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est fort recommandée par les anciens pour la guérison des maladies ; Hippocrate ne desesperoit jamais d’un malade, que quand le feu ne pouvoit produire aucun effet ; il comptoit encore efficacement sur cette ressource, après avoir tenté inutilement tous les autres moyens que l’art prescrit. Quæ medicamenta non sanant, ea ferrum sanat ; quæ ferrum non sanat, ea ignis sanat ; quæ verò ignis non sanat, ea insanabilia reputare oportet. Hipp. aphorism. sect. 7. Il ne faut pas croire qu’Hippocrate se soit servi du feu sans autre regle que l’inutilité reconnue des autres moyens, & qu’il ait envisagé son application comme un procédé douteux qu’on met en pratique à tout évenement dans un cas desespéré ; l’administration de ce secours étoit méthodique ; on raisonnoit sur son action & sur ses effets, les succès avoient confirmé les raisons de son usage, & les différentes circonstances avoient déterminé quelques variétés dans la façon de s’en servir suivant différentes intentions.

Lorsqu’il est nécessaire de procurer l’évacuation des matieres épanchées, Hippocrate paroît quelquefois laisser l’alternative de l’usage du fer ou du feu, mais il préfere absolument la cautérisation pour l’ouverture des abcès profonds ; la crainte de l’hémorrhagie pourroit autoriser cette pratique ; on évitoit aussi par la déperdition de substance que la cautérisation produit, la nécessité de l’usage des tentes, des cannules & autres dilatans, sans lesquels la trop prompte réunion des parties extérieures mettroit obstacle à la sortie du pus avant l’entiere détersion du foyer de l’abcès. Hippocrate conseille la cautérisation pour l’ouverture des abcès au soie ; mais au lieu du cautere actuel, c’est-à-dire du fer ardent, il parle de fuseaux de buis trempés dans de l’huile bouillante ; son intention dans cette méthode étoit peut-être de vaincre la répugnance de certains malades timides, que l’aspect du feu actuel auroit portés à rejetter lâchement les secours efficaces de l’art.

Les douleurs opiniâtrement fixées sur une partie, lorsqu’elles avoient résisté à tous les autres moyens curatifs, exigeoient la cautérisation ; Hippocrate la recommande dans les maux de tête rebelles. Il conseille de brûler du lin crud dans l’affection sciatique sur le lieu où la douleur se fait sentir. Cette maniere de cautériser est encore aujourd’hui pratiquée aux Indes ; on se sert d’une mousse nommée moya. Quelques auteurs prétendent que par le lin crud d’Hippocrate, il ne faut pas entendre les étoupes ou la filasse de lin, mais plûtôt la toile de lin neuve. Les Egyptiens en ont conservé l’usage, suivant Prosper Alpin, qui dit que dans ce pays on enveloppe un peu de coton dans une piece de toile de lin, roulée en forme de pyramide : & le feu étant mis du côté pointu, on applique la base de cette pyramide sur la partie qu’on veut cautériser.

On lit dans les actes de Copenhague, volume V. une lettre de Thomas Barcholin à Horstius, sur le moya, dont il assûre avoir vû les bons effets sur des tophus vénériens à Naples, chez Marc Aurele Séverin. Il en conseille l’usage dans les douleurs des articulations causées par fluxions d’humeurs froides & flatueuses. Horstius écrit de Francfort à Bartholin, que l’usage du moya est ordinaire dans les affections arthritiques & goutteuses, & que cette brûlure n’est pas fort douloureuse, quoiqu’on la fasse sur une partie saine, ce qu’il assûre avoir éprouvé sur lui-même. Sa lettre est du 17 Avril 1678. On voit que le moya dont Horstius vante les bons effets, n’agit pas différemment que le coton des Egyptiens, que le lin crud d’Hippocrate, & de même que feroit un morceau d’amadou.

Hippocrate nous enseigne un moyen de cautériser, dont on pourroit se servir utilement dans certains cas. Lorsqu’il vouloit brûler profondement, il met-

toit dans la plaie faite par l’application du cautere,

une éponge trempée dans de l’huile, & sur laquelle on appliquoit le feu de nouveau. On réitéroit cette opération autant qu’on le jugeoit convenable. Cette méthode de cautériser n’est point à négliger ; elle paroît sur-tout convenir pour dessécher la carie & en prévenir les progrès dans les os spongieux, ou elle fait de si grands ravages, par la facilité qu’ils ont d’absorber les matieres purulentes. Il est évident que l’application immédiate du feu ne peut agir que sur l’extérieur (cette action est bornée à la surface découverte de l’os) ; & qu’on pourroit faire pénétrer profondement dans sa substance des remedes puissamment dessicatifs, par le procédé que je viens d’exposer.

Celse recommande la cautérisation dans les érésypeles gangréneux, si la pourriture est considérable : si le mal s’étend & gagne les parties circonvoisines, il faut brûler, dit-il, jusqu’à ce qu’il ne découle plus d’humeur ; car les parties saines demeurent seches lorsqu’on les brûle. Cette pratique seroit aussi salutaire de nos jours, que du tems de Celse.

La morsure des animaux enragés est un cas où la méthode des anciens devroit être la regle de notre conduite. Ils ne manquoient pas de cautériser ces sortes de plaies. Celse prescrit cette opération ; mais Ætius a parlé plus amplement sur ce point. On ne peut, dit-il, donner trop promptement du secours à ceux qui ont été mordus d’un chien enragé, quam celerrimè ; car aucun de ceux qui n’ont pas été traités méthodiquement, n’en est échappé. D’abord on commence par aggrandir la plaie avec l’instrument tranchant, & l’on en scarifie assez profondément l’intérieur, pour faire sortir beaucoup de sang de cet endroit. On cautérise ensuite avec des fers rouges. On panse avec des poireaux, des oignons ou de l’ail avec du sel ; & lorsque les escarres seront tombées, il faut bien se garder de cicatriser les ulceres avant quarante ou soixante jours ; & s’ils viennent à se fermer, il ne faut point hésiter à les ouvrir de nouveau. Voilà la doctrine d’Ætius ; les modernes n’ont rien dit de mieux sur ce cas.

Les anciens abusoient du feu en beaucoup de circonstances, mais les modernes le négligent trop. Le célebre Ambroise Paré, par l’invention de la ligature des vaisseaux, a banni le cautere actuel de la pratique ordinaire des opérations. Il a proscrit la cautérisation avec l’huile bouillante du traitement des plaies d’armes-à-feu. Mais il recommande le cautere en beaucoup de cas, & il donne la préférence au cautere actuel sur le potentiel. L’opération du feu est plus prompte & plus sûre ; & l’on ne touche absolument que la partie qu’on veut cautériser. Les cauteres actuels sont, dit-il, ennemis de toute pourriture, parce qu’ils consument & dessechent l’humidité étrangere imbue en la substance des parties, & corrigent l’intempérature froide & humide, ce que ne peuvent faire les potentiels ; lesquels aux corps cacochymes causent quelquefois inflammation, gangrene & mortification ; ce que j’ai vû, dit Paré, à mon grand regret : toutefois nous sommes souvent obligés d’en user par l’horreur que les malades ont du fer ardent. Cette horreur est un préjugé, car Glandorp qui a fait un traité dans lequel il rapporte tout ce qui a été dit sur la matiere des cauteres par les anciens & par les modernes, assûre, après avoir éprouvé lui-même la différence du cautere actuel & du potentiel, qu’il aimeroit mieux qu’on lui en appliquât six de la premiere espece, qu’un de la seconde. Le cautere actuel fait plus de peur que de mal, majorem metum quam dolorem incutit.

Fabrice d’Aquapendente tient un rang distingué parmi les auteurs de Chirurgie ; il avoit étudié les anciens avec le plus grand soin, mais il ne suit pas