Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/635

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

& au commandement feu, ils tirent tous ensemble[1].

Lorsque ce peloton a fait feu, le sixieme s’arrange pour en faire de même immédiatement après ; puis le troisieme & le quatrieme, deux tems[2] après que le cinquieme & le sixieme ont fait feu. Le premier & le deuxieme font également feu deux tems après que le troisieme & le quatrieme ont tiré. A l’égard des grenadiers & du piquet, ils exécutent leur feu deux tems après celui du premier & du second peloton.

On voit par-là que le feu par peloton ayant commencé par le centre, se porte ensuite successivement du centre aux ailes ; mais de maniere que les pelotons à côté les uns des autres, excepté les deux du centre, ne tirent pas de suite, mais successivement un peloton de la droite & un de la gauche.

Il est bien difficile qu’une manœuvre aussi composée & aussi variée, & qui demande autant d’attention, puisse s’exécuter sans desordre ou confusion un jour d’action : aussi prétend-on avoir remarqué, comme on le verra bientôt, que ce feu, dont l’exécution est si brillante dans les exercices, est peu dangereux un jour de combat[3].

Le feu par section s’exécute de la même maniere que celui par peloton, il commence également par le centre. La onzieme compagnie tire la premiere, puis la douzieme, ensuite la troisieme, la quatrieme, &c. Voyez l’ordonnance du 6 Mai 1755.

Le feu par rangs est d’une exécution plus simple, eu égard aux commandemens, que les deux précédens. Le premier rang, comme on l’a déjà dit ci-devant, met d’abord genou à terre, ainsi que le second & le troisieme ; s’il y a quatre rangs ; le quatrieme se tient debout, & tire ; le troisieme se leve ensuite, & tire aussi ; le second fait immédiatement après la même manœuvre, & ensuite le premier.

Pendant le tems que ces deux derniers rangs tirent, le quatrieme & le troisieme ont le tems de recharger leurs armes, & ils peuvent recommencer à tirer immédiatement après le premier ; mais le premier & le second sont obligés de recharger debout, & de suspendre, pendant le tems qu’ils y employent, le feu du bataillon.

Dans l’ancienne maniere de tirer par rangs, on évitoit cet inconvénient.

Le premier rang tiroit d’abord, & il alloit ensuite, en passant dans les files du bataillon, en gagner la queue : le deuxieme en faisoit de même, après avoir tiré ; puis le troisieme & le quatrieme, &c. De cette façon, les rangs qui avoient tiré les premiers, avoient le tems de recharger leurs armes avant de se retrouver en face de l’ennemi. Nos files serrées ne permettent point cette manœuvre ; cependant lorsque l’on fait tirer les troupes dans des circonstances où elles ne peuvent pas s’aborder, on pourroit peut-être encore se servir de cette méthode sans inconvénient, sur-tout en faisant faire à-droite aux rangs qui sont derriere celui qui est en face à l’ennemi ; & cela afin d’avoir plus d’espace entre les files

pour le passage des soldats qui vont se reformer à la queue du bataillon.

On faisoit aussi quelquefois passer à droite & à gauche par les ailes du bataillon, les rangs qui avoient tiré, pour les faire regagner la queue ; mais cette pratique étoit défectueuse, en ce que les soldats du second rang ne pouvoient tirer que lorsque le premier avoit quitté le front du bataillon ; ce qui interrompoit la continuité du feu de la troupe, & le ralentissoit.

Il y avoit encore plusieurs autres manieres de tirer, qu’on peut voir dans le maréchal de Bataille de Lostelneau, dans la pratique de la guerre du chevalier de la Valiere, &c, mais qui seroient toutes de peu d’usage aujourd’hui, parce qu’elles exigent différens mouvemens devant l’ennemi, dont l’exécution seroit très-dangereuse. En effet, ceux qui ont le plus d’expérience dans cette matiere, prétendent que tout mouvement que l’on fait à portée de l’ennemi, qui change l’ordre & l’union des différentes parties du bataillon, l’expose presque toûjours à se rompre lui-même, & à faire volte-face.

On a toûjours cherché le moyen de faire faire aux troupes un feu réglé, de maniere que les soldats bien exercés pussent l’exécuter sans confusion. Cette régularité peut produire de grands avantages. Car par elle on ne se défait que de telle partie de son feu que l’on veut, & quand on le veut ; au lieu qu’en laissant tirer les soldats à leur volonté, on peut se trouver dégarni de feu dans le tems qu’il est le plus nécessaire.

Il y a cependant quelques circonstances particulieres, où le feu sans ordre peut l’emporter sur le régulier, comme lorsque des troupes sont derriere des lignes ou des retranchemens. M. de Turenne l’ordonna dans un cas pareil au siege d’Etampes en 1652.

Les troupes qui défendoient cette ville contre l’armée du roi, ayant résolu de reprendre un ouvrage dont elle s’étoit emparée le matin, & d’insulter en même tems les lignes ; elles sortirent en force de la place pour cet effet. Les lignes des assiegeans étoient presque entierement dégarnies de soldats, parce que les troupes qui les gardoient avoient été se reposer dans un des fauxbourgs de la ville assez éloigné du camp, à cause de l’action du matin, qui avoit été fort vive, laquelle avoit fait présumer par cette raison, que les assiegés n’entreprendroient rien de considérable pendant la journée.

On se trouvoit tout prêt d’être attaqué lorsqu’il « arriva dans le même moment 200 mousquetaires du régiment aux gardes. C’étoit tout ce qu’on avoit pû ramasser au camp. M. de Turenne leur recommanda, sans s’amuser à tirer tous ensemble, de bien ajuster leurs coups ; ce qu’ils firent si à propos, que jamais un si petit nombre de soldats n’a fait tant d’exécution. » Mém. du duc d’Yorck, p. 17, II. vol. de l’Hist. de M. de Turenne, par M. de Ramsay.

Dans des cas de cette espece les soldats s’animent les uns & les autres à charger promptement & à tirer à coup sûr. L’attention n’est point distraite ou partagée par l’observation des commandemens pour tirer. Chacun le fait de son mieux, & ne le fait guere alors inutilement. Aussi M. Bottée dit-il que les Allemands craignent plus notre feu confus que notre feu ordonné. La raison qu’il en donne, c’est que le défaut d’exercice rend ce dernier défectueux, au lieu que dans l’autre un nombre de bons soldats tirent avec dessein & avec attention.

Il tire de-là cette conséquence, que si nos soldats étoient bien disciplinés à cet égard, ils apporteroient en tirant avec ordre, la même attention que lorsqu’ils le font sans ordre. Alors le feu régulier se-

  1. Il y auroit peut-être plus d’avantage à faire tirer les différens rangs du peloton immédiatement les uns après les autres, parce que l’effet des coups du premier rang ne se confondroit pas avec celui des coups du second, ni l’effet de celui-ci avec celui du troisieme. Il peut arriver en faisant tirer tous les rangs à la fois, qu’un même soldat ennemi reçoive deux coups également mortels ; au lieu que s’il étoit tombé du premier, le soldat qui le suit auroit reçû le second.
  2. L’intervalle ou la durée d’un tems dans l’exercice est à peu-près celui d’une seconde, pendant laquelle on peut prononcer, un, deux. Voyez l’Ordonnance du 6 Mai 2755.
  3. On ne peut en attribuer la cause qu’au peu d’exercice des troupes. Il paroît à la vérité que l’exécution du feu par peloton peut être susceptible de plusieurs inconvéniens, à cause des différens commandemens qui se font en même tems aux pelotons qui doivent tirer de suite ; mais le grand usage doit y former les troupes insensiblement.