Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/6

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Notre estimable collegue méritoit sur-tout les bontés du Souverain par son attachement inviolable à nos libertés & aux maximes du Royaume, deux objets que les Auteurs de l’Encyclopédie se feront toûjours une gloire d’avoir devant les yeux. On peut se convaincre par la lecture du mot Excommunicution imprimé dans ce Volume, que M. l’Abbé Mallet pensoit sur cette importante matiere en Citoyen, en Philosophe, & même en Théologien éclairé sur les vrais intérêts de la Religion. Un autre de ses articles, le mot Communion, ne doit pas faire moins d’honneur à sa modération & à sa bonne foi. Il s’y explique avec une égale impartialité, & sur le célebre Arnaud, dont les talens & les lumieres ont si étrangement dégeneré dans ceux qui se disent ses disciples, & sur le fameux P. Pichon, proscrit par les Evêques de France, & abandonné enfin courageusement par ses confreres mêmes. M. l’Abbé Mallet, quoiqu’attaqué en différentes occasions par les Journalistes de Trévoux, ne chercha point à leur reprocher les éloges qu’ils avoient d’abord donnés au livre de ce Religieux ; son peu de ressentiment & son indulgence ordinaire le portoient à excuser une distraction si pardonnable. Il est naturel, nous disoit-il avec un ancien, de loüer les Athéniens en présence des Athéniens.

Toute l’Europe a entendu parler de la These qui fit tant de bruit en Sorbonne il y a plus de quatre ans, & dont l’Auteur étoit M. l’Abbé de Prades, alors Bachelier en Théologie, & aujourd’hui Lecteur & Secrétaire des Commandemens de S. M. le Roi de Prusse, & Honoraire de l’Académie Royale des Sciences & des Belles-Lettres de Berlin. L’accusé demandoit avec instance à être entendu ; il promettoit de se soûmettre sans reserve : mais il se proposoit de représenter à ses Juges (& nous ne sommes ici qu’Historiens) qu’il avoit cru voir sa doctrine sur les Miracles dans les ouvrages de deux des principaux membres de la Faculté, & que cette ressemblance, apparente ou réelle, avoit causé son erreur[1]. Plusieurs Docteurs craignirent, peut-être avec quelque fondement, les inconvéniens qui pouvoient résulter d’un examen de cette espece, dût-il se terminer à la décharge des deux Auteurs. Ils opinerent donc à condamner le Bachelier sans l’entendre : M. l’Abbé Mallet, moins prévoyant & plus équitable, fut avec beaucoup d’autres d’un avis contraire ; mais le nombre l’emporta.

Il mourut le 25 Septembre 1755 d’une esquinancie qui le conduisit en deux jours au tombeau.

Son esprit ressembloit à son style : il l’avoit juste, net, facile, & sans affectation ; mais ce qui doit principalement faire le sujet de son éloge, c’est l’attachement qu’il montra toûjours pour ses amis, sa candeur, son caractere doux & modeste. Dès qu’il parut à Verdun, il y acquit l’estime & la confiance générale de son Chapitre, qui le chargea dès ce moment de ses affaires les plus importantes ; il fut toûjours considéré de même par ses Supérieurs les plus respectables. Quoique très-attaché à la Religion par principes & par état, il ne cherchoit point à en étendre les droits au-delà des bornes qu’elle s’est prescrites elle-même. Les articles Déisme & Enfer pourroient servir à montrer combien il savoit distinguer dans ces matieres délicates les limites de la raison & de la Foi. Il ne mérita jamais ni par ses discours, ni par sa conduite, le reproche qu’on a quelquefois fait aux Théologiens d’être par leurs querelles une occasion de trouble[2]. L’affliction que lui causoient les disputes présentes de l’Eglise, & le funeste triomphe qu’il voyoit en résulter pour les ennemis de la Religion, lui faisoient regretter que dès la naissance de ces disputes le Gouvernement n’eût pas imposé un silence efficace sur une matiere qui en est si digne. Pendant la derniere Assemblée du Clergé, il fit à la priere d’un des principaux membres de cette Assemblée plusieurs mémoires théologiques qui établissoient de la maniere la plus nette & la plus solide la vérité, la concorde, & la paix. Il paya son zele de sa vie, ce travail forcé ayant occasionné la maladie dont il est mort à la fleur de son âge. Ennemi de la persécution, tolérant même autant qu’un Chrétien doit l’être, il ne vouloit employer contre l’erreur que les armes de l’Evangile, la douceur, la persuasion, & la patience. Il ne cherchoit point sur-tout à grossir à ses propres yeux & à ceux des autres la liste déjà trop nombreuse des incrédules, en y faisant entrer (par une mal-adresse si commune aujourd’hui) la plûpart des Ecrivains célebres. Ne nous brouillons point, disoit-il, avec les Philosophes.

  1. L’Auteur [défunt] du Traité dogmatique sur les faux Miracles du tems, & l’Auteur [aussi défunt] des Lettres Théologiques sur ces mêmes Miracles éphemeres, & sur ces Convulsions qui deshonorent notre siecle.
  2. Les Auteurs d’un Dictionnaire qui est entre les mains de tout le monde ont étendu ce reproche beaucoup au delà de ce qu’ils pouvoient se permettre. Voyez le Dict. de Tr. au mot Perturbateur.