belles formes, de la Chine, du Japon & des Indes, qui faisoient partie des lots que le Roi devoit tirer. Javilliers pere, & la Mangot, en hollandois & hollandoise, occupoient cette riche boutique, qui avoit pour inscription, Messager.
La premiere boutique après le magasin de porcelaine, en tournant toûjours à droite, étoit la loge des joüeurs de gobelets, habitée par eux-mêmes, & meublée de drap d’or, avec des glaces. Dans le cartouche étoient les noms de Baptiste & de Dimanche, fameux alors par leurs tours d’adresse.
La seconde, intitulée Lesgu & la Frenaye, & dont les officiers de M. le duc d’Orléans faisoient les honneurs, étoit la bijouterie ; elle étoit meublée de moire d’or, avec une pente autour, relevée en broderie d’or & ornée de glaces. Cette boutique étoit remplie de tout ce que l’on peut imaginer en bijoux précieux, exposés sur des tablettes ; d’autres étoient renfermés dans des coffres de vernis de la Chine, mêlés de curiosités indiennes.
La troisieme, portant le nom de Fredoc, étoit l’académie des jeux de dés, du biribi & du hoca, meublée d’un gros damas galonné d’or.
La quatrieme, faisant face au théatre de l’opérateur, étoit un jeu de marionnettes qui avoit pour titre, Brioché.
La cinquieme, nommée Procope, étoit meublée d’un cuir argenté, & ornée de buffets, de trumeaux, de glaces & de girandoles ; elle étoit destinée pour la distribution de toutes les liqueurs fraîches, & des glaces. Buzeau en arménien, & la Perignon en arménienne, présidoient à cette distribution.
La sixleme, tendue de brocatelle, s’appelloit Bréard ; Dumirail, danseur, en étoit le maître, & y débitoit les ratafia, rossoli, & liqueurs chaudes de toutes les sortes.
La dernière, qui se trouvoit dans l’encoignure, près du théatre italien, étoit enfin intitulée, M. Blanche, & occupée par la Souris l’aînée, & la du Coudray, marchandes de dragées & de toutes sortes de confitures fines.
Un grand amphithéatre paré de tapis & bien illuminé, regnoit tout le long & au-dessus du théatre de la comédie italienne : il étoit rempli par une quantité prodigieuse d’excellens symphonistes.
Le dessus de la loge intitulée Messager, située en face, étoit aussi couronné par un semblable amphithéatre, où étoient placés les musiciens & musiciennes, danseurs & danseuses qui n’avoient point d’emploi dans les boutiques de la foire, déguisés en différens caracteres sérieux, galans & comiques.
La galerie ornée d’orangers & de girandoles, qui avoit bien plus de profondeur aux faces qu’aux ailes, servoit comme de base & d’accompagnement à ces deux amphithéatres, & rendoit le point de vûe d’une beauté & d’une singularité inexprimables. Tel est toûjours l’effet des beaux contrastes.
Le Roi suivi de sa cour, entrant dans ce lieu enchanté, s’arrêta d’abord au théatre de la comédie italienne, où Arlequin, Pantalon & Silvia ne firent pas des efforts inutiles pour divertir Sa Majesté : elle se rendit de-là aux marionnettes, & ensuite aux jeux ; s’y amusa quelque tems, & joüa au hoca & au biribi. Après le jeu, le Roi alla au théatre du docteur Barry : Scapin commença sa harangue, que Trivelin expliquoit en françois, pendant que Flaminia présentoit au Roi, dans un mouchoir de soie, les raretés que lui offroit l’opérateur. Des tablettes garnies d’or, & d’un travail fini, furent le premier bijou qui lui fut offert ; Scapin l’accompagna de ce discours qu’il adressa au Roi :
Voilà des tablettes qui renferment le thrésor de tous les thrésors, Sa Majesté y trouvera l’abregé de tous mes secrets ; le papier qui les contient est incorruptible, & les secrets impayables.
Flaminia eut encore l’honneur de présenter deux autres bijoux au Roi ; un cachet précieux & d’une gravûre parfaite, composé d’une grosse perle ; & d’une antique, avec un petit vase d’une pierre rare, & garni d’or. Scapin fit à chaque présent un commentaire, à la maniere des vendeurs d’orviétan. On distribua ainsi aux princes & aux seigneurs de la cour, des bijoux d’or de toute espece.
Sa Majesté continua sa promenade & fit plusieurs tours dans la foire, pour joüir des divers tours & propos dont les marchands & les marchandes se servent à Paris pour attirer les chalans dans leurs boutiques. Leurs cris, en effet, & leurs empressemens à étaler & à faire accepter leurs marchandises, imitoient parfaitement, quoiqu’en beau, le tumulte, le bruit & l’espece de confusion qu’on trouve dans les foires S. Germain & S. Laurent, dans les tems où elles sont belles. Enfin le Roi, après avoir été longtems diverti par la variété des spectacles & des amusemens de la foire, entra dans la boutique de Lesgu & la Frenaye, & tira lui-même une loterie qui, en terminant la fête, surpassa toute la magnificence qu’elle avoit étalée jusqu’à ce moment, en faisant voir l’élégance, la quantité & la richesse des bijoux qui furent donnés par le sort à toute la cour, & à toute la suite qu’elle avoit attirée à Villers-Coterets.
Cette loterie, la plus fidele qu’on ait jamais tirée, occupa Sa Majesté jusqu’à près de neuf heures du soir. Alors le Roi passa sur le parquet de la salle du bal, située au milieu de la foire, & se plaça dans un fauteuil vers le théatre de la comédie italienne : les princes se rangerent auprès de Sa Majesté. Les banquettes couvertes de velours cramoisi, qui entouroient cette salle, servoient de barriere aux spectateurs. La symphonie placée sur l’amphithéatre, commença le divertissement par une ritournelle. La Julie représentant Terpsicore, accompagnée de Pecourt, compositeur de toutes les danses gracieuses & variées exécutées à Villers-Coterets ; & de Mouret, qui avoit composé tous les airs de ces danses, chanta un récit au Roi.
Après ce récit la suite de Terpsicore se montra digne d’être amenée par une muse. Deux tambourins basques se mirent à la tête de la danse ; un tambourin provençal se rangea au fond de la salle, & on commença un petit ballet, sans chant, très-diversifié par les pas & les caracteres, qui fut exécuté par les meilleur danseurs de l’opéra.
Dès que la danse cessa, on entendit tout-d’un-coup un magnifique chœur en acclamations, mêlé de fanfares, & chanté par tous les acteurs & actrices masqués, placés sur les deux amphithéatres & les deux galeries qui les accompagnoient ; ce qui causa une surprise très-agréable.
Après ce chœur le Roi alla souper, & les masques s’emparerent de la salle du bal. Ensuite on distribua à ceux qui se trouvoient alors dans la foire, tout ce qui étoit resté dans les boutiques des marchands, qui étoient si abondamment fournies, qu’après que toute la cour fut satisfaite, il s’en trouva encore une assez grande quantité pour contenter tous les curieux.
Ce seroit ici le lieu de parler de la fête de Chantilly, donnée dans le même tems ; & de celle donnée à Saint-Cloud par S. A. S. Mgr. le duc d’Orléans pour la Naissance de Monseigneur le duc de Bourgogne ; mais on en trouvera un précis assez détaillé dans quelques autres articles. Voyez Sacre des Rois de France, Illumination, Feu d’Artifice, &c.
On terminera donc celui-ci, déjà peut-être trop long, par le récit d’une fête d’un genre aussi neuf qu’élégant, dont on n’a parlé dans aucun des mémoires du tems, qui mérite à tous égards d’être mieux connue, & qui rappellera à la cour de France le souvenir d’une aimable princesse, qui en étoit adorée.