les trompettes-marines & les cors-de-chasse se joignoient aux violons & aux haut-bois, & joüoient les airs de la plus noble gaieté. La joie regnoit souverainement dans toute l’assemblée, & les sauteurs pendant ce tems l’entretenoient par leur souplesse & par les mouvemens variés de la plus surprenante agilité.
Après ce divertissement, le Roi voulut voir courir la bague de plus près ; alors les tourniquets furent remplis de jeunes princes & seigneurs, qui briguerent l’emploi d’amuser Sa Majesté, parmi lesquels le duc de Chartres, le comte de Clermont, le grand-Prieur & le prince de Valdeik, le duc de Retz, le marquis d’Alincourt, le chevalier de Pesé, se distinguerent.
Après avoir été témoin de leur adresse, le Roi remonta & se mit au jeu. Dès que la partie du Roi fut finie, les comédiens Italiens donnerent un impromptu comique, composé des plus plaisantes scenes de leur théatre, que Lelio avoit rassemblées, & qui réjoüirent fort Sa Majesté.
Tous les gens de goût sont d’accord sur la beauté de l’ordonnance du parc & des jardins de Villers-Coterets : le parterre, la grande allée du parc, & les deux qui sont à droite & à gauche du château, furent illuminées par une quantité prodigieuse de pots-à-feu. Tous les compartimens, dessinés par les lumieres, ne laissoient rien échapper de leurs agrémens particuliers.
Sa Majesté descendit pour voir de plus près l’effet de cette magnifique illumination. Tout-d’un-coup l’attention générale fut interrompue par le son des haut-bois & des musettes ; les yeux se porterent aussi-tôt où les oreilles avertissoient qu’il se présentoit un plaisir nouveau. On apperçut au fond du parterre, à la clarté de cent flambeaux, portés par des faunes & des satyres, une nôce de village, qui avançoit en dansant vers la terrasse, sur laquelle le Roi étoit ; Thevenard marchoit à la tête de la troupe, portant un drapeau. La nôce rustique étoit composée de danseurs & de danseuses de l’opéra. Dumoulin & la Prévôt représentoient le marié & la mariée. Ce petit ballet fut suivi du souper du Roi & de son coucher.
M. le régent, M. le duc de Chartres, & les grands officiers de leurs maisons, tinrent les différentes tables nécessaires à la foule de grands seigneurs & d’officiers qui formoient la cour de Sa Majesté ; il y eut pendant tout son séjour quatre tables de trente couverts, vingt-une de vingt-cinq, douze de douze, toutes servies en même tems & avec la plus exquise délicatesse.
On calcula dans le tems, que l’on servoit à chaque repas, 5916 plats.
Seconde journée ; chasse du sanglier. Le mardi 3 Novembre, une triple salve de l’artillerie & des boîtes annonça le lever de Sa Majesté ; après la messe, elle descendit pour se rendre à l’amphithéatre qui avoit été dressé dans le parc, où S. M. devoit prendre le plaisir d’une chasse de sanglier dans les toiles. Les princes du sang & les principaux officiers de S. M. le suivirent : l’équipage du Roi pour le sanglier, commandé par le marquis d’Ecquevilly, qui en est capitaine, devoit faire entrer plusieurs sangliers dans l’enceinte qu’on avoit formée près du jardin de l’orangerie.
Pour placer le Roi & toute sa cour, on avoit construit trois galeries découvertes dans la partie intérieure de l’avenue, & sur son alignement, à commencer depuis la grille jusqu’à la contre-allée du parterre. La galerie du milieu préparée pour le Roi avoit douze toises de longueur & trois de largeur ; on y montoit sept marches par un escalier à double rampe qui conduisoit à un repos, d’où l’on montoit sept autres marches de front, qui conduisoient sur
le plancher. Cette galerie étoit ornée de colonnes de verdure, dont les entablemens s’unissoient aux branches des arbres de l’avenue, & formoient une architecture rustique plus convenable à la fête, que le marbre & les lambris dorés. Cette union des entablemens & des arbres ressembloit assez à un dais qui servoit de couronnement à la place du Roi. Le plancher étoit couvert de tapis de Turquie, ainsi que les balustrades ; un tapis de velours cramoisi, brodé de grandes crépines d’or, distinguoit la place de S. M. Tout le pourtour de cet édifice, & les rampes des escaliers, étoient revêtus de feuillées.
Aux deux côtés, & à neuf piés de distance de cette grande galerie, on en avoit construit deux autres plus étroites & moins élevées pour le reste des spectateurs, qui ne pouvoient pas tous avoir place sur la galerie du Roi. Ces deux galeries étoient décorées de feuillages comme la grande, & toutes les trois étoient d’une charpente très-solide, & dont l’assemblage avoit été fait avec des précautions infinies, pour prévenir les moindres dangers.
Dès que le Roi fut placé, on lâcha l’un après l’autre cinq sangliers dans les toiles. Cette chasse fut parfaitement belle. Le comte de Saxe, le prince de Valdeik, & quelques autres seigneurs françois y firent éclater leur adresse & leur intrépidité ; ils entrerent dans les toiles armés seulement d’un couteau de chasse & d’un épieu.
Le comte de Saxe se distingua beaucoup dans cette chasse. Le Roi ayant blessé un sanglier d’un dard qu’il lui lança, le comte de Saxe l’arracha d’une main du corps de l’animal, que sa blessure rendoit plus redoutable, tandis que de l’autre main il en arrêta la fureur & les efforts. Il en poursuivit ensuite un autre qu’il irrita de cent façons différentes : lorsqu’il crut avoir poussé sa rage jusqu’au dernier excès, il feignit de fuir ; le sanglier courut sur lui, il se retourna & l’attendit ; appuyé d’une main sur son épieu, il tenoit de l’autre son couteau de chasse. Le sanglier furieux s’élance sur lui ; dans le moment l’intrépide chasseur lui enfonce son couteau de chasse au milieu du front, l’arrête ainsi & le renverse.
Cette chasse, qui divertit beaucoup S. M. & toute la cour, dura jusqu’à une heure après midi, que le Roi rentra pour dîner.
Chasse du cerf. Après le dîné, S. M. monta en caleche au bas de la terrasse ; les princes, toute la cour, le suivirent à cheval.
Le cerf fut chassé pendant plus de deux heures par la meute du Roi ; le comte de Toulouse, grand-veneur de France, en habit uniforme, piquant à la tête. S. M. parcourut toutes les routes du parc : la chasse passa plusieurs fois devant sa caleche ; & le cerf, après avoir tenu très-long-tems devant les chiens, alla donner de la tête contre une grille, & se tua.
Le Roi revint sur les cinq heures dans son appartement, & changea d’habit pour aller à la foire.
Salle de la foire. La foire que M. le duc d’Orléans avoit fait préparer avec magnificence, étoit établie dans la cour intérieure du château ; elle est quarrée & bâtie sur un dessein semblable à l’avant-cour.
Le lecteur ne sera peut-être pas fâché de trouver ici quelque détail de cette foire galante : l’idée en est riante & magnifique, & peut lui poindre quelques-uns de ces traits saillans du génie aussi vaste qu’aimable du grand prince qui l’avoit imaginée.
On avoit laissé de grands espaces qui avoient la forme de rues, tout-au-tour de la cour, entre les boutiques & le milieu du terrein, qu’on avoit parqueté & élevé seulement d’une marche : ce milieu étoit destiné à une salle de bal ; & on n’avoit rien oublié de ce qui pouvoit la rendre aussi magnifique que commode.