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aller au milieu du chœur prendre madame la dauphine, & la précéder processionnellement jusqu’à la porte royale.

Ce jour elle reçut les complimens de toutes les cours : elle alla ensuite à l’opéra ; l’amphithéatre étoit reservé pour cette princesse & sa cour.

On avoit fait au milieu de la balustrade, sur la longueur de huit piés, un avancement en portion de cercle de trois piés de saillie ; madame la dauphine se plaça dans un fauteuil de velours cramoisi, sur un tapis de pié vis-à-vis cette saillie circulaire, qui étoit aussi couverte d’un tapis de pareil velours bordé d’un galon d’or.

Il y eut d’abord un prologue à l’honneur de monseigneur le Dauphin & de madame la dauphine[1] : ensuite on joüa deux actes des Indes galantes, celui des Incas, & celui des Fleurs, & on y joignit deux ballets pantomimes ; & cette princesse sortant de l’opéra & rentrant par la principale porte de l’hôtel-de-ville, trouva un nouveau spectacle : c’étoit un palais de l’hymen illuminé.

Dans le fond de l’hôtel-de-ville, en face de la principale entrée qui est sur la rue des Fossés, on avoit construit un temple d’ordre ionique. Ce temple qui désignoit le palais de l’hymen, avoit 90 piés de largeur sur 45 piés de hauteur, non compris le sommet du fronton.

Le porche étoit ouvert par six colonnes isolées, qui formoient un exastile.

Aux deux extrémités se trouvoient deux corps solides, flanqués par deux pilastres de chaque côté.

Les six colonnes & les quatre pilastres avec leurs entablemens, étoient couronnés par un fronton de 71 piés de long.

On montoit dans ce porche de 61 piés 6 pouces de long, sur 9 piés de large, par sept marches de 59 piés de long.

Les colonnes avoient 27 piés de hauteur, 3 piés de diametre, & 6 piés d’entre-colonne, appellé systile.

La porte & les croisées à deux étages étoient en face des autres colonnes.

Le plafond du porche que portoient les colonnes, étoit un compartiment régulier de caisses quarrées, coupées par des plate-bandes, ornées de moulures dans le goût antique.

Cet ouvrage étoit exécuté avec toute la sévérité & l’exactitude des regles de l’ordre ionique. Les colonnes, leurs bases, leurs chapiteaux, l’entablement, le fronton & le tympan enrichi de sculpture, représentoient les armes de France & d’Espagne ornées de festons : le tout en général étoit de relief, avec une simple couleur de pierre sur tous les bois & autres matieres employées à la construction de ce palais. Les chambranles des croisées & de la porte, leurs plate-bandes & appuis ornés de leurs moulures, imitoient parfaitement la réalité ; les chassis des mêmes croisées étoient à petit bois, garnies de leurs carreaux de verre effectif, avec des rideaux couleur de feu qui paroissoient au derriere. Les deux ventaux de la porte étoient d’assemblage, avec panneaux en saillie sur leurs bâtis, les cadres avec leurs moulures de relief, pour recevoir des emblèmes qui furent peints en camayeu. Tout étoit si bien concerté, que cet ouvrage pouvoit passer pour un chef d’œuvre.

Au milieu de l’entablement de ce palais étoit une table avec un cadre doré, qui occupoit en hauteur celle de l’architrave & de la frise, & en largeur celle de quatre colonnes. Elle renfermoit en lettres dorées, l’inscription suivante : Ad honorem connubii augustissimi & felicissimi Ludovici Delphini Franciæ,

& Mariæ Theresia Hispaniæ, hoc ædificium erexit & dedicavit civitas Burdigalensis[2].

En face de l’édifice sur chacun des deux corps solides, étoit un médaillon renfermant un emblème. Celui de la droite représentoit deux lis, qui fleurissent d’eux-mêmes & sans culture étrangere ; ce qui faisoit allusion au prince & à la princesse, en qui le sang a réuni toutes les graces & toutes les vertus. Cela étoit exprimé par l’inscription, nativo cultu florescunt.

L’emblème de la gauche représentoit deux amours qui soûtenoient les armes de France & d’Espagne, avec ces mots, propagini imperii gallicani, à la gloire de l’empire françois.

Un troisieme médaillon qui couronnoit la porte d’entrée du palais, renfermoit un emblème qui représentoit deux mains jointes tenant un flambeau allumé, avec l’inscription, fides & ardor mutuus, l’union & la tendresse mutuelle de deux époux.

Sur les retours des corps solides, dans l’intérieur du porche, étoient deux autres médaillons sans emblème : au premier, amor aquitanicus : au second, fidelitas aquitanica : l’amour & la fidélité inviolables de la Guienne.

La façade sous le porche étoit éclairée d’un grand nombre de pots-à-feu non-apparens, & attachés près-à-près au derriere des colonnes, depuis leur base jusqu’à leur chapiteau ; ce qui lui donnoit un éclat très-brillant. Les corniches du fronton & celles de tout l’entablement, étoient aussi illuminées de quantité de terrines, dont les lumieres produisoient un fort bel effet.

Lorsque la princesse fut dans son appartement, elle vit l’illumination de l’arc de triomphe, placé vis-à-vis ses fenêtres. On fit les mêmes illuminations les vendredi, samedi, & dimanche suivans, & chaque fois dans un goût différent.

Après le souper de madame la dauphine, il y eut un bal dans la salle de spectacle ; & comme cette salle fait partie de l’hôtel-de-ville, elle s’y rendit par la porte de l’intérieur.

Le 29 madame la dauphine, suivie de toute sa cour, sortit de l’hôtel-de-ville en carrosse à huit chevaux, pour se rendre sur le port de Bordeaux, & y voir mettre à l’eau un vaisseau percé pour 22 canons, du port d’environ 350 tonneaux.

Sur le chemin que cette princesse devoit faire pour aller au port, à l’extrémité de la rue des Fossés, à quelque distance de la porte de la ville, on avoit élevé une colonne d’ordre dorique de 6 piés de diametre, de 50 piés de hauteur compris sa base & son chapiteau.

Le pié-d’estal qui avoit 18 piés de hauteur, étoit orné, sur les quatre angles de sa corniche, de quatre dauphins & autres attributs ; ses quatre faces étoient décorées de tables avec moulures, qui renfermoient quatre inscriptions ; la premiere en françois, la seconde en espagnol, la troisieme en italien, & la quatrieme en latin.

Au-haut du chapiteau, un amortissement de 8 piés de haut, sur lequel étoit posé un globe de 6 piés de diametre : ce globe étoit d’azur, parsemé de fleurs-de-lis & de tours de Castille.

On avoit placé au-dessus de ce globe un étendard de 20 piés de hauteur, sur 30 piés de largeur, où étoient les armes de France & d’Espagne.

Cette colonne étoit feinte de marbre blanc veiné, ainsi que le pié-d’estal ; les moulures, ornemens, vases, & chapiteaux, étoient en dorure, & toutes ces hauteurs réunies formoient une élevation de 102 piés.

  1. Les paroles sont de Fuzelier, la musique est de M. Rameau.
  2. La ville de Bordeaux a élevé ce palais en l’honneur du très-auguste & très-heureux mariage de Louis dauphin de France, & de Marie Thérese infante d’Espagne.