nos gens ; néanmoins malgré cela, comme notre corps de cavalerie étoit tout ce que nous avions de meilleur, celle de l’ennemi, quoiqu’elle fût encore plus nombreuse que la nôtre, fut battue. Mais ce ne fut pas les armes à feu dont ils se servirent, qui en furent cause ; car s’ils n’avoient pas tiré & tué des hommes de notre premier rang, ils en auroient été plûtôt renversés. J’ai reconnu même, continue M. de Puységur, que si notre cavalerie qui renversa cette ligne des ennemis, avoit tiré, celle-ci n’auroit pas tiré avec la même assûrance qu’elle a pû faire ; & comme nos troupes étoient un corps distingué, il auroit commencé par mettre bien des hommes hors de combat. Ainsi quand on dit que des escadrons pour avoir tiré ont été battus, je répons que quand ils n’auroient pas tiré, ils ne l’eussent pas été moins. De pareilles raisons sont souvent un prétexte pour ne pas avoüer qu’on a mal combattu. Cela peut encore venir de ce que les officiers & les cavaliers ne sont ni instruits ni exercés. Or l’on doit avoir pour principe de ne jamais rien demander à des troupes dans l’action, à quoi elles n’auront pas été exercées d’avance ». C’est pourquoi lorsqu’on est sûr des troupes de cavalerie qu’on fait combattre, il n’y a pas à balancer de les faire tirer, & même les autres, dit-il, quand on les aura instruits. Art de la guerre de M. le maréchal de Puységur, tom. I. pag. 253.

Quant à l’inconvénient qu’on prétend qui résulte du bruit des armes à feu, par rapport au mouvement qu’il cause parmi les chevaux de l’escadron, M. de Puységur y répond, en faisant observer « qu’il n’est point prouvé que si votre ennemi tire sur vous, & que vous ne tiriez pas, vos chevaux ayent moins de peur que les siens, puisque le feu va